Les compagnies aériennes low-cost japonaises sont-elles prêtes au décollage ?

Économie Tourisme

Le Japon est-il finalement prêt pour les voyages aériens à prix réduit ? Les deux principales compagnies japonaises ont investi dans ce modèle, et ont fondé trois nouvelles compagnies à bas coûts en 2011, en s’alliant avec des compagnies low-cost étrangères. Le Professeur Tozaki Hajime, de l’Université Waseda, analyse les défis qui attendent ces start-up dans un marché japonais très spécifique.

Le secteur japonais du voyage et du tourisme souffre encore du contrecoup au tremblement de terre et du tsunami de mars 2011. Le tourisme international en particulier connaît une véritable hémorragie. À la date de septembre dernier, le nombre de visiteurs étrangers entrant au Japon était en chute de 24,9% par rapport à l’année précédente, et même si le déclin en données mensuelles commence à diminuer très légèrement, la situation demeure morose. Il n’est pas difficile d’imaginer que l’arrivée sur le marché des transporteurs aériens low-cost est très attendue pour donner un coup de fouet à l’industrie du voyage et à l’économie dans son ensemble. Mais les compagnies low-cost se trouvent face à des défis particuliers au Japon, et rien ne garantit que ces défis puissent être vaincus.

Coûts spécifiques

Ônishi Masaru, président de Japan Airlines et Bruce Buchanan, chef de la direction du groupe Jetstar, fêtent le lancement de Jetstar Japan, une joint venture de de JAL, de Jetstar, filiale de Qantas, et de Mitsubishi Corp (août 2011) (photo : Sankei Shimbun)

Un certain nombre de facteurs systémiques contribuent à rendre les vols particulièrement chers au Japon. Les frais aéroportuaires, qui demeurent supérieurs aux normes internationales, sont l’un de ces facteurs. D’après Bruce Buchanan, CEO du groupe Jetstar, les frais d'assistance en escale sont environ six fois supérieurs à ceux pratiqués en Australie, et huit fois supérieurs par rapport à Singapour. Buchanan met en garde : si ces frais sont répercutés sur les consommateurs, cela limitera l’attrait des compagnies à bas prix et bridera la demande. L’industrie aéronautique a fait pression pour que ces coûts baissent, et on pourrait s’attendre à une amélioration de la situation. L’aéroport international du Kansai a entrepris la construction d’un terminal dédié aux compagnies low-cost, et l’aéroport international de Narita a des projets similaires. Reste à prouver que cela aura effectivement un impact sur les coûts.

Un autre problème potentiel est l’approche service minimum des compagnies low-cost, qui exigent de leurs clients de prendre l’entière responsabilité de leurs voyages. Ainsi les compagnies low-cost demandent aux voyageurs d’acheter eux-mêmes leurs billets sur internet, de trouver eux-mêmes leur porte d’embarquement, et de se diriger par leurs propres moyens jusqu’aux portes d’embarquement, alors que les agences de voyage au Japon continuent à jouer un rôle essentiel en ce qui concerne l’émission des billets et les autres accommodements du voyage. Compte tenu de ces particularités du marché japonais, les nouvelles compagnies discount ont dû se résigner à commercialiser un pourcentage relativement important de leurs billets au travers de ces agences, tout au moins pour l’instant. Mais puisque de tels coûts de distribution additionnels sont une hérésie pour les compagnies discount, on peut supposer qu’elles tablent sur une maturation rapide du marché. Une question demeure néanmoins en suspens : les voyageurs japonais se laisseront-ils convaincre.

