De plus en plus d’apprenants en japonais

Culture Le japonais

Le japonais a la réputation d’être une langue ardue. Avec les différents défis que doivent surmonter les débutants – trois systèmes d’écriture, de multiples niveaux de politesse et une prononciation subtile à rythme syllabaire –, cette langue asiatique singulière intimide beaucoup d’apprenants potentiels.

Une langue difficile ?

À l’époque de la bulle économique, de 1986 à 1991, et du boum de l’apprentissage de l’anglais, à son plus haut au début des années 2000, des centaines de milliers d’anglophones natifs sont venus au Japon pour donner des leçons dans des écoles de conversation. Cependant, la plupart d’entre eux ont toujours compté sur leurs hôtes pour les comprendre, plutôt que de sacrifier de longues heures à l’apprentissage du japonais pour un résultat loin d’être assuré.

Cette image est-elle vraiment justifiée ? Le nombre d’étudiants en japonais est en nette augmentation, avec des personnes de tous les pays déterminées à prouver qu’apprendre le japonais n’a rien d’impossible. Les Japonais comme les étrangers qui sont au Japon depuis plusieurs années s’accordent à dire que le nombre d’étrangers parlant couramment le japonais a énormément augmenté. Quand je suis arrivé en 2003, leur nombre était réduit, mais dix ans plus tard, j’en rencontre tous les jours. D’année en année, les nouveaux arrivants semblent maîtriser la langue de plus en plus rapidement.

Le test d’aptitude en japonais

La référence la plus largement reconnue en matière de maîtrise du japonais par des non-natifs est le test d’aptitude en japonais (JLPT), créé en 1984 pour évaluer leur niveau (cinq niveaux actuellement avec l’addition d’un niveau supplémentaire en 2010, le niveau 1 étant le plus élevé) à travers leurs compétences en lecture, compréhension et connaissances de la grammaire et du vocabulaire. Cet examen est loin de constituer un indicateur fiable d’aisance dans la langue parlée – il ne comporte pas d’épreuve orale et accordait, dans son ancienne version, une importance excessive à des formes grammaticales rares et à un lexique ésotérique. Le nombre d’étudiants qui passent l’examen reste néanmoins un baromètre utile de l’intérêt global pour le japonais en tant que langue étrangère et des efforts effectués par les expatriés séjournant au Japon pour améliorer leurs compétences en communication (en 2013 l’examen s’est déroulé dans 44 préfectures au Japon et dans 206 villes de 64 pays étrangers). Les chiffres du tableau ci-dessous, émanant de plusieurs sources, mettent en évidence des tendances intéressantes.

AnnéeNombre de résidents étrangersNombres de candidats au JLPT
Au Japon (% du nombre de résidents étrangers) À l’étranger Total
(niveau 1)
1985 726 000 3 912
(0,5%)
9 157 13 069
(3 476)
2003 1 800 000 54 024
(3%)
215 593 269 617
(84 742)
2012 2 030 000 147 245
(7,2%)
449 065 596 310
(144 332)

Clairement, le nombre de résidents étrangers au Japon a fortement augmenté durant les trois décennies suivant la création du JLPT, mais la popularité de cet examen a grandi encore plus vite, avec une proportion toujours plus importante de résidents étrangers qui passent l’un de ses niveaux (à noter que la fréquence du test, semestrielle depuis 2009, peut avoir joué sur les chiffres en permettant aux candidats de retenter leur chance plus rapidement). La diminution de la part de candidats passant le premier niveau peut être en partie due à l’ajout en 2010 d’un niveau supplémentaire qui réduit le fossé entre les niveaux existants.

La plus ancienne école de japonais de Tokyo

Kojima Michiko, directrice de l’école Naganuma

L’école Naganuma, située dans le quartier effervescent de Shibuya et fondée en 1945, est la plus ancienne institution japonaise toujours en activité spécialisée dans l’enseignement du japonais à des étrangers. La directrice, Kojima Michiko, explique qu’après-guerre, la majorité des élèves étaient des diplomates occidentaux et des missionnaires chrétiens. Elle souligne aussi qu’en trente ans, depuis son arrivée à l’école, elle a vu évoluer la population d’élèves : « Quand j’ai commencé ici, nous avions beaucoup d’étudiants coréens qui désiraient intégrer une université japonaise pour obtenir un deuxième diplôme, ainsi que des Occidentaux qui apprenaient la langue pour le travail. Au fil des années, le nombre d’étudiants chinois, coréens et d’Asie du sud-est apprenant la langue dans le but de s’inscrire dans une université japonaise a fortement augmenté, mais ils représentent toujours moins de la moitié de nos élèves. La majorité apprend le japonais pour le travail ou les affaires. »

