Corée du Nord : la Chine est la cible de ses provocations

Politique

Ces derniers temps, la Corée du Nord enchaîne les provocations internationales. Elle a procédé en mai 2015 à un tir expérimental d’un missile mer-sol balistique stratégique, le 6 janvier dernier à un essai nucléaire souterrain et le 7 février à un test déguisé de missile balistique à longue portée.

Quels sont les objectifs de ces démonstrations de force ? Leur raison ? Et à qui sont destinées ces intimidations ? Diverses interprétations circulent. La plupart affirment qu’il s’agit des États-Unis, comme par le passé. C’est en partie vrai pour le tir de missile, puisque le Conseil de sécurité des Nations unies prépare une résolution sur les essais nucléaires.

Mais je pense que depuis l’essai du missile mer-sol balistique stratégique, ces actions ont pris une nature entièrement différente de celles qui les ont précédées. Il ne fait aucun doute que ces actions sont des manifestations destinées principalement à la Chine. Cela signifie que leur message vis-à-vis de la communauté internationale, et particulièrement des États-Unis, est le suivant : « Nous sommes opposés à l’hégémonie chinoise. Cette arme nucléaire peut aussi être une intimidation dirigée contre la Chine. »

La stratégie à long terme de Kim Jong-un

Kim Jong-un qui a succédé au poste de dirigeant suprême de la Corée du Nord à la mort de son père en 2011 a procédé ensuite à l’épuration continuelle des proches et des hauts fonctionnaires qui assuraient la tutelle mise en place par son père. Aujourd’hui, il n’a quasiment plus d’opposition à l’intérieur du pays et il s’est visiblement jugé prêt à lancer ses thèmes à moyen et long terme pour son pays.

Il va sans dire que le premier problème qu’il a à résoudre est le redressement de l’économie qui est dans une situation désespérée. Jusqu’à présent, la Chine a soutenu la Corée du Nord de toutes les manières possibles, mais les demandes qu’il lui a faites n’ont pas conduit aux résultats espérés. Kim Jong-un semble être parvenu à la conclusion que la ligne fondamentale de la Chine quant à l’aide à apporter à son pays est de « ne lui laisser ni la vie ni la mort ». C’est la raison pour laquelle qu’il essaie d’obtenir de l’aide d’autres parties.

La différence avec l’Iran

Kim Jong-un n’a pas hésité à dire à ses proches que la Chine est un ennemi pour cent ans. Selon des informations que j’ai reçues, il a récemment déclaré : « Il ne faut pas craindre de montrer de l’audace face à la Chine. Si elle s’aligne sur les États-Unis et décide de participer aux sanctions, il faudra se résigner à lancer un missile nucléaire contre Pékin. » Ce propos a été tenu en privé mais il n’en est pas moins destiné à être entendu par la Chine.

La seule carte avec laquelle la Corée du Nord puisse négocier avec l’étranger est évidemment les missiles nucléaires sur lesquels elle travaille. La communauté internationale ne peut qu’exiger, comme condition à la levée des sanctions internationales et à la fourniture d’une aide, que la Corée du Nord renonce à ce projet comme l’Iran l’a fait. Mais si Pyongyang abandonne l’arme nucléaire, le régime actuel ne pourra qu’être écrasé par les pressions externes. Le chantage est le seul moyen dont disposent le pays et son dirigeant.

Mais sa nouvelle caractéristique est qu’il n’est pas dirigé contre les États-Unis, la Corée du Sud et le Japon. Tournons-nous à présent vers la signification de la bombe à hydrogène et de ce missile mer-sol balistique stratégique, en liaison avec cette déclaration présentant la Chine comme un ennemi pour cent ans.

La Corée du Nord essaierait, en d’autres termes, de doter ses missiles de têtes plus lourdes alors qu’il n’est même pas certain qu’ils soient capables d’embarquer une arme nucléaire conventionnelle. De plus, elle veut équiper ses sous-marins conventionnels à rayon d’action limitée de missiles sol-mer balistiques stratégiques. Si elle y parvient, quelles seront leurs cibles ? Les États-Unis ne seront pas à leur portée et ce ne pourra être que les pays voisins. Ces nouveaux développements n’ont quasiment aucune incidence sur les États-Unis, mais représentent un menace directe pour la Chine.

