La recherche d’emploi des étudiantes japonaises en fin d’études

Société

Dans le second volet (voir le premier volet) de cette tentative de mettre au jour les évolutions de la société japonaise à la lumière de la recherche d’emploi des futurs diplômés, nous comparons celle des jeunes étudiantes (joshidaisei) d’hier et d’aujourd’hui. On parle aujourd’hui d’un regain d’intérêt chez elles pour le statut de femmes au foyer, mais est-ce vraiment le cas ? En toute honnêteté, l’expression « joshidaisei », c’est-à-dire au sens large étudiantes de sexe féminin, et au sens étroit, étudiantes d’universités féminines, m’embarrasse, car elle fleure l’époque de l’économie de la bulle spéculative des années 1980. Mais étant donné que subsistent au Japon des différences liées au genre en matière de recherche d’emploi, un état récapitulatif des problèmes et des difficultés rencontrés par les femmes n’est pas sans intérêt.

L’image dominante qu’avaient les anciennes générations des jeunes étudiantes était sans doute conservatrice, liée à l’ère Shôwa (1925-1989) : une jeune étudiante trouvait à la fin de ses études un emploi dans une grande société qu’elle quittait après son mariage pour devenir femme au foyer. J’ai fini mes études peu après l’adoption de la loi qui instaurait l’égalité des hommes et des femmes face à l’emploi, à l’époque de la bulle dont j’ai parlé plus haut. Vingt-cinq ans plus tard, j’ai dirigé pendant trois ans le centre « Carrière info » d’une université féminine, et je dois avouer que l’évolution à laquelle nous assistons ces dernières années m’étonne. Elle dépasse ce que j’avais imaginé.

Je voudrais d’abord préciser que je parle ici de l’évolution de la situation moyenne des étudiantes des universités privées de Tokyo, et non pas de l’ensemble(*1). Je voudrais réfléchir aux changements intervenus dans l’économie et la société à partir des grandes lignes des changements qu’a connus la génération des filles de la « classe qui a fourni le type du modèle des femmes au foyer de la fin de l’ère Shôwa ».

Des « OL » en voie de disparition

Jusqu’à il y a quelques dizaines d’années, il suffisait de se conformer en matière de recherche d’emploi au choix qui conduisait au modèle selon lequel les garçons étaient destinés à assumer leur rôle de chef de famille, et les filles à devenir des épouses et des mères élevant leurs enfants. Avant l’adoption en 1986 de la loi instaurant l’égalité des sexes face à l’emploi, les étudiantes, même si elles étaient diplômées de l’Université de Tokyo, étaient presque toutes recrutées pour occuper un emploi « ippan shoku » (filière généraliste)(*2). Mais aujourd’hui, la filière des généralistes est devenue une porte étroite, particulièrement dans le cas des grandes entreprises en vogue. Nombreuses sont en effet les entreprises qui ont diminué le nombre de recrutements dans cette filière maintenant que l’emploi est devenu plus flexible. Elles font appel aux sociétés de travail temporaire pour ce genre de tâches. Les filières généralistes qui subsistent recherchent aujourd’hui des compétences de haut niveau, comme le fait d’être bilingue ou d’être un commercial. On peut parler de « super ippan shoku ».

Je travaille pour une université qui est souvent vue comme un lieu où l’on forme des OL de grandes sociétés, mais le pourcentage de nos diplômées qui sont recrutées dans une filière généraliste est de l’ordre d’un peu plus de 20 %. La compétition pour y accéder est féroce car les sociétés par qui elles souhaitent être embauchées sont très recherchées (il s’agit notamment de méga-banques). Plus de 50 % d’entre elles ont trouvé du travail dans « sôgô shoku », les filières qui ouvrent aux fonctions de cadres, c’est-à-dire dans une forme d’emploi où l’égalité des sexes est une réalité. Pour autant que je puisse en juger d’après l’université où je travaille, la tendance des entreprises, pour ce qui est des embauches en CDI, dans l’époque très compétitive qui est la nôtre, est de rechercher avant tout les résultats, sans distinction de sexes : ceux qui ne produisent pas de bénéfices ne reçoivent pas de primes bi-annuelles, et les entreprises font de plus en plus appel aux employés envoyés par les agences de travail temporaire. C’est probablement un des facteurs de la diminution des postes de la filière généraliste et de l’augmentation de la filière qui ouvrent aux fonctions de cadres.

