Les « spaghettis à la napolitaine » font bien partie de la culture culinaire japonaise

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Le comité intergouvernemental de l’Unesco, réuni à Bakou en Azerbaïdjan le 4 décembre 2013, a inscrit le « washoku », la tradition culinaire japonaise, sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Le comité a reconnu le washoku comme un moyen d’expression de l’esprit japonais de respect envers la nature, et une coutume traditionnelle qui transcende les générations.

Le « yôshoku », la face cachée de la cuisine nippone

La décision de l’Unesco  apporte un regain d’intérêt à la culture culinaire « locale » du Japon. Mais le washoku n’est qu’une moitié de la vie culinaire de l'Archipel. N’oublions pas son pendant, le yôshoku, que nous définirons comme une « cuisine occidentale à la japonaise ». Certains des plats les plus appréciés au Japon, dont une bonne part des recettes « plaisir » de la cuisine familiale, appartiennent à cette catégorie : Omuraisu (omelette + rice), Korokke (croquette), et curry japonais.

Certains puristes objecteront qu’adapter certaines des recettes préférées d’un pays étranger est une abomination. Et avouons qu’ils n’ont pas toujours tort. Mais il faut également reconnaître que sans ces histoires de pollinisations gastronomiques croisées, les cartes des restaurants seraient beaucoup moins garnies. Ainsi, l’un des plats de yôshoku les plus typiques est « Napolitan », une mixture à base de spaghetti qui n’entretient qu’un rapport assez lointain avec le plat italien à qui il doit son nom : les Spaghetti alla Napoletana.

Vous n’avez pas besoin de beaucoup d’ingrédients pour faire des Napolitan : des spaghetti, évidemment, oignon, poivre vert, champignons, saucisses (ou jambon), et ketchup. Pendant que vous faites bouillir les spaghetti, faites frire les autres ingrédients, puis mélangez le tout directement dans la poële avec une bonne rasade de ketchup.

Naissance des spaghetti « Napolitan »

Il semblerait que le Napolitan soit apprécié non pas tant pour son goût que pour la charge nostalgique qu’il véhicule. Pour les foules des cinquantenaires et au-delà — des hommes essentiellement — un Napolitan au déjeuner, c’est un plaisir proustien assuré. Son nom à lui seul fleure bon le milieu de l’ère Shôwa, entre le milieu des années 1950 et le milieu des années 1970, période de croissance rapide qui est devenue synonyme de « bon vieux temps ».

La version généralement admise de l’histoire du Napolitan est que la recette aurait été conçue à l’origine par Irie Shigetada, Chef de cuisine du New Grand Hotel à Yokohama. Il aurait puisé son inspiration — appelons ça comme ça — en voyant des soldats américains des forces d’occupation avaler des platées de spaghetti au ketchup. Irie remplaça le ketchup avec de la purée de tomate, et y ajouta oignons, jambon et champignons. La recette originale est toujours au menu du Café du New Grand Hotel.

Il baptisa sa recette Napolitan, semble-t-il en référence au plat de spaghetti et tomates fraîches que l’on sert à Naples. À vrai dire, certains ont prétendu qu’il existait déjà au Japon avant la guerre des recettes de plats « Napori-fû », autrement dit à la napolitaine. D’autres, qui devaient avoir du temps à perdre, ont même retrouvé la trace d’un journal de l’acteur comique Furukawa Roppa qui note avoir dégusté un succulent Napolitan au restaurant du Grand Magasin Mitsukoshi. Peut-être donc le nom a-t-il existé bien avant-guerre pour désigner autre chose que ce que nous connaissons aujourd’hui.

Quelle que soit son origine exacte, il est clair que le Napolitan était une sorte de passerelle entre le plat de nouilles dont les japonais avaient l’habitude, et la recette italienne qui deviendrait si populaire au Japon quelques années plus tard.

Les spaghetti doivent être « bien mous »

Avant que le Napolitan fasse partie intégrante de la cuisine du Japon d’après-guerre, les plats de pâtes les plus populaires au Japon étaient faits avec des macaronis, tout particulièrement des plats de macaroni gratinés, cuits au four. La plupart du temps, les pâtes alimentaires étaient importées, car on ne les produisaient pas encore en masse à l’intérieur du pays.

Cela changea après-guerre, quand de grandes quantités de farine de blé en provenance des États-Unis ouvrit un immense marché pour la production (et la consommation) de pâtes de blé dur. L’autre facteur qui fut déterminant pour l’apparition du phénomène Napolitan fut l’énorme flot de ketchup qui atteignit le Japon dans ces mêmes années (la purée de tomate étant un peu plus difficile à se procurer, elle fut bientôt abandonnée au profit du ketchup).

L’utilisation du ketchup en lieu et place de la purée de tomate n’est pas la seule hérésie culinaire dont le Napolitan se rende coupable. Il y a aussi les spaghetti eux-mêmes. Car il ne faut pas s’attendre à les trouver « al dente ».

Les « spaghetti à la napolitaine » font bien partie de la culture culinaire japonaise

La cause de leur mollesse est en partie à rechercher du côté du type de farine utilisée pour fabriquer les pâtes alimentaires, car la semoule n’a été introduite au Japon que dans les années 1980. Une autre raison est que les spaghetti « mous » étaient perçus comme rassurants pour les palais habitués à des plats de nouilles de blé tendre comme les udon.

La façon d’ajouter la préparation au ketchup à la toute fin est elle-même similaire à la préparation des nouilles sautées. Ce n’est peut-être pas très italien comme méthode, mais cela cale un estomac japonais sans difficulté. La recette originale du New Grand Hotel à Yokoyama recommande de cuire les spaghetti les plus moux possible en respectant la méthode suivante : les cuire d’abord à moitié, puis les laisser reposer quelques heures, puis les bouillir de nouveau une seconde fois.

De nos jours, les Japonais préfèrent une approche de la cuisine italienne plus « authentique » — tout comme les Américains, en l’occurrence. Mais de la même façon que les Américains adorent toujours leur pizzas et lasagnes locales, il reste encore dans le cœur des Japonais de la place pour l’humble Napolitan.

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