Les campagnes électorales entrent finalement dans l’ère de l’Internet

Politique

La révision de la Loi sur l’élection aux charges publiques, révision qui vise à lever l’interdiction de l’usage d’Internet pour les campagnes électorales, fait aujourd’hui l’objet d’un vif débat au Japon. 

Un projet de loi en ce sens a été approuvé à l’unanimité lors de la séance plénière du 12 avril dernier de la Chambre des représentants (Chambre basse), puis par la Chambre des conseillers (Chambre haute, Sénat) le 19 avril. Les mesures de réforme sont donc inscrites dans la loi.

La révision ouvre la porte aux campagnes en ligne

Lors de l’élection de décembre 2012 à la Chambre basse, les dirigeants des principaux partis politiques ont participé à un débat en ligne qui a bénéficié d’une large couverture dans les journaux et les actualités télévisées. Il est clair que ces médias traditionnels, qui ont à charge de diffuser des informations sur les candidats en campagne, sont eux-mêmes fortement concernés par la question de la levée de l’interdiction de l’usage d’Internet pour les campagnes électorales.

À mon avis pourtant, les choses ne vont pas se passer aussi facilement, pas plus que les campagnes en ligne ne vont exercer une influence majeure sur les résultats de la prochaine élection. Depuis 2005, je m’occupe d’un site Internet et je mets en place des forums où les gens peuvent exprimer leurs idées et débattre en ligne. Je veux m’appuyer sur cette expérience pour m’interroger ici sur un certain nombre de tâches auxquelles le Japon va devoir s’atteler après la levée de l’interdiction des campagnes sur Internet, en commençant par réfléchir sur le lien entre les campagnes électorales et les activités politiques.

L’Article 142 de la Loi sur l’élection aux charges publiques stipule que, dans le cadre d’une campagne électorale, la diffusion de tout matériel imprimé ou visuel (à l’exception des cartes postales ou des prospectus) est interdite pendant la période qui commence avec l’annonce officielle des candidatures et se termine le jour du scrutin. Le point crucial est que, avec la révision de la loi, l’usage de l’Internet, jadis rangé dans la catégorie des « matériels imprimés ou visuels » interdits en période de campagne électorale, est devenu légal dans le cadre de ces campagnes. Les partis, les candidats et les électeurs ont la possibilité de mettre à jour des sites Internet, par exemple des blogs ou des comptes Twitter et Facebook, tout au long de la campagne électorale, et les partis et les candidats peuvent diffuser de l’information par courrier électronique.

En termes juridiques, une « campagne électorale » est une « campagne visant à obtenir l’élection d’un candidat spécifique ». Elle relève, autrement dit, de la diffusion d’information dans le but précis d’encourager les gens à voter pour (ou contre) un candidat particulier.

Un débat politique axé sur la peur du risque

La levée de l’interdiction de l’usage d’Internet pour les campagnes électorales permettra aux équipes de campagne d’appeler en ligne les électeurs à voter pour leurs candidats, ou aux électeurs eux-mêmes d’échanger des appels de ce genre. Mais elle peut aussi susciter l’apparition d’un nouveau type de campagnes négatives, visant à discréditer un adversaire politique.

La crainte que le recours à ce genre d’attaques se généralise a suscité un vif débat à la Diète, pour savoir si le droit de se servir du courrier électronique à des fins politiques en période de campagne électorale doit ou non être limité aux partis et à leurs candidats. Compte tenu du considérable anonymat offert par le débat en ligne, certains s’inquiètent en effet qu’il s’avère difficile d’empêcher la diffusion de fausses informations et le recours à des tactiques relevant de la diffamation, de la calomnie ou de l’usurpation d’identité.

Lorsqu’on réexamine le processus qui a mené à la révision de la loi, on a le sentiment que la discussion a accordé une place excessive à l’élimination des risques et à la prévention des problèmes.

Au titre de la Loi sur l’élection aux charges publiques, toute diffusion d’information qui ne relève pas de la catégorie « campagne électorale » peut être considérée comme une « activité politique ». Si j’en crois ce que j’ai appris de mes propres recherches, la quasi totalité des parlementaires japonais se sont engagés dans de telles activités en créant des sites Internet officiels, des lettres d’information diffusées par courrier électronique, des comptes Twitter et autres formules destinées à faire circuler leurs positions politiques et à mettre en valeur leurs initiatives. En ce sens, l’interdiction des campagnes sur Internet n’a pas empêché les politiciens de se servir d’Internet pour la promotion de leurs activités politiques, même si, pour ne pas courir le risque de violer la Loi sur l’élection aux charges publiques, ils se sont abstenus de le faire pendant les périodes officielles de campagne.

