70 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale : des leçons à tirer pour le monde entier

Politique

Les médias occidentaux ne font-ils pas fausse route sur les questions mémorielles en Asie de l’Est ? Les actes passés du Japon, qui remettaient en question l’ordre international, sont certes critiquables, mais ils ne doivent pas faire oublier les tentatives actuelles de certains pays pour renverser l’ordre établi.

Quelle compréhension des questions de fond ?

En cette année de commémoration du 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, les occasions de revenir sur le passé et de réfléchir aux questions mémorielles sont nombreuses. Si la déclaration préparée par le chef du gouvernement japonais, Abe Shinzô, et sa perception des questions mémorielles suscitent tant d’attention de la part de la Chine et la Corée du Sud mais aussi des nations occidentales, c’est sans doute parce que les débats sur ces questions attisent le nationalisme au Japon comme en Chine, et qu’on peut craindre que ces différends ne débouchent sur un conflit.

Cependant, jusqu’à présent, le débat porté par les principaux médias occidentaux autour de la vision historique du gouvernement Abe est souvent peu constructif, voire contre-productif si l’on admet que l’objectif est d’éviter un conflit et d’assurer la stabilité en Asie. Les parties impliquées, sans s’attacher aux faits, se contentent de débattre de façon superficielle des questions historiques, en s’appuyant sur des principes politiques et un point de vue moral d’aujourd’hui. De plus, ces débats autour de la perception historique du passé du Japon détournent l’attention d’un défi majeur, celui du changement d’ordre mondial actuellement à l’œuvre par la force en Asie de l’Est, une réalité grave à laquelle peu d’attention est accordée.

La position d’Abe Shinzô

Les médias occidentaux se concentrent, aujourd’hui comme hier, sur la question de savoir si les « révisionnistes » japonais cherchent à justifier l’invasion japonaise en Chine dans les années 1930. Il est indéniable qu’il existe des révisionnistes au Japon. Parce que le Japon est un pays démocratique qui garantit la liberté d’expression, où de telles déclarations ne sont pas interdites.

Si le Japon menaçait effectivement ses voisins en renforçant sa puissance militaire et en cédant à une tentation expansionniste, et que de tels signes indiquant une tentative de renverser par la force l’ordre mondial actuel existaient, l’inquiétude face au révisionnisme serait compréhensible. Mais ce n’est pas le cas.

Certains articles présentent Abe Shinzô lui-même comme un révisionniste. Il est certes un homme politique de sensibilité conservatrice, mais, dans le même temps, il soutient fermement l’alliance avec les États-Unis, qui a participé à ériger l’ordre mondial après-guerre. D’autre part, bien qu’il tienne à titre personnel à se rendre au sanctuaire Yasukuni où sont honorés les Japonais morts au combat, loin de remettre en cause l’ordre établi, il en est au contraire un fervent partisan.

Si le révisionnisme pose problème, c’est sans doute par crainte que la justification des invasions passées soit également celle d’une remise en cause de l’ordre mondial à l’avenir. Cependant, à l’heure actuelle, le pays dont on peut craindre qu’il tente de renverser par la force l’ordre établi dans la zone asiatique n’est pas le Japon mais, paradoxalement, précisément celui qui critique sévèrement la perception historique du Japon, à savoir la Chine.

Qui tente de modifier l’ordre mondial établi ?

Il est naturel que la Chine s’inquiète du regard du Japon sur les faits historiques. Que ce pays qui a subi l’invasion du Japon dans les années 1930 exprime ses craintes est normal.

Le problème est que les intellectuels occidentaux ne marquent pas une séparation nette entre les critiques envers la perception japonaise des faits historiques et la tentative chinoise, en mer de Chine méridionale, de modifier par la force l’ordre établi. Cela complique la question et entrave au contraire la réconciliation nippo-chinoise.

Des médias occidentaux m’ont dans le passé posé la question suivante : « Pourquoi le Japon, pour protéger un îlot inhabité (les îles Senkaku), provoque-t-il des tensions inutiles avec la Chine ? »

Voici ce que je leur ai répondu : « Céder sur la question des îles Senkaku reviendrait à céder à la pression exercée par la Chine en envoyant sa flotte ; créer un précédent dans lequel une grande puissance telle que la Chine imposerait par la force à un pays voisin la modification d’un état de fait, aurait un impact négatif sur l’ordre mondial à l’avenir. »

Il s’agit d’un problème du même ordre que l’annexion de la Crimée par la Russie, à laquelle l’Occident a répondu par des sanctions économiques.

Cette année encore, le 3 septembre, la Chine et la Russie célébreront ensemble la victoire sur le Japon lors de la Seconde Guerre mondiale. La légitimité du message de réprobation envers l’invasion japonaise dans le passé repose sur l’hypothèse que la Chine et la Russie soutiennent et acceptent le principe selon lequel l’ordre mondial ne peut être modifié par la force.

Le Japon après la guerre

Le révisionnisme affiché par certains Japonais doit être critiqué ; il n’est pas représentatif de la majorité de la population japonaise, pas plus qu’il ne reflète l’action du Japon depuis 1945.

