La nouvelle équipe au pouvoir en Chine confrontée à de sérieux problèmes

Politique

L’influence de la Chine sur la scène internationale ne cesse de progresser, mais la nouvelle équipe au pouvoir se trouve aujourd’hui confrontée à tout un éventail de problèmes inquiétants. Miyamoto Yûji, ancien ambassadeur du Japon en Chine, se penche ici sur les défis que le gouvernement de Xi Jinping va devoir relever.

À l’issue du XVIIIe Congrès du Parti communiste chinois, qui s’est déroulé en novembre 2012, Xi Jinping est devenu secrétaire général du parti et président de sa Commission militaire centrale. Puis en mars 2013, lors du Congrès national du peuple, il a été élu président de la République populaire de Chine. Ces changements marquent l’avènement d’une nouvelle direction, menée par M. Xi, qui se trouve désormais à la tête du gouvernement, du parti et de l’armée.

La régime qui prévaut en Chine est celui du parti unique, le PCC en l’occurrence. Avec la propagation de l’Internet, le parti et le gouvernement sont certes devenus beaucoup plus tributaires de l’opinion publique. Il n’en reste pas moins que l’avenir de la Chine reste déterminé par la direction prise par le PCC.

Quelle va être la ligne de conduite du nouveau gouvernement de M. Xi et quel genre de politiques va-t-il mettre en œuvre ? Jusqu’à quel point sera-t-il en mesure de réaliser ses objectifs ? À l’heure où la Chine s’affirme comme une nouvelle super-puissance, il est essentiel d’aller au cœur de ces questions pour se faire une idée claire des perspectives d’évolution de la situation non seulement en Asie mais dans le reste du monde.

Contrôler l’armée

Les remaniements dans les rangs de l’Armée populaire de libération annoncés en octobre 2012 ont surpris les observateurs par leur ampleur. Puis au mois de novembre, Xi Jinping a de nouveau rompu avec les habitudes en prenant la présidence de la Commission militaire centrale du parti, en même temps qu’il devenait secrétaire général du parti, au lieu de laisser son prédécesseur Hu Jintao rester à ce poste. Rétrospectivement, il apparaît que M. Xi avait déjà fermement établi son emprise sur l’armée, avec laquelle on sait qu’il entretenait des liens étroits.

Xi Jinpin est en effet le fils de Xi Zhongxun (1913-2002). Ce vétéran de la révolution devenu vice-premier ministre s’était bâti un solide réseau de relations personnelles au sein de l’APL, notamment dans les rangs du personnel originaire de sa province natale, le Shaanxi, réseau dont Xi Jinping a hérité. Dans sa jeunesse, il a en outre été secrétaire de Geng Biao (1909-2000), l’un des principaux dirigeants de l’APL, et on peut supposer que cette collaboration l’a elle aussi aidé à tisser des liens au sein de l’armée.

Comme le montre une lecture attentive de l’histoire du PCC, à chaque fois que celui-ci s’est trouvé confronté à la menace d’une scission interne, l’APL est intervenue pour calmer le jeu. Avant les changements opérés à la tête du parti à l’automne 2012, nul n’avait accédé au sommet de la hiérarchie du parti sans que son prédécesseur l’ait expressément désigné comme son héritier. Le récent remaniement de l’équipe dirigeante est survenu dans le contexte d’une âpre lutte de pouvoir, comme en témoigne le scandale qui a entouré la chute de Bo Xilai. C’est pour cette raison que le premier mouvement de M. Xi a consisté à consolider son emprise sur l’APL, de façon à pouvoir se poser en conciliateur capable de restaurer la stabilité et le sentiment d’unité au sein du parti.

M. Xi a remarquablement réussi dans son entreprise de main mise sur l’APL. C’est une instance où la corruption a pris des proportions gigantesques, et la population le sait. Mais M. Xi est sans doute en mesure de garder la haute main en faisant usage de son pouvoir de décision en matière de gestion du personnel et en prenant des mesures contre la corruption. Dans le même temps, ses liens de proximité avec l’APL laissent présager qu’il va agir conformément à la logique de cette organisation, logique qui n’est autre que celle de la sécurité nationale.

Face à la rapidité du changement

Après avoir établi son contrôle sur l’ALN, il semble que M. Xi soit en train de consolider son autorité sur le PCC. Mais la Chine dont il a pris les commandes se trouve aujourd’hui confrontée à un certain nombre de problèmes épineux, qui ne font que s’aggraver. Les tâches auxquelles le PCC va devoir s’atteler sont gigantesques.

Le plus grand défi réside dans la rapidité du changement. Incapable d’en suivre la cadence, l’appareil en place est en fait en train de perdre du terrain, que ce soit en termes de capacité conceptuelle, de structure de l’État ou de formation des fonctionnaires et des dirigeants. D’où les problèmes de plus en plus graves auxquels le PCC se heurte sur le terrain social, politique, diplomatique et sécuritaire. Au point où elle en est, la Chine ne peut plus se contenter d’appliquer les mots d’ordre de Deng Xiaoping (1904-1997), le promoteur de la libéralisation économique.