Les électeurs attendent des candidats qu’ils expriment franchement leurs opinions

Pour les électeurs, l’intérêt principal de la levée de l’interdiction des campagnes sur Internet réside dans l’opportunité qu’elle leur offre d’obtenir des informations provenant directement des candidats. Contrairement aux médias imprimés ou télévisuels, l’information en ligne permet aux candidats d’exprimer leurs opinions sans contrainte d’espace ou de temps. L’utilisation des médias sociaux a en outre l’avantage d’autoriser une communication à double sens, dans la mesure où elle offre aux électeurs la possibilité de formuler plus directement leurs opinions ou leurs critiques.

Dans cette optique, il se peut que la question cruciale de l’avènement des campagnes sur Internet se réduise à savoir si les politiciens sauront faire montre d’efficacité pour introduire dans leurs campagnes le genre d’activités en lignes auxquelles ils ont déjà l’habitude de se livrer.

On a malheureusement l’impression que les questions qu’on se pose aujourd’hui à la Diète et ailleurs ont tendance à se polariser davantage sur la sécurité que sur la façon dont les activités politiques en ligne auxquelles nous assistons quotidiennement peuvent être étendues aux périodes de campagne électorale et y trouver un emploi efficace.

Les électeurs japonais, quant à eux, considèrent l’Internet comme un outil permettant aux candidats d’exprimer franchement leurs opinions, mieux que les campagnes conventionnelles où les politiciens circulent dans une voiture pourvue d’un haut-parleur  et se contentent de répéter à l’envi leur nom et de demander le soutien des électeurs.

Dans l’état actuel des choses, il me semble que ni les candidats ni les électeurs n’ont encore réussi à mettre pleinement à profit les bénéfices qu’ils peuvent tirer des activités en ligne. C’est pour cette raison que j’ai déclaré d’emblée que l’autorisation des campagnes en ligne a peu de chance d’avoir un impact majeur sur l’élection sénatoriale à venir.

Tirer le meilleur parti des campagnes sur Internet

Si l’on en juge d’après l’histoire de l’Internet jusqu’à ce jour, il semble aller de soi que l’évolution de la technologie va déboucher sur l’apparition en chaîne de nouveaux outils de communication toujours plus fonctionnels et dotés de caractéristiques qu’on ne peut pas imaginer aujourd’hui. Si tel est le cas, il semble improbable que la discussion actuelle, qui porte sur les manières d’éviter les risques et les problèmes, permette d’aboutir à la formulation de normes claires.

Les hommes politiques ont dès à présent accès à des outils adéquats de diffusion de l’information, tels que les blogs et autres types de médias sociaux. Plus on va de l’avant, plus les parlementaires et les candidats vont devoir renforcer leurs compétences en matière de diffusion de l’information ; quant aux électeurs, il va leur falloir comprendre l’esprit de la révision de la loi qui a permis de lever l’interdiction des campagnes sur Internet, et se comporter en conséquence. À cet égard, il y a peu de chance que la campagne en vue de la prochaine élection puisse, à elle seule, fournir un terrain d’entraînement adéquat.

L’esprit qui a présidé jusqu’ici à la Loi sur l’élection aux charges publiques consistait à veiller à ce que les candidats soient sur un pied d’égalité lors des campagnes électorales. On peut s’attendre à ce que la première élection postérieure à la révision de la loi mette en lumière une montagne de nouvelles questions à régler et de cas problématiques où il est difficile d’interpréter l’intention du législateur ou de prendre une décision appropriée. Après l’élection, la question qu’il faudra se poser est celle d’une application souple de la loi. Dans le débat sur l’usage d’Internet, il faut espérer que toutes les parties concernées — parlementaires, fonctionnaires et électeurs — vont garder présente à l’esprit la nécessité de rester tournées vers l’avenir.

La question de l’Internet ne concerne pas que les parlementaires et les candidats qui l’utilisent pour diffuser des informations pendant une campagne. Les médias auront eux aussi besoin du réseau en tant que forum pour rassembler, organiser et comparer ces informations en vue de les transmettre aux électeurs. Dans mon prochain article, j’examinerai diverses initiatives en ce sens et m’attacherai à mettre en lumière l’état actuel des médias en ligne au Japon.

(Adapté d’un article en japonais publié le 12 avril 2013)

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