De l’importance de l’éducation des jeunes filles musulmanes

Société

L’année dernière, lorsque je préparais les symposiums du Centre d’études islamiques contemporaines au Japon (CCISJ), j’ai souhaité aborder le thème du soutien à la scolarité des jeunes filles musulmanes. Malala Yousafzai, grièvement blessée dans une attaque menée par le Mouvement des Talibans du Pakistan (TTP), a reçu le prix Nobel de la paix pour ses appels en faveur de l’éducation des filles. Nabila Rehman a elle aussi été victime d’une frappe antiterroriste dans les régions tribales du Pakistan ; blessée par un missile largué par un drone américain, elle a perdu sa grand-mère dans la même attaque. Je savais, grâce à un article du quotidien britannique The Guardian,qu’elle avait témoigné devant le Congrès américain, où elle a plaidé pour l’arrêt des frappes utilisant des drones. Cet article soulignait la différence du traitement réservé à ces deux jeunes filles. Alors que Malala, victime d’une attaque des talibans qui sont aussi les ennemis de l’Amérique, a été reçue par le président Obama en personne, le témoignage de Nabila s’est déroulé devant seulement cinq des 435 membres de la Chambre des représentants, une situation qui montre clairement le désintérêt et la froideur de la classe politique américaine pour les victimes des frappes erronées de leur propre armée.

L’éducation plutôt que la vengeance

Dans les zones tribales du Pakistan, le taux d’alphabétisation est extrêmement faible, et encore plus pour les filles, dont seulement 3 % savent lire et écrire. Sans éducation, les enfants et les jeunes n’ont aucun avenir. Depuis juin 2014, Nabila est une réfugiée dans son propre pays, déplacée en raison de la contre-attaque menée par l’armée pakistanaise contre les talibans, et elle ne pouvait pas aller à l’école. La jeunesse des zones tribales, faute d’éducation, se tourne vers la lutte armée pour gagner sa vie, ce qui ne fait qu’envenimer la situation.

Afin d’alerter la société japonaise sur le problème des victimes civiles des attaques de drone et de relayer l’appel de cette fillette pakistanaise privée d’éducation à cause de la lutte antiterroriste, nous avons organisé un symposium. Eduquer les filles, c’est leur offrir un rôle plus important dans la société, initier une baisse de la natalité, diminuer le nombre de jeunes au chômage. C’est contribuer à la stabilité sociale et à la paix. À travers Nabila, nous souhaitions mettre en relief l’importance du soutien à l’éducation des jeunes filles musulmanes.

Nous avons contacté Nabila par l’entremise d’amis pakistanais, et le symposium a pu être organisé. Nous l’avons ainsi rencontrée en novembre dernier ; nous avons découvert une jeune fille calme et intelligente, dotée d’une ferme volonté et d’un sourire adorable.

Lors du symposium, elle s’est exprimée avec assurance : « Chez nous, nous ne sommes pas en mesure de recevoir une véritable éducation. Les sommes faramineuses dépensées pour la guerre devraient être consacrées à l’éducation et aux écoles. Le cycle actuel d’attaques et de représailles ne résoudra rien. Plutôt que de se venger, il faut trouver une solution par le dialogue. La paix ne s’obtient pas en combattant. L’éducation doit être développée. »

La plaidoirie de Nabila pour l’éducation a été largement relayée au Japon, où on l’a surnommée la « nouvelle Malala ».

Nabila lors du symposium, à Tokyo, le 16 novembre 2015.

Hiroshima et l’avenir du Pakistan

Le lendemain du symposium, nous avons emmené Nabila à Hiroshima. Le bombardement atomique de Hiroshima et la formidable reconstruction de la ville sont connus dans le monde musulman aussi. Nous pensions que montrer Hiroshima à cette jeune Pakistanaise des zones tribales affectées par la guerre lui redonnerait espoir.

Les Pakistanais savent bien qu’une bombe atomique a été larguée sur Hiroshima. Lorsque nous sommes arrivés sur place, devant les immeubles édifiés aux abords de la guerre, Nabila et ses accompagnateurs n’ont pas caché leur surprise : était-ce vraiment ici que le bombardement nucléaire avait tout rasé ?

Nabila devant les photos du Musee du memorial de la paix d'Hiroshima, le 18 novembre 2015.

C’est la survivante de la bombe atomique Ogura Keiko qui a fait visiter le Musée de la paix de Hiroshima à Nabila. Mme Ogura a fondé en 1981 le Groupe d’interprètes de Hiroshima pour la paix (HIP), dont les membres transmettent en anglais l’expérience du bombardement. Mme Ogura, irradiée à huit ans, l’âge auquel Nabila a subi une attaque de drone, a invité la jeune fille à « affronter ensemble les "mauvaises choses" qui mènent à la guerre ». Nabila a souligné « l’importance du dialogue ».