Après la Seconde Guerre mondiale, pendant 70 ans, le Japon a respecté l’article 9 de sa Constitution dans lequel il renonce à résoudre les conflits internationaux par la force, et a mis en œuvre une stratégie uniquement défensive.

Si cela a été possible dans un environnement international tendu, c’est grâce à l’alliance avec la grande nation militaire que sont les États-Unis ; avant le 1er juillet 2014, afin d’assurer le bon fonctionnement de l’alliance nippo-américaine, le Japon s’interdisait même le droit de légitime défense collective, pourtant normalement nécessaire, au nom de cet article 9.

Si l’on considère une alliance comme une relation de concessions mutuelles, il s’agit d’une autocensure extrême, de nature à mettre en danger l’alliance elle-même. Afin de résoudre ce problème, en juillet dernier, le gouvernement Abe a modifié l’interprétation de la Constitution. Bien que cette modification ouvre partiellement la voie au droit de légitime défense collective, l’esprit de l’article 9, fondé sur une stratégie défensive assurée grâce à un minimum de moyens militaires, reste inchangé.

D’autre part, en 1952, le Kuomintang présidé par Tchang Kaï-chek, que le Japon a directement affronté, a renoncé par grandeur d’âme à son droit aux dédommagements de guerre. Ce renoncement a profondément bouleversé les Japonais, et le Japon a soutenu le développement économique de Taïwan. En 1972, à l’occasion de la reprise des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine, Mao Zedong non plus n’a pas demandé de dédommagements au Japon. Au fil du temps, le Japon a exprimé à la Chine et à ses voisins d’Asie ses regrets et ses excuses pour la colonisation et la Seconde Guerre mondiale, en même temps qu’il leur accordait un important soutien économique et mettait en œuvre des politiques amicales.

Selon le ministère japonais des Affaires étrangères, le montant de l’aide publique au développement (APD) accordée par le Japon à la Chine à partir de 1979 dépasse aujourd’hui 3 000 milliards de yens. En 2007, il a été mis fin aux nouveaux prêts en yens, mais les dons et la coopération technique sont toujours d’actualité. Le quotidien conservateur Sankei Shimbun a calculé qu’en 2011, les dons accordés à la Chine s’élevaient à quelque 13 millions de dollars (sur la base de 1 dollar pour 100 yens) et la coopération technique à environ 287 millions de dollars, soit un total de 300 millions de dollars, se demandant pourquoi le Japon fournissait une telle aide à un pays qui violait de façon répétée les eaux territoriales autour des îles Senkaku, établissait une zone d’identification aérienne en mer de Chine orientale et continuait à adopter des mesures expansionnistes.

Les médias occidentaux, entrave à la réconciliation

Les informations et critiques des médias occidentaux sur la perception japonaise des faits historiques, à force de se concentrer sur les seules déclarations de certains éléments conservateurs, ignorent le comportement pragmatique du gouvernement japonais vis-à-vis de la Chine et de ses voisins. Et ces informations et critiques parcellaires ne peuvent manquer d’entraver la réconciliation nippo-chinoise.

Par exemple, la critique occidentale de la perception japonaise des événements historiques offre une caution internationale au nationalisme anti-japonais chinois, dépeint dans les séries télévisées anti-japonaises régulièrement diffusées en Chine. Dans ces conditions, malgré l’absence de bénéfice tant économique que politique à une opposition prolongée avec le Japon, pour les dirigeants chinois aussi, la réconciliation devient difficile. La poignée de main entre Xi Jinping et Abe Shinzô en novembre dernier au sommet de l’APEC à Pékin est à porter au crédit du dirigeant chinois, mais son expression renfrognée à cette occasion reste dans nos mémoires.

Pour éviter une confrontation entre le Japon et la Chine, il ne suffit pas de critiquer la perception japonaise de l’histoire, il faut nécessairement restreindre les ambitions expansionnistes de la Chine, et la communauté internationale doit débattre de façon équilibrée. Par exemple, à l’heure où nous commémorons le 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, il convient de s’accorder pour refuser fermement les remises en question par la force de l’ordre établi, telle que l’expansion russe en Crimée ou chinoise en mer de Chine méridionale, et s’opposer au révisionnisme enclin à accepter les défis à l’ordre mondial comme ceux lancés par le Japon et l’Allemagne dans les années 1930. Il faut éviter que, par mégarde, le débat sur la perception historique ne vienne justifier les actes visant aujourd’hui à modifier par la force l’ordre établi.

On peut espérer des médias occidentaux, susceptibles de se poser en juge impartial entre le Japon et la Chine, un débat apaisé et une vision claire du passé en Asie orientale, afin d’éviter l’aggravation d’une opposition stérile entre le Japon et la Chine sur les questions mémorielles. La question de la perception de l’histoire est importante pour apprendre des erreurs passées et éviter les confrontations internationales improductives. Les questions historiques ne doivent pas obscurcir notre vision des problèmes internationaux actuels.

(D’après un article original en japonais du 2 avril 2015. Photo de titre : les dirigeants japonais et chinois s’entretiennent pour la première fois depuis longtemps, en marge de l’APEC, le 10 novembre 2014. Jiji Press)

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