(*1) ^ Le taux d’accès à l’enseignement supérieur (universités offrant un cursus de quatre ans) était en 2013 de 54 % pour les garçons, et de 45,6 % pour les filles (chiffre qui passe à 55,2 % quand on inclut les universités offrant un cursus de deux ans).

(*2) ^ L’image de ce « cadre général » est souvent associée à celles qu’on appelle les OL, abréviation d’Office Ladies, c’est-à-dire des employées chargées de servir le thé et de faire des photocopies, même si en réalité elles sont chargées de tâches de haut niveau, bien que leur avancement au sein de leur société soit souvent bien plus lent que celui de leurs collègues masculin, et leur salaire moins élevé.

Du plan de carrière au plan de vie

Dans un tel environnement, les difficultés rencontrées par les jeunes étudiantes dans leur recherche d’emploi sont importantes. Elles ont trop de choix. La filière généraliste d’une grande société, ou la celle qui mène à un futur poste d’encadrement dans une PME ou une start-up. Un poste de généraliste ou de spécialiste ? Et pour celles qui viennent de province, une recherche d’emploi dans leur région d’origine ou dans une des métropoles japonaises ? Il va sans dire que parallèlement à ces possibilités, un certain nombre d’étudiantes ne renoncent pas à leur rêve d’enfant, devenir hôtesse de l’air ou travailler à la télévision. Dans le cas des filles, nombreuses sont celles qui ne réfléchissent pas seulement à la société pour laquelle elles souhaitent travailler, à l’emploi qu’elles souhaitent occuper, mais aussi à la vie qu’elles veulent mener. Les aspirations qu’elles expriment changent aussi. Ces dernières années, le nombre de celles qui disent vouloir travailler toute leur vie connaît une augmentation remarquable.

Peut-être parce que je travaille dans une université féminine, la moitié des étudiantes de première année disent qu’elles souhaitent, après qu’elles auront terminé leurs études, trouver un emploi dans la filière généraliste d’une grande société, puis se consacrer à leur foyer et à l’éducation de leurs enfants, et retrouver du travail à temps partiel quand leurs enfants auront grandi. Mais au fur et à mesure qu’elles avancent dans leurs études, elles ne tiennent plus en général le même discours. Les raisons qui les font changer d’avis sont les suivantes : elles disent ne pas être certaines de pouvoir marier, de réussir à gagner leur vie si d’aventure elles divorçaient, ou encore d’être capable de faire face au cas où l’entreprise de leur mari lançait un plan de restructuration ou si elle faisait faillite. Les étudiantes qui ont vécu de telles situations dans leurs familles ne sont plus rares. De plus, les médias abordent souvent la pauvreté des mères célibataires, et elles se sentent concernées.

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La conscience de leurs parents a aussi évolué. Ils sont moins nombreux à dire : « Notre fille n’est pas une bosseuse, et elle n’a pas non plus besoin de l’être. Le mieux pour elle serait de travailler comme OL, puis de cesser quand elle se mariera. » Cette façon de penser était typique de l’ère Shôwa. Mais de plus en plus de participants aux séminaires de recherche d’emploi destinés aux parents, qui fleurissent depuis la crise financière de 2008, disent qu’ils voudraient que leurs filles trouvent un travail qui lui permette de gagner leur vie toute leur vie, même si ce n’est pas pour une entreprise de premier rang.

J’en ai déjà parlé la dernière fois, mais la stagnation de l’économie japonaise et l’accélération du vieillissement démographique favorisent sans doute le changement des modes de travail. Au niveau des politiques gouvernementales, comme à celui des entreprises qui peinent à recruter la main-d’œuvre dont elles ont besoin, ainsi qu’à celui du revenu des foyers qui tend à baisser, on a besoin que les femmes travaillent. Cela fait que les choix avantageux ne sont pas les mêmes que l’on opte pour la voie de femme au foyer comme dans la génération précédente ou pour celle qui permet de travailler toute sa vie. Il est donc important d’avoir non pas un plan de carrière mais un plan de vie, et donc que l’on se pose la question de savoir si le futur employeur permettra le travail, mais aussi le mariage et la maternité.