Les critiques qu’essuie la Chine de la part de la communauté internationale, et particulièrement des États-Unis, pour ses initiatives en mer de Chine méridionale sont à l’arrière-plan de cette décision de la viser. La Corée du Nord veut justifier sa propre position dans la mesure du possible en prenant une attitude qui va dans ce sens. De plus, elle estime que la Chine ne peut, étant donné les problèmes économiques qu’elle affronte aujourd’hui, prendre de sanctions sévères à son égard.

Les soucis de la Chine

La politique chinoise vis-à-vis de la Corée du Nord est aujourd’hui à un tournant décisif. Il est certain qu’elle hésite sur la conduite à adopter face à ce « chien enragé » : doit-elle le frapper à coups de bâtons, ou l’éviter ? En Chine, des voix s’élèvent pour souligner qu’il est à craindre que si elle laisse la Corée du Nord en faire à sa guise, la Corée du Sud, Taïwan et le Japon en feront un prétexte pour se doter de l’arme nucléaire. L’idée qu’il faut se montrer ferme avec la Corée du Nord gagne du terrain aussi parce que les États-Unis et le Japon commencent à concentrer des forces autour de la péninsule coréenne afin de faire le blocus de la Corée du Nord, ce qui a un impact négatif sur la sécurité et la défense chinoises.

Mais la réalité est les problèmes économiques chinois sont si graves qu’elle n’a pas les moyens de faire preuve d’une fermeté qui plongerait la Corée du Nord dans le chaos. Pour le moment, la Chine n’a d’autre choix que continuer à se montrer prudente.

Jusqu’à présent, elle s’est servi de la question du nucléaire et des missiles nord-coréens comme une carte pour négocier avec les États-Unis. Mais aujourd’hui, elle se fait mordre la main par ce « chien enragé ». La menace nucléaire et des missiles sur la Chine est devenue la carte que veut jouer la Corée du Nord pour négocier avec les États-Unis.

Quelle issue pour ce conflit entre la Chine et la Corée du Nord ?

Quelle évolution peut-on attendre de cette situation ? Si la Chine appliquait des sanctions économiques sérieuses, l’économie nord-coréenne s’écroulerait en six mois ou un an au plus. On peut s’attendre à ce qu’elle intensifie dans un premier temps ses actions menaçantes pour l’extérieur. Il est très possible que la Corée du Nord procède au lancement de plusieurs missiles et à un cinquième essai nucléaire, avant le congrès du Parti des travailleurs nord-coréen de mai prochain, ainsi qu’à un tir expérimental de missile mer-sol balistique stratégique. Le dernier tir était une simulation, et le prochain sera probablement lancé d’un sous-marin.

La Corée du Nord ne renoncera pas à l’arme nucléaire et acceptera tout au plus un compromis par lequel elle gèlera indéfiniment les essais nucléaires en échange d’une aide économique à moyen et long terme. Ce stratagème est probablement plus destiné à la Corée du Sud qu’à la Chine ou aux États-Unis.

Les actions de Kim Jong-un peuvent paraître irréfléchies, mais elles sont fondées sur ce qui est à ses yeux un jugement rationnel. Ce n’en est pas moins un coup de poker qu’il espère gagnant. Pour ma part, je pense qu’il a une chance sur deux. Mais il est certain que l’environnement actuel de la Corée du Nord est plus difficile que jamais aujourd’hui puisqu’elle a choisi d’inclure la Chine dans les cibles de son chantage nucléaire.

(D’après un texte original en japonais du 3 février 2016. Photo de titre : l’image de l’essai nord-coréen d’un missile mer-sol balistique stratégique qualifié de succès par Pyongyang. YouTube / Jiji Press)
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