Evitons la crise des infrastructures !

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L’effondrement partiel du tunnel de Sasago ravive les préoccupations causées par le vieillissement des infrastructures japonaises, un problème déjà connu avant cet accident. Il est possible d’y remédier malgré le déclin démographique et la crise des finances publiques, suggère un expert.

Le tunnel de Sasago constitue seulement une partie de l’iceberg

Le 2 décembre dernier, des dalles en béton de la voûte du tunnel de Sasago sur l’autoroute Chûô, dans la préfecture de Yamanashi, sont tombées sur une longueur de 130 mètres, prenant au piège plusieurs voitures et tuant neuf personnes. Cet accident a mis en évidence le problème du vieillissement des infrastructures. Il aurait été causé par le relâchement des boulons qui ancrent les dalles de béton du plafond à la structure du tunnel. L’enquête n’est pas encore achevée mais si les contrôles de maintenance de ces boulons ont été insuffisants pendant les 35 ans qui se sont écoulés depuis l’ouverture du tunnel, cela pose un grave problème.

Le Japon s’est doté de grandes infrastructures après la Seconde Guerre mondiale. Les archives du ministère du Territoire, des infrastructures et des transports montrent que cela a eu lieu essentiellement entre les années 1960 et les années 1980. Par catégorie, ce furent d’abord les routes dans la seconde moitié des années 1960, les ponts dans la première moitié des années 1970, les aménagements fluviaux (écluses, barrages) autour de 1980, les ports dans la première moitié des années 1980, les logements publics dans celle des années 1970, et enfin les institutions scolaires entre 1975 et 1985. Cela signifie qu’aujourd’hui, toutes ces infrastructures ont au moins trente à quarante ans.

Si leur maintenance a été insuffisante, il y aura inévitablement d’autres accidents. Le tunnel de Sasago n’est qu’une partie de l’iceberg. La première section du réseau d’autoroutes de Tokyo a été ouverte en 1962. Après un contrôle effectué l’an passé qui a mis au jour d’innombrables fissures et il a été annoncé qu’une rénovation sur un quart de sa longueur était nécessaire d’urgence. Le grand séisme de l’Est du Japon a fait s’effondrer le plafond de plusieurs gymnases et auditoriums et a rendu inutilisables de nombreux bâtiments publics dans des zones de la région métropolitaine éloignées de la mer, qui n’avaient pas été affectées par le tsunami. Situé dans une région à forte sismicité, le Japon a instauré les normes antisismiques les plus sévères au monde et normalement, ses bâtiments ne s’effondrent pas. Le grand séisme de l’Est du Japon a fourni une occasion de découvrir ce problème dont la véritable cause est le vieillissement.

Une pluie d’investissements de remplacement

Les investissements de remplacement constituent la mesure la plus efficace pour lutter contre le vieillissement. Maintenir l’investissement public chaque année à un niveau donné permet de remplacer les infrastructures vieillissantes en continuant d’investir. Si les investissements de remplacements ne sont jusqu’à présent pas considérés comme un problème au niveau mondial, c’est parce que les infrastructures ont été régulièrement créées avec une fréquence donnée, et ce dans tous les pays concernés.

Mais au Japon, comme nous l’avons vu, ces investissements se sont concentrés sur une période autour des années 1970, et ils ont diminué à un rythme accéléré à partir de l’an 2000. Voilà pourquoi le budget alloué aux investissements publics, la base de leur financement, est extrêmement bas, alors même que la demande pour des investissements de remplacement ne cesse d’augmenter. Le financement de ces investissements n’est, en d’autres termes, pas assuré. Le même phénomène s’est produit aux Etats-Unis. Le New Deal dans les années 1930 avait vu la construction de ponts, barrages et routes dans tout le pays. Un demi-siècle plus tard, dans les années 1980, ces infrastructures étaient vieillissantes, et l’effondrement d’un pont à New York avait été à l’origine d’un accident. La prise de conscience du problème par le gouvernement fédéral américain l’a conduit à relever la fiscalité sur l’essence et à prendre diverses mesures, notamment l’instauration d’un système d’inspection des ponts. Dans l’intervalle, d’autres ponts se sont effondrés aux Etats-Unis, mais sans ces mesures, ces accidents auraient probablement eu des conséquences bien plus graves.

Le vieillissement des infrastructures est ce qui rapproche le Japon d’aujourd’hui des Etats-Unis des années 1980. Mais la situation est bien plus inquiétante au Japon, puisque le pays n’est plus dans une période de forte croissance, et que son déclin démographique a commencé. Ses revenus fiscaux stagnent, et le coût de son système de sécurité sociale ne cesse d’augmenter.

Le Centre de recherche sur les partenariats public-privé de l’université Tôyô a mis au point un logiciel qui permet de calculer simplement les montants des investissements de remplacement que devra effectuer une collectivité locale ainsi que les montants que son budget est capable de financer. A ce jour, nous avons identifié une trentaine de collectivités locales qui n’ont pas assez d’argent pour les investissements publics, ni même assez pour préserver les infrastructures existantes. Il n’y a rien d’étonnant à cela, étant donné qu’elles vieillissent et qu’il faut des investissements pour les rénover au moment où les budgets disponibles diminuent rapidement.