Le statut de femme au foyer, un symbole de richesse ?

On lit souvent des articles affirmant que les jeunes filles ont de plus en plus le désir de devenir femme au foyer. Est-ce vraiment le cas ? Lorsque je pose la question aux jeunes étudiantes, la majorité me répond qu’une vie de femme au foyer leur paraît ennuyeuse, et qu’elles préféreraient continuer à faire un travail intéressant. Rares sont celles qui me disent qu’elle souhaitent le devenir. Plus personne ne parle comme autrefois de contribuer au travail domestique. Il ne fait aucun doute que les étudiantes qui passent plus de temps à faire des petits jobs et à s’amuser qu’à se consacrer à leur études sont celles qui une fois qu’elles quittent l’université deviennent des barikyari (comme on appelle les femmes qui ont un haut niveau d’études et font de leur carrière la priorité).

Les femmes de la génération de leurs mères pouvaient choisir de devenir uniquement femmes au foyer ; c’était une option réaliste et pratique. Mais ces dernières années, le revenu des hommes a tendance à baisser, et il n’est plus rare que leurs épouses travaillent. Il me semble que la jeune génération interprète l’expression « femme au foyer » de cette façon : « Femme au foyer ? Volontiers ! À condition d’en avoir les moyens. » Cela signifie en d’autres termes devenir une épouse appartenant à la classe fortunée. Il est possible que devenir femme au foyer soit devenu une perspective inaccessible, étant donné que seules les familles à hauts revenus peuvent se le permettre.

Je demande chaque année aux étudiantes comment elles s’imaginent une fois qu’elles auront une trentaine ou une quarantaine d’années afin qu’elles envisagent leur plan de carrière à moyen terme. Nombreuses sont celles qui me décrivent, outre différentes professions, la poursuite d’un travail qui ait un sens, tout en ayant trouvé un partenaire de préférence à hauts revenus, et en s’occupant et de leur foyer et de leurs enfants. Elles ajoutent bien sûr qu’elles veulent continuer à être des femmes attractives quel que soit leur âge. Des superwomen, en d’autres termes.

Peut-on concilier travail et famille ?

Mais il faut surmonter de nombreux obstacles pour devenir une superwoman. Peut-on trouver un employeur désirable qui offre son soutien, un environnement professionnel avec des femmes qui réussissent déjà à cumuler ces deux objectifs ? A-t-on des parents prêts à offrir leur coopération en ce sens ? Les étudiantes qui viennent de province ont du mal à abandonner les attraits de la grande ville, alors que leurs parents préféreraient les voir revenir près d’eux. Mais la vie à Tokyo est trop chère. De nombreuses étudiantes mènent leur recherche d’emploi avec la ferme résolution de trouver un emploi de cadre, indispensable à leurs yeux pour pouvoir rester à Tokyo, en raison des salaires élevés qu’ils offrent (même si quelques-unes d’entre elles ont la chance exceptionnelle d’avoir des parents qui pourront continuer à payer leur loyer même une fois qu’elles auront terminer leurs études.) Cela conduit certaines étudiantes à choisir de mener leur recherche d’emploi non pas à Tokyo mais dans la région d’où elle viennent. Elles hésitent cependant souvent à le faire, car il y a moins de perspectives en province où les salaires y sont moins élevés, et plus encore parce que l’ambiance y est plus conservatrice et que les hommes y reçoivent un traitement de faveur.

On ne saurait trop dire que les entreprises et le gouvernement doivent faire en sorte de créer un environnement qui favorise le travail des femmes. Mais à l’heure actuelle, alors même que les choses évoluent rapidement, les jeunes femmes doivent avoir une approche plus stratégique que les jeunes hommes dans leur recherche d’emploi.

(D’après un original en japonais du 1er mai 2016. Photo de titre : les étudiant présents à la cérémonie de fin d’études de l’Université de Tokyo, le 25 mars 2016 dans l’arrondissement de Bunkyô à Tokyo. Jiji Press)
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