Le pauvre palmarès des grandes compagnies aériennes

Les chefs de la direction Itô Shin’ichirô pour All Nippon Airways et Tony Fernandes pour la compagnie Malysienne AirAsia, en compagnie de personnels de cabine après l’annonce du lancement de leur joint venture AirAsia Japan (Juillet 2011) (photo : Sankei Shimbun)

Les compagnies à bas prix devront également répondre aux défis internationaux. Bien que dans des proportions diverses, les trois nouvelles compagnies low-cost sont des rejetons des grandes compagnies aériennes japonaises, et sont essentiellement un moyen pour ces grandes compagnies de se développer dans le voyage à bas prix sous un nom de marque différent : Jetstar Japan, formé par JAL et Jetstar, compagnie australienne ; AirAsia Japan, une joint venture de All Nippon Airways (ANA) et la compagnie malaysienne AirAsia ; et Peach Aviation, une autre joint venture conduite majoritairement par ANA.

L’approche choisie est parfaitement compréhensible. Du point de vue des partenaires étrangers, former équipe avec l’une des deux grandes compagnies aériennes japonaises est une façon raisonnable de pénétrer un marché qui a disposé de hautes barrières à toute participation étrangère (situation qui n’est d’ailleurs pas du tout spécifique au Japon). Et de leur côté les compagnies japonaises ont envisagé ces partenariats comme une façon préventive pour lutter contre une concurrence potentielle de puissantes compagnies discount.

Le problème est que ces grandes compagnies ont un très mauvais palmarès sur ce segment du marché. À vrai dire, Jetstar – une filiale de la compagnie aérienne australienne Qantas – est l’une des très rares réussites sur ce concept. Et reste encore à prouver que Jetstar pourra préserver sa souplesse et sa créativité managériale au fur et à mesure que son extension se poursuit.

Contamination et Cannibalisme

La plupart des experts sont d’accord pour dire que deux des plus gros obstacles qui se dressent devant les filiales low-cost de compagnies aériennes traditionnelles sont la contamination et le cannibalisme.

Le chef de la direction de Peach Aviation, Inoue Shin’ichi, en uniforme de pilote, lors du baptême de sa nouvelle compagnie low-cost, basée à l’Aéroport International du Kansai. Inoue était précédemment cadre de ANA, qui a lancé cette filiale low-cost (mai 2011) (photo : Sankei Shimbun)

La contamination se produit quand la société mère influe de façon trop importante sur le management de sa filiale. Sans une véritable indépendance vis-à-vis de la société mère, une compagnie à bas prix perdra très certainement ses qualités essentielles que sont la flexibilité, l’agilité et la capacité d’innovation. Les observateurs du secteurs pensent que le seul moyen d’assurer cette indépendance est de créer un environnement de travail totalement séparé de celui de la maison mère, de façon à ce que les employés de la filiale aient à peine conscience de la relation entre les deux compagnies. De ce point de vue, Peach Aviation a encore un long chemin à faire.

Parallèlement, il y a cannibalisme quand deux compagnies échouent à différencier leurs marchés, et commencent à se concurrencer sur les mêmes routes, endommageant mutuellement leurs ventes. Dans le pire des cas, cela peut résulter dans l’effondrement des deux compagnies. Sur les cinq lignes pour lesquels AirAsia Japan a fait une demande, quatre font doublon avec des lignes du réseau ANA (vols Narita-Sapporo / Fukuoka / Naha / Séoul). Jetstar a déclaré que des consultations sont actuellement menées pour éviter le cannibalisme au seins des deux compagnies du groupe, mais plus le groupe s’élargit, plus ce type d’équilibre est difficile à garder.

Un autre défi majeur sera de différencier clairement la marque discount service minimum d’avec celle à service complet de la compagnie mère. Cela sous-entend de construire une culture d’entreprise dévouée au concept low-cost, et on se demande si cela même est possible sur le marché japonais. Les compagnies japonaises sont très orientées vers la qualité du service, et les employés japonais mettent un point d’honneur à anticiper et dépasser leurs obligations pour satisfaire leurs clients. Le danger étant que cet état d’esprit entrera nécessairement en conflit avec le concept du bas-prix qui vise à couper les coûts en supprimant les fioritures accessoires.

