L’éruption du mont Ontake met en lumière la crise de la volcanologie japonaise

Société

Le grand nombre de victimes de l’éruption récente du volcan Ontake met en évidence les faiblesses de la recherche volcanologique japonaise. Elles sont dues à des facteurs structurels, notamment le peu de place accordée à la géologie au Japon, la réforme du statut des universités nationales, ou encore le manque de postes de chercheurs.

Le volcan qui a relancé la volcanologie japonaise

Le 27 septembre 2014, le mont Ontake, situé à cheval sur les préfectures de Nagano et de Gifu, a fait éruption, causant la mort de 57 alpinistes et randonneurs. C'est la catastrophe volcanique la plus meurtrière de l’après-guerre, dépassant le bilan de celle du volcan Unzen-Fugen en 1991, qui était lui de 43 victimes.

Ce volcan a joué un rôle essentiel pour la volcanologie japonaise. Son éruption en 1979 a choqué les spécialistes, car aucune autre ne lui était attribuée dans l’histoire. Cela les a conduit à revoir le statut des autres volcans japonais dans le même cas, et à pratiquer de nouveaux sondages géologiques. Ainsi, en remontant le temps depuis 10 000 ans, le mont Ontake aurait connu au moins quatre grandes éruptions magmatiques et onze éruptions phréatiques comme celle de septembre 2014. Le mont Ontake a donc rejoint les autres volcans actifs du Japon, portant le total de ceux-ci à 110. Les recherches à long terme des volcanologues ont contribué à ce changement de statut. L’expression « volcan éteint » que l’on entendait souvent autrefois n’est plus utilisée aujourd’hui.

L’Agence météorologique du Japon est l’organisme chargé de surveiller les volcans et de prévoir leurs éruptions. Elle observe 24 heures sur 24 pas moins de 47 volcans actifs grâce à des instruments comme des sismographes ou des inclinomètres, ainsi que des caméras de surveillance. Mais l’Agence ne constitue pas un groupement d’experts en volcanologie car très peu de ses employés ont fait des études spécialisées dans ce domaine. C’est la raison pour laquelle les chercheurs universitaires ont jusqu’à présent joué un rôle important.

Un fort besoin de « médecin des volcans »

Les éruptions volcaniques présentent une difficulté particulière. En effet, elles ne sont pas passagères, mais longues. Prévoir comment elles vont évoluer n’est ainsi pas aisé. Dans le cas de volcan comme le Unzen-Fugen dans les années 1990 ou le mont Usu, qui a fait éruption en 2000 sur l’île d’Hokkaidô, deux éruptions qui ont eu des répercussions sur la société, les chercheurs des universités locales stationnés sur le site évaluaient en permanence l’activité volcanique et communiquaient à ce sujet avec les autorités locales. Cela leur valait la confiance de la population.

Les collectivités locales disposent rarement de personnel connaissant la volcanologie. Les difficultés qu’elles ont à comprendre les informations officielles fournies par l’Agence météorologique font qu’il est essentiel qu’elles établissent des liens avec les chercheurs. Certains volcanologues ont par le passé fait de tels efforts physiques et mentaux pour résister aux demandes des populations locales de lever les ordres d’évacuations qu’ils en sont tombés malades... Mais cela ne les a pas empêchés de poursuivre leur mission.

Après l’éruption du mont Ontake, Abe Shuichi, le gouverneur de la préfecture de Nagano, a déclaré qu’il fallait former des chercheurs pouvant comprendre les spécificités de la montagne, et qu’il était important et vital de faire en sorte que de tels spécialistes soient toujours présents près des volcans. La société attend beaucoup de ces volcanologues, qu’elle voit comme des « médecins des volcans ». Mais comme nous allons le voir, les circonstances actuelles rendent cela très difficile. Loin de pouvoir mettre en place de tels spécialistes, la surveillance et la prévention des désastres volcaniques sont aujourd’hui en crise.

Des volcanologues au chômage

Selon les services du ministère de l’Éducation, des Sciences et des Technologies, le nombre de chercheurs dans le domaine de la surveillance volcanologique ne cesse de diminuer, et il n’y en a plus que 47 au Japon aujourd’hui, alors qu’en Italie, où ce domaine est considéré comme une priorité nationale, ils sont plus de 150, même si la définition de leur travail n’est pas tout à fait la même. Au Japon, seuls les volcans Usu, Unzen-Fugen, Sakurajima, Aso, et Kusatsu-Shirane ont un « docteur » à leur chevet. L’Université de Tokyo avait autrefois du personnel dans plusieurs stations d’observation des volcans, notamment sur le mont Kirishima ou à Izu-Ôshima, mais aujourd’hui, la plupart de ces volcans sont surveillés uniquement par des appareils. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas évoqué la gravité de ce problème dont les racines sont très profondes.

Le nombre d’étudiants qui choisissent d'étudier volcanologie continue à baisser. C’est en partie lié au système d’admission dans les universités : très peu d’étudiants choisissent les sciences de la terre comme matière à présenter à l’examen. Le nombre d’enseignants de cette matière dans les lycées est en effet de loin inférieur à ceux qui enseignent en physique, chimie ou sciences de la vie.

Il y a très peu de travail pour les étudiants qui ont choisi la volcanologie à l’université, et le nombre de postes pour ceux qui ont obtenu un doctorat dans cette matière ne cesse de diminuer. Les étudiants ayant achevé leur doctorat ont aujourd’hui de grandes difficultés à trouver un emploi stable dans la plupart des secteurs de l’enseignement supérieur, et pas seulement en volcanologie. Beaucoup d’étudiants ayant fait un master en volcanologie ne continuent pas en doctorat, car ils constatent les difficultés des docteurs en volcanologie à trouver du travail. Un chercheur d’une université nationale regrette que certaines années, seul un dixième des étudiants effectue un master. L’Agence météorologique n’a aucun cadre d’emploi pour les volcanologues.

