Emploi « non-régulier », un concept flou

Société

Aujourd’hui, 40 % des employés sont titulaires d’un « emploi non-régulier ». Le gouvernement d’Abe Shinzô a décidé de promouvoir, durant la session parlementaire en cours, le slogan « à travail égal, salaire égal » afin de réduire les disparités salariales entre employés dits « réguliers » (seishain, un contrat permanent) et « non-réguliers » (hi-seishain, un contrat précaire).

Cependant, la route est longue et sinueuse. Les entreprises refusent de voir grossir leur masse salariale pour cause d’augmentation forcée du salaire des employés précaires. Dans le même temps, les syndicats craignent une dégradation des conditions salariales pour les employés permanents, à la faveur d’un nivellement par le bas. Tout le monde s’accorde à dire que les disparités de salaire entre ces deux statuts doivent disparaître mais, dans les faits, le passage à l’acte suscite des antagonismes virulents.

Pleins feux sur les employés non-réguliers

Pas un jour ne passe sans voir les termes « employé régulier » et « employé non-régulier » évoqués dans la presse et les autres médias. Depuis quand les contrats précaires attirent-ils une telle attention ? Une recherche par mot-clé dans le quotidien Asahi Shimbun montre l’évolution de l’occurrence des termes seishain (employé régulier) et hi-seishain (employé non- régulier) dans les articles du journal, visible dans le graphique ci-dessous. En 2015, le mot seishain figurait dans 565 articles, contre 110 pour le mot hi-seishain. C’est en 2001 que, pour la première fois, le terme seishain apparaissait dans plus de 300 articles, alors que jusqu’en 1993, on le trouvait dans moins de cent articles chaque année.

Une définition floue

Soulignons également que la catégorie « employé régulier », seishain, ne possède pas de définition précise. Étonnamment, dans la législation japonaise relative au travail, le terme d’« employé régulier » n’apparaît pas. Un « employé régulier », sous contrat à durée indéterminée, est assuré de rester employé à temps plein par la même entreprise, en contrepartie de quoi il doit être polyvalent et mobile : telle est l’image qu’on se fait du seishain. Cependant, aucun cadre législatif ne précise la durée de ce contrat ni la diversité des affectations de l’employé. De ce fait, légalement, le statut d’« employé régulier » n’existe pas.

Dans ce cas, quel est le statut d’« employé non-régulier », qui touche aujourd’hui 40 % des employés ? À vrai dire, les statistiques gouvernementales sur les employés réguliers et non-réguliers reposent sur un fondement peu stable, celui de savoir si, sur son lieu de travail, l’employé est considéré comme un seishain ou non.

Pour un même travail, un employé peut être considéré ici comme seishain, et là comme hi-seishain. Au niveau légal, rien n’oblige une entreprise à conférer à un employé le titre de seishain dans telles ou telles conditions. Le statut d’employé régulier ou non-régulier est donc extrêmement opaque.

On imagine souvent l’employé non-régulier comme un travailleur affecté à des tâches simples, mais ce n’est pas toujours le cas. Nombre d’entre eux occupent des postes qui demandent de l’expérience et un savoir-faire spécialisé. Ils se sentent souvent rabaissés par ce terme de hi-seishain. Il est temps de supprimer cette appellation discriminatoire et négative.

La durée du contrat, un facteur clé

Le cœur du problème est la durée du contrat, qu’il soit à durée indéterminée (CDI) ou déterminée (CDD). La législation impose, lors de la conclusion d’un contrat de travail, de préciser par écrit le salaire, le lieu et la nature du travail, les horaires, les jours de repos et l’âge de la retraite, ainsi que la durée du contrat. Celle-ci doit être caractérisée : indéterminée ou déterminée et, dans ce dernier cas, le nombre d’années et les conditions de renouvellement du contrat doivent également être stipulées.

Dans le cas d’un CDD, la durée maximale est fixée à trois ans. En cas de renouvellement, au bout de cinq ans, le travailleur peut demander à passer sous CDI, ce que l’employeur est tenu d’accepter. Il existe une exception, pour les emplois hautement spécialisés, souvent confiés à des étrangers : la durée maximale du CDD est de cinq ans, avec possibilité de passage en CDI au bout de dix ans.

La loi sur les contrats de travail comporte également des règles précises concernant la rupture du CDD. Hors cas de force majeure, il ne peut être rompu avant son terme. La loi précise aussi qu’il faut éviter de fixer une durée trop courte, qui obligerait à des renouvellements de contrat fréquents.

Les travailleurs qui ne bénéficient pas du statut d’employé régulier sont souvent en contrat à durée déterminée, mais cela ne signifie pas, d’un point de vue légal, qu’ils peuvent être licenciés librement. Malgré tout, certaines personnes estiment que le non-renouvellement du contrat, lorsqu’il arrive à terme, relève du bon vouloir de l’employeur ; c’est une erreur.

