Hong Kong : le front d’une nouvelle guerre froide ?

Société

Les élections pour désigner le chef de l’exécutif en 2017 ont provoqué des manifestations massives à Hong Kong, dans un conflit qui risque de se prolonger entre le gouvernement chinois et les partisans de la démocratie. Ces protestations seront-elles le front d’une nouvelle guerre froide entre le système chinois et la norme internationale, comme le voit Kurata Tôru, spécialiste de la politique chinoise contemporaine ?

Le 28 septembre, les habitants de Hong Kong sont descendus dans les rues pour demander le droit de choisir le chef de l’exécutif de leur ville par des élections libres. L’intervention de la police, tentant de disperser la foule avec des grenades lacrymogènes, a de fait provoqué l’occupation des principales artères du district financier par les protestaires. Ces événements, qui semblent en surface n’être rien de plus que des manifestations pacifiques d’étudiants sans armes et de résidents moyens pour des élections libres, ont attiré l’attention du monde entier et ont été publiquement commentées par les dirigeants occidentaux. Joshua Wong, leader d’un des plus grands groupes de ce mouvement protestaire, a même fait la une du magazine Times. Car une des raisons pour laquelle Hong Kong a été ainsi brusquement propulsé sur le devant de la scène internationale, c’est que les problèmes soulevés ne concernent pas uniquement l’ancienne colonie britannique mais ont des ramifications majeures dans le gouvernement central de la Chine comme pour la politique mondiale.

La « chinisation » de la démocratie

La démocratisation de Hong Kong commence dans les années 1980 et coïncide avec le début des pourparlers entre les gouvernements britannique et chinois pour la restitution du territoire. La Grande-Bretagne veut instaurer, comme dans ses autres colonies, une démocratie « à l’anglaise » avant de la remettre en 1997. La Chine s’y oppose tout d’abord mais finit par accepter en définitive que la démocratie soit maintenue, en vertu d’une clause de la Loi fondamentale de Hong Kong de 1990 stipulant que le chef de l’exécutif de la ville serait choisi par des élections libres. De nombreux résidents de Hong Kong étaient inquiets à ce moment-là et craignaient de passer sous l’emprise du Parti communiste chinois. La promesse de Pékin, leur accordant le droit de choisir eux-mêmes le chef de leur ville, les avait alors rassurés.

Quelque trente années plus tard, une décision historique pour la démocratisation de Hong Kong est prise lorsque le comité central du Congrès National du Peuple de Chine annonce, le 31 août, que les premières élections libres seront permises pour choisir le chef de l’exécutif de la ville en 2017. Mais Pékin pose une condition à ce vote : les candidats devront tout d’abord être choisis par le comité nominatif, composé en majeure partie de sympathisants du gouvernement central, écartant de la sorte tous les candidats n’ayant pas été nommés par la majorité des membres du comité. Ce qui ne laisse pratiquement aucune chance aux opposants de Pékin de se présenter à ces élections. Les élections comportant uniquement des candidats pro-Pékin approuvés au préalable par le parti communiste ressemblent fort au procédé électoral en vigueur sur le continent chinois et sont bien éloignées de la démocratie. La transplantation de la démocratie initiée par la Grande Bretagne a été reprise par Pékin après la restitution de Hong Kong et remplacée par une démocratie « à la chinoise » dans laquelle les électeurs accordent leurs droits à des candidats approuvés par le Parti communiste.

Une contestation non-violente selon la norme internationale

Les partisans hongkongais de la démocratie, désireux d’avoir des élections libres et conformes à la norme internationale, n’ont pas accepté ces élections « à la chinoise », et les étudiants comme les résidents ont opposé une résistance farouche dès que la décision de Pékin a été connue.

Une des caractéristiques de ce mode d’intervention pro-démocratique est d’être un mouvement de protestation selon la norme internationale, basé sur des valeurs et des concepts occidentaux. Au début 2013, Benny Tai, professeur assistant de l’Université de Hong Kong, a proposé le mouvement « Occupy Central », à savoir organiser des sit-in dans le district financier de la ville, si le gouvernement chinois n’accordait pas les droits démocratiques aux Hongkongais. Tai, qui a étudié le droit constitutionnel à l’Université de Londres, est, comme bon nombre des membres de l’élite de Hong Kong, très fortement influencé par les idées occidentales et c’est en outre un fervent chrétien. 

Le nom du mouvement qu’il a initié fait directement référence à « Occupy Wall Street » qui a fait le tour de la planète en 2011. Les principes qu’il énonce pour justifier l’infraction aux lois que constitue l’occupation de la rue s’inspirent de la « désobéissance civile » prônée par Martin Luther King, Gandhi et Nelson Mandela, c’est-à-dire une résistance non-violente aux autorités en place.