En écoutant les explications de Mme Ogura, Nabila a ressenti « une proximité avec son pays, où la guerre fait rage », et elle a réitéré sa volonté de « rappeler à la communauté internationale le sens de la paix, pour faire cesser les conflits ». Pour finir, Mme Ogura a souligné que « même confronté aux attaques les plus dures, il ne faut ni haïr les gens ni leur en vouloir. Les habitants de Hiroshima et de Nagasaki ont subi la terrible expérience du bombardement atomique, mais ils n’ont jamais cherché à se venger de l’Amérique. » Nabila a fermement acquiescé à ces paroles sans doute lourdes de sens pour elle qui est née et a grandi dans un enchaînement d’attaques et de représailles.

Donner accès à l’éducation

L’histoire de Nabila est poignante. De retour au Pakistan, elle ne pourrait toujours pas aller à l’école. Vu son âge, il était urgent de lui offrir la possibilité d’étudier.

Le député Ozawa Sakihito, ministre de l’Environnement quand le Parti démocrate du Japon était au pouvoir, faisait partie du même club de base-ball que moi au collège. Je lui ai parlé de Nabila, une fois la fillette repartie au Pakistan. Construire une école près de chez elle dans le cadre de l’aide publique au développement fournie par le Japon aurait pris trop de temps. M. Ozawa m’a promis son soutien pour aider la jeune fille à étudier dans les meilleurs délais.

Avec son soutien, nous avons mis en place fin février une Collecte pour Nabila(*1) afin de rassembler des dons pour lui permettre d’aller à l’école. Informée de cette campagne, une école pakistanaise lui a ouvert ses portes et, depuis le 14 mars, Nabila fréquente cet établissement de Peshawar en compagnie de ses six frères et sœurs.

The Smart School est située en banlieue de Peshawar, dans un quartier résidentiel paisible et plein de verdure. Les cours sont dispensés en anglais et il y a aussi une initiation à l’informatique, c’est un environnement idéal pour développer les facultés de Nabila. Son père, Rafiq, qui l’a accompagnée au Japon, est enseignant et il souhaitait vivement qu’elle fréquente cet établissement de Peshawar, ville où ils ont également de la famille.

Début avril, je suis allé rendre visite à Nabila. Je voulais montrer aux donateurs des images d’elle à l’école. Dès mon arrivée, Rafiq m’a serré dans ses bras. Nabila, souriante, était également ravie de me revoir. Leur attitude laissait deviner à quel point ils avaient un bon souvenir du Japon.

« J’ai été ravie de pouvoir m’exprimer devant les Japonais », m’a confié Nabila. « Les Japonais sont polis et gentils, je les aime beaucoup. Leur hospitalité m’a émue. Quand j’ai parlé des drones aux États-Unis, peu de gens sont venus m’écouter. Je pensais que le monde était ainsi, mais au Japon, j’ai découvert un autre univers, des gens différents. Je suis reconnaissante d’avoir pu aller au Japon pour parler de l’importance de l’éducation et du drame qu’est la guerre menée par les Américains. »

« Mon souvenir le plus fort est le Kinkaku-ji. Sa forme et sa couleur sont superbes, ainsi que le jardin. » Le 17 novembre 2015 à Kyoto, devant le temple Kinkaku-ji.

Dans les pays en développement, nombreux sont les enfants qui n’ont pas accès à l’école. C’est sans doute encore plus vrai dans les pays musulmans du Moyen-Orient, où les conflits et la violence font rage. Nabila, née en 2004, n’a connu que la « guerre contre le terrorisme », qui a débuté en 2001 dans les zones tribales du Pakistan. En l’aidant à suivre sa scolarité, nous souhaitons souligner l’importance vitale de l’école pour l’avenir des jeunes, afin de mettre un terme à la violence dans le monde non par les armes, mais par l’éducation. Nous voulons également montrer aux Japonais et aux gens du monde entier le rôle que peut avoir le Japon dans la lutte contre le terrorisme et dans la construction de la paix.

(Photo de titre : Nabila en classe à The Smart School de Peshawar, photo prise le 4 avril 2016 par l’auteur.)
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(*1) ^ Pour adresser vos dons à la Collecte pour Nabila : Bank of Tokyo-Mistubishi UFJ, Akasaka-mitsuke branch, account number 0280580, Center for Contemporary Islamic Studies in Japan Nabila Donation. Depuis le 9 mai, vous pouvez donner par le biais du système de Softbank « Kazashite bokin » lié à la facturation de votre abonnement de téléphonie mobile (https://ent.mb.softbank.jp/apl/charity/sp/careerSelect.jsp?corp=359). Merci d’avance de votre générosité.

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