Discours en japonais sur différents thèmes

Chaque année, l’école Naganuma organise un concours d’éloquence pour ses élèves. Les participants sont sélectionnés parmi les 550 élèves de l’école après une série d’épreuves qualificatives ; le 29 août, le jour phare de l’évènement, onze orateurs étaient en compétition sur trois niveaux : débutant, intermédiaire et avancé. La grande salle était pleine d’amis et de camarades de classe, certains avaient même confectionné des pancartes et des banderoles pour encourager leur poulain. Les discours, parfaits, ont captivé l’audience avec des thèmes variés : le problème des animaux abandonnés dans la zone de contamination radioactive de Fukushima, l’amour par-delà les frontières, l’importance et le pouvoir des mots et même le rôle central du saké comme facteur d’harmonie dans la société japonaise.

Des camarades de classe encouragent leurs amis durant le concours (à gauche). L’étudiant taiwanais Zhang Yahao prononce son discours intitulé « Faisons ce que nous voulons » (à droite).

Le discours vainqueur, « Kore wa pen desu » (C’est un stylo), de l’étudiant américain Ian Toshio Nagata dans la catégorie avancée traitait avec profondeur et humour de la lucidité de pensée, une expérience un peu similaire à la méditation zen, qui peut être atteinte par un retour aux bases lorsqu’on se trouve sous pression. Le discours de Nagata était certes impressionnant, mais ce qui a le plus marqué l’audience (et qui démontrait la justesse du message du vainqueur) est sans doute la dextérité des élèves débutants à s’exprimer avec clarté et concision sur des thèmes profonds en maniant avec précision et inventivité une grammaire et un vocabulaire simples.

Suivre ses rêves

Les onze participants de l’édition 2014 du concours d'éloquence organisé par l’école Naganuma, les orateurs invités, le jury et la direction de l’école (29 août 2014).

Le pouvoir et le potentiel des mots et du langage sont bien connus. À l’heure de la mondialisation, où de plus en plus de gens rêvent de vivre dans un pays qui n’est pas le leur, prendre le temps d’apprendre la langue est l’une des clés du succès. C’était un thème récurrent dans beaucoup de discours : le langage en tant qu’outil permettant la communication entre personnes, l’entente mutuelle et l’accomplissement des rêves. Mme Kojima et Ueki Kaori, une enseignante chevronnée, citent également l’opportunité d’offrir aux élèves les outils nécessaires pour avancer, ainsi que l’amour de la langue elle-même, comme facteurs de motivation dans leur choix de l’enseignement. Le dévouement de l’école Naganuma envers ses élèves s’étend jusqu’à les aider à remplir une demande de visa, obtenir un téléphone portable, chercher un logement ou un travail et plus généralement trouver leur place dans la société japonaise.

En effet, une discussion avec plusieurs des participants à l’issue du concours a fait ressortir une réalité commune : la difficulté de l’apprentissage du japonais ne réside ni dans sa grammaire, ni dans sa prononciation ou même son système d’écriture complexe, mais plutôt dans la nécessaire connaissance des règles sociales pour utiliser correctement les nombreux codes du langage formel. Interrogés sur les astuces pour apprendre la langue, ils ont évoqué la nécessité de communiquer avec des Japonais et conseillé par exemple de regarder la télévision et les séries japonaises ou d’apprendre par cœur les paroles de chansons et les informations quotidiennes.

Un débat animé

En ce qui concerne l’intérêt croissant pour l’apprentissage de la langue japonaise, Mme Ueki pointe une sorte de changement démographique : « Quand j’ai commencé à donner des leçons de japonais, l’économie était en pleine croissance et nous avions beaucoup d’étudiants d’élite, envoyés par leurs pays avec une bourse d’études pour apprendre la langue et l’utiliser ensuite dans les domaines de la finance et du commerce. En revanche, après l’éclatement de la bulle, ces élèves ont été remplacés par des personnes ayant un fort intérêt personnel pour la culture japonaise, y compris la culture pop. »

Faut-il donc remercier la culture otaku pour la vague d’intérêt pour le Japon et la langue japonaise qu’elle a suscitée ? Lors d’un débat la semaine suivante, un éminent professeur en études de l’Asie de l’est basé à l’étranger a déploré l’absence d’un solide corpus d’analyse académique relatif aux mangas et anime, qui sont pourtant la porte d’entrée de beaucoup d’étudiants vers le japonais. L’un des participants au discours d’éloquence a néanmoins mis un bémol à l’apprentissage du japonais à partir des anime : « Ne vous attendez pas à apprendre un bon japonais avec les sous-titres des anime. Ça ne fonctionne pas. Si vous voulez utiliser les anime, il vaut mieux enlever les sous-titres. »

(D’après un article en anglais du 12 septembre 2014. Remerciements à Naganuma School of Japanese.)

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