Le pouvoir de médias inexistants sur le continent chinois

L’Internet et les Smartphones ont joué un rôle majeur au niveau de l’efficacité de ces manifestations. Lorsque, dans l’après-midi du 28, la police commence à lancer ses grenades lacrymogènes contre les manifestants descendus dans la rue, des photos sont prises avec les téléphones mobiles, puis mises sur le réseau. Outragés, les résidents de Hong Kong rejoignent et viennent très rapidement grossir les rangs des protestataires.

L’information se répand simultanément dans le monde entier et se fait vite remarquer des médias occidentaux. Les images des étudiants et des résidents se protégeant contre les grenades avec des parapluies ont suscité un large mouvement de sympathie dans le monde. Facebook, interdit sur le continent chinois, a servi de lien essentiel pour relier les manifestants à leurs supporters à l’étranger. Devant les caméras de CNN et de la BBC, les étudiants et les citoyens persistant dans leur volonté de non-violence font preuve d’une éthique de haut niveau, parfaitement crédible sur le plan international. Observées par le monde entier, la police et l’administration de Hong Kong comme les autorités chinoises ont été contraintes de renoncer à toute intervention forcée, prolongeant la durée de l’occupation des rues. Ainsi, ce qui a protégé les citoyens et les étudiants de Hong Kong désarmés, ce sont les valeurs de la norme internationale, réclamant la démocratie en s’opposant à la violence.

Le front du conflit idéologique mondial

Cet antagonisme entre les autorités chinoises et les partisans de la démocratie à Hong Kong est de fait un conflit entre deux systèmes politiques. Les revendications pour le « consensus de Washington », partisan de la liberté, de la démocratie et du libre échange, contre le « consensus de Pékin », autoritarisme et capitalisme d’Etat, sont une reproduction à échelle réduite de la lutte idéologique qui a lieu sur le plan mondial. Hong Kong est donc aujourd’hui le front de ce conflit qui peut être qualifié de « guerre froide ».

La gravité de cette nouvelle guerre froide a pu se mesurer à la durée prolongée du mouvement de protestation. Pékin s’est jusqu’à présent toujours opposé à la démocratie occidentale. Le Parti communiste chinois, qui a choisi de réprimer par la force brutale le mouvement étudiant de Tian’anmen initié par la vague de démocratisation en Europe de l’Est et en URSS, continue encore aujourd’hui, alors même que la Chine est devenue la seconde puissance mondiale, de considérer la démocratie comme un complot visant à le renverser. C’est pour cela que Pékin n’acceptera jamais les revendications des manifestants de Hong Kong pour une démocratie selon la norme internationale.

Hong Kong ne représente que 0,5% de la population de la Chine et compte pour moins de 3% dans son PIB. En fonction de ce rapport de forces, les dirigeants du gouvernement chinois ont pensé pouvoir obliger Hong Kong à obéir par la force. Et il est vrai que les partisans hongkongais de la démocratie n’ont ni pouvoir financier ni pouvoir militaire. Mais ils n’en sont pas isolés pour autant. Ce qu’ils réclament semble juste par rapport à la norme internationale, leurs valeurs ont une résonance dans le monde entier et ils savent que Pékin ne pourra pas facilement les écraser.

Le mélange des intérêts des grandes puissances

La continuité de ce mouvement de protestation est aussi une des caractéristiques de cette nouvelle guerre froide qui se joue dans le contexte du mélange des intérêts des grandes puissances sur la scène mondiale. Les Etats-Unis n’ont aucune envie de détériorer leurs relations avec la Chine, puisqu’il souhaitent recevoir sa collaboration dans la lutte contre l’Etat islamique. La Grande-Bretagne a été jusqu’à annoncer tout d’abord que la décision du Comité central en août était une étape importante vers des élections libres. La communauté internationale n’a donc aucun moyen de faire plier Pékin.

L’organe de presse du Parti communiste chinois, le Quotidien du Peuple, a très vivement critiqué le mouvement de protestations de Hong Kong. Pour la Chine, le gouvernement doit rester ferme par rapport aux manifestations. Mais la Chine, premier pays bénéficiaire de la mondialisation de l’économie, ne peut plus prendre le risque de s’isoler du reste du monde en répétant aujourd’hui la répression de Tian’anmen et en faisant fi des valeurs de la norme internationale. Les autorités chinoises ont donc adopté une stratégie « ni compromis, ni effusion de sang », et le mouvement de protestation peut rester ainsi stationnaire pendant longtemps. Ce qui correspond exactement à une situation de guerre froide. Ce qui se passe aujourd’hui à Hong Kong est en fait la reproduction en miniature de la politique internationale.

(Photo de titre : une pancarte avec le slogan « Vers la liberté » sur les barricades dans le district commercial de Hong Kong. Le 16 octobre 2014. Reuters/Aflo)

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