Le non-renouvellement d’un CDD doit être annoncé à l’avance, et justifié si le travailleur en fait la demande. Lorsque les raisons invoquées manquent d’objectivité ou de légitimité, le non-renouvellement du contrat peut être soumis à conditions.

Le remplacement du concept d’employé non-régulier par celui de CDD déboucherait sans doute sur une meilleure compréhension des règles régissant l’emploi.

Pour davantage de CDI et des CDD longs

Quels types de contrat de travail trouve-t-on aujourd’hui ? Le tableau ci-dessous clarifie les relations entre le statut de l’employé (tel qu’il est considéré dans l’entreprise) et la durée de son contrat de travail.

Total CDI CDD Inconnu
Effectif global 5 354 (100 %) 3 670 (69 %) 1 212 (23 %) 445 (8 %)
Employés réguliers 3 311 (100 %) 3 054 (92%) 135 (4 %) 121 (4 %)
Employés non-réguliers 2 043 (100 %) 616 (30 %) 1 076 (53 %) 323 (16 %)
Temps partiel 956 (100 %) 371 (39 %) 438 (46 %) 135 (14 %)
Arubaito (petit boulot) 439 (100 %) 157 (36 %) 149 (34 %) 128 (29 %)
Intérimaire 119 (100 %) 18 (15 %) 84 (71 %) 16 (13 %)
Contractuel 291 (100 %) - 270 (93 %) 19 (7 %)
Provisoire 119 (100 %) 18 (15 %) 95 (79 %) 6 (5 %)
Autre 119 (100 %) 52 (44 %) 41 (35 %) 20 (17 %)

Source : tableau établi par l’auteur à partir de l’« Enquête fondamentale sur la structure de l’emploi » (2012) du bureau des statistiques du ministère des Affaires intérieures et des Communications.

N.B. : en raison de l’absence de réponse sur la durée du contrat de travail dans certains cas, le total n’atteint pas toujours 100. Les administrateurs sont exclus des effectifs.

Les salariés sous CDI, pour lesquels le contrat ne prévoit pas une durée fixe, constituent 69 % du total. Dans le cas des « employés réguliers », la proportion de CDI est écrasante, à 92 %. Inversement, tous les employés non-réguliers ne sont pas en CDD. Environ 30 % d’entre eux bénéficient d’un contrat de travail à durée indéterminée, comme le montre ce tableau.

Le CDI permet au salarié de construire son avenir. Pour les entreprises, il est le gage de la présence d’une main-d’œuvre qualifiée, même en période de pénurie. Afin de promouvoir la formule « à travail égal, salaire égal », dès lors que le travail effectué est équivalent à celui d’un emploi normal en CDI, les mêmes règles doivent être appliquées aux salariés, qu’ils bénéficient ou non du statut d’employé régulier.

Parmi les personnes en situation précaire, celles sous CDD d’une durée inférieure à un an sont statistiquement considérées comme des « travailleurs temporaires ou journaliers ». Cette catégorie représente 15 % de la totalité des employés, et 38 % des employés non-réguliers (hi-seishain). Dans les catégories intérimaire, contractuel et provisoire, plus de la moitié des travailleurs sont des « temporaires ou journaliers ». De plus, les salariés bénéficiant des plus longs contrats, et en particulier ceux en CDI, se voient offrir davantage d’opportunités de formation sur le lieu de travail. Pour faire progresser le nombre de personnes avec un emploi stable, il convient d’augmenter le nombre de CDI et d’encourager les CDD de longue durée.

Des travailleurs au contrat fluctuant

Il existe une catégorie de travailleurs encore plus précaires que les employés temporaires et les journaliers : ceux qui ignorent la durée de leur contrat de travail. D’après notre tableau, ils sont quelque 4,45 millions, soit 8 % de l’ensemble des travailleurs. 16 % des personnes n’ayant pas le statut d’employé régulier ne connaissent pas la durée de leur contrat de travail. C’est le cas de 29 % des personnes effectuant un arubaito, ce qu’on appelle un « petit boulot ». Les catégories les plus touchées sont les jeunes, jusqu’à 25 ans environ, et les personnes âgées de plus de 60 ans. Ce phénomène touche davantage les femmes que les hommes, les très petites entreprises et les personnes qui changent souvent d’emploi.

Les travailleurs dont le contrat ne stipule aucune durée gagnent moins que les employés bénéficiant d’un CDI ou même d’un CDD, et souvent leur employeur ne leur offre pas de formation. Le Japon doit s’efforcer de promouvoir les CDI et les CDD de longue durée, mais aussi de réduire le nombre de travailleurs très précaires, dont le contrat ne stipule aucune durée.

(D’après un texte original écrit en japonais le 15 février 2016. Photo de titre : des étudiants à un séminaire d’entreprise, Tokyo, août 2015. Jiji Press)
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