La société de liaison sur la prévision volcanique tient la première réunion du nouveau groupe d’études sur les informations sur les volcans. (Agence météorologique du Japon à Tokyo, 27 octobre 2014. Photo : Jiji Press)

Des crédits de recherche en baisse depuis la réforme des universités nationales

Depuis la réforme de 2004 transformant les universités nationales en entreprises publiques administrativement indépendantes, le gouvernement ne cesse de diminuer leur subvention. Les crédits de recherche baissent parce qu’ils sont attribués en fonction de la productivité, et les chercheurs se battent pour conserver les postes qu’occupaient des enseignants partis à la retraite et pour assurer l’entretien des instruments de mesure. Le nombre de documents à rédiger et de réunions a par contre considérablement progressé. Alors que dans le domaine de la volcanologie ou de la sismologie, les informations obtenues grâce à des observations régulières pendant des années peuvent conduire à de nouvelles recherches et de nouvelles découvertes, on exige des résultats à court terme.

Les publications sont un indicateur aisément compréhensible dans l’évaluation des chercheurs. Les volcans qui n’ont pas fait éruption depuis longtemps ne sont pas considérés comme de bons sujets de publication. Si un chercheur joue un rôle de « médecin du volcan » et apporte sa contribution à la localité où est situé le volcan, ce genre d’activités n’est pas toujours apprécié au sein de son université. De nombreux universitaires ont fait part de leurs craintes sur l’avenir de la recherche fondamentale ou des recherches à long terme sur les volcans au moment du changement de statut des universités nationales, mais la société ne les a pas écoutés.

Le nombre de chercheurs decroît et celui des éruptions augmente

Étant donné la situation difficile des universités, le ministère de l’Éducation, des Sciences et des Technologies a décidé de renforcer la surveillance de 16 des 33 volcans suivis par les universités, en laissant celle des 17 autres à la discrétion de chaque université. C’est une stratégie de management, baptisée « recentrage ». Le mont Ontake n’a pas été inclus dans la liste à surveillance renforcée, mais l’Université de Nagoya a continué à l’observer parce qu’il avait connu des éruptions mineures en 1979, 1991 et 2007.

« Les volcans semblent comprendre lorsque nous cessons de les surveiller », a-t-on entendu dire au sein des participants au colloque de la Société de volcanologie qui s’est tenu en novembre dernier à Fukuoka. Le volcan Shinmoedake des monts Kirishima a connu une éruption après la décision de l’Université de Tokyo, chargée de sa surveillance, de le mettre sous surveillance automatique. Un professeur de l’Université de Kyoto qui avait étudié les volcans dans la préfecture de Kagoshima pendant de longues années a pris sa retraite cette année, et en août, un volcan de l’île Kuchinoerabu a connu une coulée pyroclastique. Le mont Ontake a fait éruption en septembre alors que professeur de l’Université de Nagoya qui en était spécialiste venait de prendre sa retraite. Le système de surveillance va continuer à se dégrader.

C’est dans ce contexte que s’intensifient les demandes de la part de la société vis-à-vis des volcanologues. Les orientations de 2008 du bureau du Cabinet recommandaient la création d’un conseil de prévision des désastres pour chaque volcan actif, comprenant des chercheurs. Après l’éruption du mont Ontake, le gouvernement a décidé de renforcer la surveillance des volcans. Mais la pénurie d’experts est réelle.

Il faut créer une institution nationale

Cette crise n’est pas nouvelle, cela fait dix ans qu’elle a été signalée. Comment peut-on la résoudre ? Les chercheurs réclament la création d’une "Agence pour les séismes et les volcans", qui serait un organisme national de recherche sur les volcans.

Il n’y a pas au Japon d’institution chargée à la fois de la surveillance des volcans et de la recherche volcanologique, alors qu’il en existe dans plusieurs pays qui ont des volcans, notamment les États-Unis, l’Italie, ou encore l’Indonésie. Ces instituts emploient de jeunes chercheurs qui ont étudié la volcanologie. Il faut aussi envisager sérieusement de leur offrir des postes au sein de l’Agence météorologique ou des collectivités locales.

Au final, les universités ne peuvent s’occuper seules du problème et il faut un effort au niveau national. Le Japon compte 7 % des volcans actifs au monde, et la chance a fait qu’il n’y a pas eu d’éruption majeure au XXe siècle. Selon les spécialistes, il n’y aurait rien d’étrange à ce que le pays connaisse durant notre siècle cinq ou six éruptions du même ordre que celle de l’éruption du volcan Sakurajima en 1914.

Le gouvernement a créé une Agence nationale de la consommation, et une autre pour le tourisme. Il étudie la création d’une Agence des sports, mais ne considère pas celle d’un institut national consacré aux volcans comme une priorité. Il est possible que rien ne change tant que le mont Fuji ne connaîtra pas d’éruption majeure, mais il n’est pas certain qu’il y ait encore des volcanologues lorsque cela arrivera.

(D’après un original en japonais paru le 17 novembre 2014. Photo de titre prise par l’auteur le 7 octobre 2014 : les restrictions d’accès à la montagne dans le village de Tamamura, préfecture de Nagano en raison de l’éruption actuelle du Ontake.)

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