Jusqu’ici, la grande force du PCC a résidé dans son aptitude à bien évaluer les problèmes qu’il rencontre, à trouver des solutions politiques et à les mettre en œuvre. Mais on peut se demander s’il en est toujours capable. Le PCC doit se réformer en profondeur dans un vaste éventail de domaines ; il n’a pas d’autre choix, mais la question qui se pose est de savoir s’il en a la capacité.

Quant aux forces qui font obstacle à la réforme, elles proviennent des groupes qui ont des intérêts à défendre au sein de l’appareil d’État (aux mains du PCC), de l’armée et des entreprises publiques. Ces forces progressent d’année en année, mais le parti va devoir briser leur emprise s’il veut avoir un avenir.

Le problème suivant qui se pose au PCC — et c’est un problème endémique — réside dans l’écart entre les politiques décidées par le gouvernement central et leur application au niveau local. Il s’agit, autrement dit, de la relation entre le pouvoir central et les autorités régionales. La solution passe par la mise en place d’organisations de première ligne chargées d’exécuter fidèlement les tâches administratives fixées par le parti et le gouvernement. Il faudra, pour mener à bien cette entreprise, déployer une énergie considérable.

La perte des valeurs

La dernière série de difficultés qui attend la Chine prend sa source dans le fait que la société chinoise et l’État ont perdu les valeurs et les principes anciens, et que le pays n’a pas encore trouvé les fondements idéologiques et intellectuels dont il a besoin pour sa propre gouvernance comme pour la politique étrangère.

La situation est en vérité sérieuse. Le PCC est conscient du problème, mais ne sait pas comment le résoudre — ou pour le moins se trouve dans l’incapacité de surmonter les différences d’opinion pour parvenir à un consensus sur ce qu’il convient de faire.

La Grande révolution culturelle a mis sens dessus dessous non seulement les valeurs traditionnelles de la Chine mais aussi l’esprit fondateur de la République de Chine, enraciné dans l’idéologie socialo-communiste. Pour guider le parti et la nation, Deng Xiaoping a trouvé un nouvel esprit, basé sur une quête de la prospérité qui remettait à plus tard l’instauration du socialo-communisme. Mais les Chinois de la génération actuelle ont fait de la poursuite du bien-être matériel leur seule et unique raison de vivre. L’idée était que la prospérité amènerait le bonheur, or ce sont l’exacerbation des conflits sociaux et la montée des mécontentements qu’elle a produits.

Il semble que Xi Jinping soit à la recherche d’une nouvelle idéologie, comme le suggèrent les propos qu’il a tenus dans le discours de clôture du Congrès national du peuple, lorsqu’il a parlé de l’effort à consentir pour « réaliser le rêve chinois de grand rajeunissement de la nation ». Le contenu exact de cet appel n’est pas encore très clair, mais, compte tenu de l’esprit du temps, le nationalisme et les ambitions de superpuissance y trouveraient sans peine une place. Quand ils rencontrent des difficultés sur le front intérieur, les gouvernants sont enclins à attirer l’attention sur les affaires extérieures.

Tendre une main secourable

Sur le plan intérieur comme sur la scène internationale, il apparaît clairement que le gouvernement Xi se trouve dès le départ confronté à des difficultés beaucoup plus sérieuses qu’à l’époque où Hu Jintao était aux commandes (2003-2013). Dans la période qui s’ouvre, les problèmes intérieurs et extérieurs vont s’associer pour ébranler la Chine, avec des conséquences qui se feront sentir non seulement en Asie, mais dans le monde entier. Cela tient au statut de grand pays qui est aujourd’hui celui de la Chine, et à l’influence mondiale qu’elle exerce désormais.

Le seul espoir pour la Chine, c’est que M. Xi mette à profit le contrôle qu’il exerce sur l’appareil d’État pour affronter les durs problèmes que rencontre le pays et l’engager résolument sur la voie des réformes. En effet, le régime de parti unique, centré sur le PCC, n’offre pas d’autre issue pour venir à bout des problèmes. Et pourtant rien ne garantit que M. Xi réussira dans son entreprise.

La communauté internationale, et notamment le Japon et les États-Unis, doit bien se convaincre que la Chine est obsédée par l’idée que les États-Unis cherchent à l’encercler et à la détruire — une attitude qui prend racine dans les traumatismes de son histoire et dans sa conception de la politique des puissances — et, une fois ceci bien compris, s’efforcer d’aider la Chine en facilitant le plus possible sa difficile transition.

L’époque est révolue où la puissance militaire individuelle d’un pays suffisait à résoudre les problèmes mondiaux. Il faut faire comprendre aux faucons de la politique étrangère chinoise que la force, loin de résoudre quoi que ce soit, ne fait que se retourner contre celui qui l’emploie.

Dans le même temps, les pays du monde ne doivent pas tourner le dos à l’éventualité de coopérer aux réformes intérieures entreprises par la Chine. Cette coopération est d’autant plus essentielle que le processus de réforme est voué à se heurter à un grand nombre de difficultés. L’issue de ce processus va avoir un impact considérable sur le monde entier — celui dans lequel nous vivons.

(D’après un original écrit en japonais le 30 avril 2013)

 

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