Risques accrus pour les voyageurs

On peut également se demander si les voyageurs japonais sont disposés à accepter les risques supplémentaires associés aux pratiques des compagnies à bas prix. L’un de ses risques étant la fermeture des lignes. Les compagnies low-cost sont en effet susceptibles de prendre des décisions rapides basées sur la profitabilité et n’hésiteront pas à abandonner une ligne qui s’avérerait non profitable. Certes, JAL et ANA sont d’ores et déjà devenues plus rapides à couper des lignes qui génèrent des pertes. Plus rapide que par le passé, en tout état de cause, quand elles maintenaient artificiellement ouvertes des lignes locales ouvertes pour complaire aux injonctions du Parti Libéral Démocrate. Mais même encore aujourd’hui, les grandes compagnies aériennes sont plus dépendantes des politiques de ce point de vue que les compagnies low-cost.

Peut-être plus grave pour les voyageurs japonais est la tendance des transporteurs aériens à bas prix à diminuer les coûts en annulant les vols dont les taux de remplissage sont insuffisants. Pour les consommateurs européens qui jouissent de longues vacances, un délai d’un jour ou deux ne fait pas une grande différence. Mais pour les familles japonaises qui calculent le temps au plus juste pour profiter au maximum de vacances d’une semaine, chaque heure compte. Dans ces conditions, un vol annulé peut mettre en péril tout un voyage. Si la pratique des annulations de vol à la dernière minute est appliquée, les voyageurs japonais commenceront à s’éloigner des compagnies low-cost.

L’indépendance à risque

Skymark, la principale compagnie low-cost indépendante japonaise. Le transporteur étend son réseau à partir de sa base de Narita, avec de nouveaux vols vers Hokkaidô (Shin Chitose et Asahikawa) en octobre dernier, et des vols vers Fukuoka et Naha prévus respectivement pour la fin 2011 et début 2012. (photo : Sankei Shimbun)

Nous avons parlé ci-dessus des questions de management propres aux filiales low-cost issues des compagnies traditionnelles, mais qu’en est-il des compagnies à bas prix « pure player » locales ? Il est possible de se faire une idée du défi auquel doivent faire face les start-ups low-cost indépendantes en examinant le cas de Skymark, qui s’est introduit sur ce segment dès les années 1990. Malgré sa relativement longue expérience, Skymark a réalisé peu de progrès en termes d’économies d’échelle, et n’a pu offrir jusqu’à présent à ses clients que des baisses de coûts relativement modestes. La compagnie doit encore réussir à s’ouvrir les portes de l’aéroport de Haneda, le hub le plus profitable pour les vols locaux et régionaux. Les ouvertures resteront limitées pour le transporteur, aussi bien en départs qu’en arrivées, tant que JAL et ANA bénéficieront de traitements de faveur pour leurs emplacements.

La stratégie de Skymark vise dorénavant à se concentrer sur les vols intérieurs à partir de Narita. Dans le cadre de cette campagne, Skypark a démarré une offre pour des vols Narita-Hokkaidô à des prix comparables à un ticket de bus. Mais on peut se demander si les voyageurs seront prêts à abandonner Haneda pour Narita, à près de 60 km de la gare de Tokyo. Et les problèmes sont similaires dans la région du Kansai.

Un essentiel besoin de leadership

Enfin, un autre facteur s’avère crucial dans le succès ou l’échec d’une compagnie low-cost : le leadership de la direction. Des dirigeants comme Tony Fernandes pour AirAsia, Bruce Buchanan pour Jetstar ou Nishikubo Shin’ichi de Skymark, possèdent cette qualité. Dans le cas de AirAsia Japan et Jetstar Japan, qui sont des joint venture établies sur la base d’un partenariat avec l’une des deux grandes compagnies aériennes japonaises, la question fondamentale sera de savoir si la structure du management permettra à ses cadres dirigeants d’exercer efficacement cette sorte de leadership. Dans le cas de Skymark, inversement, la question est de savoir si Nishikubo, qui vient du domaine des technologies de l’information, est en mesure d’assimiler les conseils des observateurs du secteur tout en imprimant sa patte personnelle sur la direction de la marque.

(D’après un texte original en japonais)

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