La seule solution serait de recourir à la dette, mais le taux d’endettement du Japon dépasse déjà 200 % de son PIB nominal, d’une part parce qu’après l’éclatement de la bulle spéculative dans les années 1990, le gouvernement a essayé de relancer l’économie par l’investissement public malgré la stagnation de ses revenus, et d’autre part parce qu’il a eu recours à la dette à partir de 2000 pour financer l’augmentation des dépenses sociales liée au vieillissement démographique. Ce taux est déjà le double du taux d’endettement moyen des pays membres de l’OCDE et il dépasse même celui de la Grèce. Si le Japon lance de nouveaux emprunts d’Etat de grande ampleur, il perdra encore un peu plus de sa crédibilité à l’international.

Trois prescriptions pour diminuer l’impact de ces investissements sur les finances publiques

Le Japon est dans une situation grave, mais il existe des méthodes efficaces pour la surmonter.

La première, c’est de faire une priorité des investissements de rénovation, d’exploitation et maintenance, tout en restreignant les investissements dans des nouveaux projets. Etant donné que 90 % des infrastructures appartiennent aux collectivités locales et non à l’Etat, cette idée peut se mettre en pratique simplement : il suffirait d’en faire une condition du versement de la dotation globale ou des subventions.

Promettre de nouveaux investissements s’est avéré un bon argument électoral pour les dirigeants des collectivités locales ou les membres de leurs instances délibératives. Mais les citoyens, s’ils savaient qu’il est actuellement impossible d’entretenir les infrastructures existantes, comprendraient que ce n’est pas le moment d’espérer de nouvelles routes ou équipements collectifs. Une enquête d’opinion effectuée dans cinq collectivités locales dans laquelle les habitants étaient invités à s’exprimer après avoir eu des explications sur les difficultés financières et le vieillissement des infrastructures, a montré que les citoyens étaient à plus de 80 % favorables à la limitation des nouveaux investissements.

La deuxième méthode est liée à l’intérêt de rendre polyvalents les équipements publics que sont les écoles. Aujourd’hui, chaque quartier dispose d’une école, d’une crèche, d’un jardin d’enfants, d’un hall de quartier, d’un lieu de rassemblement, d’une bibliothèque de quartier, d’un centre de jour pour personnes âgées. Tous ces équipements publics sont en principe logés dans des bâtiments séparés, construits avec l’argent public, qui ont chacun leur parties communes (parking, entrée, bureau, propres toilettes, escaliers et couloirs). Si dorénavant, chaque fois qu’une école est reconstruite, on regroupait ces équipement dans le même bâtiment que l’école, en les transformant en locataires, ils n’auraient plus besoin de parties communes propres à chacun. Au moment de planifier la construction des écoles, il faudrait veiller à ne pas décider des spécifications de chaque espace public hébergé, et faire en sorte que le bâtiment puisse s’adapter aux changements qui interviendront à l’avenir dans la démographie locale et dans les besoins. L’approche open building, déjà établie dans le domaine architectural, sera utile à cet égard.

La troisième méthode mise sur l’efficacité de la gestion de sécurité préventive pour les routes, les ponts, les tunnels, et les réseaux d’approvisionnement en eau et d’assainissement. Aujourd’hui la gestion de la sécurité de ces infrastructures qui appartiennent aux collectivités locales est principalement réparatrice, c'est-à-dire qu’elle est réactive, et n’agit qu’une fois qu'un problème est apparu. Passer à un système de gestion de sécurité préventive signifie passer à un système qui veille à ce que les problèmes eux-mêmes ne se produisent pas. Cela entraîne une dépense préventive, mais étant donné que cette dépense permet en principe de réelles économies par rapport aux frais qu’entraîne une gestion de sécurité réparatrice, le coût sur la durée de vie de l’infrastructure est moins élevé. Externaliser cette tâche auprès d’une entreprise privée spécialisée est une solution appropriée car une gestion quotidienne de la sécurité est essentielle. De plus, afin de réaliser des économies d’échelles, il est préférable que cette gestion soit faite globalement, au niveau de toutes les infrastructures d’une zone. La technologie qui permet de détecter facilement les cavités souterraines qui peuvent conduire à un affaissement, par exemple, est aujourd’hui une réalité.

La mise en œuvre des méthodes décrites ci-dessus permettra de préserver la qualité des services publics en faisant baisser de 30 à 40 % les coûts d’entretien. Aujourd’hui, le Japon a besoin de réviser la conception qui a prévalu de la période de forte croissance jusqu’à celle de la bulle, selon laquelle la prospérité se traduisait par des infrastructures en abondance, même si cela pesait lourd sur les finances publiques, et de parvenir à la sagesse, c’est-à-dire disposer d’infrastructures intelligentes et de haute qualité, sans que cela ne pèse sur les finances publiques. Cette sagesse est proche de la vertu de la modestie que les Japonais cultivaient jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Les pays nouvellement développés d’Asie et d’Afrique partagent le problème du vieillissement des infrastructures avec le Japon. Ironiquement, plus la croissance de l’économie est rapide, plus le problème sera sévère. Réagir de manière appropriée à cette question signifie aussi traiter un problème qui ne pourra qu’avoir de graves répercussions dans le monde à l’avenir.

(D’après un original écrit en japonais le 14 janvier 2013.)

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