Sony revoit ses ambitions à la baisse

Économie

Sony était jadis l’un des fabricants d’électronique les plus novateurs au monde. Mais la décennie qui s’achève lui a été moins favorable. Pour remonter la pente, l’entreprise a lancé le 18 février dernier un nouveau plan de trois ans. Ce plan suffira-t-il à remettre Sony sur pied ou ne constituera-t-il qu’une étape supplémentaire d’un inexorable déclin ?

Les « mousquetaires » ont des lacunes

Le déclin de la branche électronique de la société Sony s’est amorcé en avril 2003 avec l’effondrement spectaculaire des actions de l’entreprise. En 2005, le géant de la fabrication a pris des mesures radicales, au nombre desquelles figuraient la démission simultanée du président du conseil d’administration et du directeur général de la société – qui ont reconnu leur responsabilité dans les maigres résultats commerciaux de celle-ci –, ainsi que la démission collective du conseil d’administration. Sony partait du double principe que l’électronique et, en appui, le renforcement des ventes de téléviseurs, détenaient la clef du redressement de l’entreprise. L’introduction de ces changements radicaux s’est accompagnée de la mise en place d’une nouvelle équipe de direction menée par Sir Howard Stringer et Chûbachi Ryôji.

Stringer, qui était à la tête de Sony USA, est devenu président du conseil d’administration de Sony Corporation, tandis que Chûbachi, jusque-là directeur général adjoint, était promu au poste de directeur général. Le premier venait du secteur du divertissement et le second s’était spécialisé dans des matériaux tels que les piles et les bandes vidéo.

Le directeur financier Ihara Katsumi, auparavant directeur général adjoint de Sony, était l’autre élément clef de la nouvelle direction, le troisième membre du trio que Stringer appelait les « trois mousquetaires ».

Il se trouve toutefois qu’aucun des « mousquetaires » ne connaissait grand-chose des activités de Sony dans le domaine de l’électronique, et notamment les téléviseurs, qui occupaient une place essentielle dans le retour de Sony sur le devant de la scène. Une décennie plus tard, on s’aperçoit que l’activité électronique de Sony, loin d’être remise à flot, souffre toujours de la même hémorragie des profits qu’en 2005, quand la nouvelle équipe est arrivée aux commandes. En fait, la question qui se pose maintenant, est celle d’un éventuel démantèlement de la société et de sa vente morceau par morceau.

Cela ne veut pas dire que Stringer soit resté les bras croisés pendant tout le temps qu’il a passé aux commandes. Outre qu’il a exercé les fonctions de directeur général en sus de la présidence du conseil d’administration, il a amené en 2009 quatre jeunes dirigeants, qui ont été baptisés les « quatre mousquetaires ». Mais ces initiatives n’ont pas réussi à inverser le déclin de l’entreprise. En fait, les résultats n’ont fait qu’empirer. À partir de 2008, Sony est restée dans le rouge quatre années de suite. Or, en matière de direction d’entreprise, il n’y a que les résultats qui comptent, et Stringer a fini par démissionner en 2012.

Le choix de la standardisation au détriment de l’unicité des produits

Stringer a désigné comme successeur Hirai Kazuo, l’un des quatre mousquetaires. Entré chez Sony Pictures, Hirai a progressé dans la hiérarchie chez Sony Computer Entertainment, pour finir au poste de vice-président exécutif au siège de Sony. Cette nomination est néanmoins révélatrice du fait que la puissante multinationale de l’électronique a eu consécutivement à sa tête trois présidents-directeurs généraux – Idei Nobuyuki, Stringer et Hirai – dénués de compétence technique.

À l’époque de Stringer, la production de Sony a franchi un cap décisif. Le désintérêt de la compagnie pour ses produits électroniques a compté pour beaucoup dans ce virage, dont l’orientation vers une division horizontale du travail a constitué un autre facteur.

Stringer nourrissait l’idée que l’intégration, via les réseaux, des contenus et des services aux produits était indispensable pour que ces derniers exercent un attrait sur les consommateurs. C’est pourquoi il a pensé que, plutôt que de compter exclusivement sur son expertise pour mettre au point des produits, il valait mieux que Sony investisse tout son potentiel dans la création de produits issus des technologies ouvertes. Vus dans cette perspective, les téléviseurs et autres appareils électroniques grand public n’étaient plus que des « terminaux ». Les attentes des consommateurs vis-à-vis de Sony se réduisaient à l’accessibilité, vue sous l’angle de la standardisation et de la facilité d’usage. Stringer pensait que les produits de Sony n’auraient guère d’utilité s’ils n’étaient pas conformes à ces normes.

À cette époque, j’ai demandé à Stringer si, en se fondant sur cette logique, il ne verrait pas un inconvénient à ce que les téléviseurs fussent fabriqués par Panasonic plutôt que par Sony. Il m’a répondu « non », avant d’ajouter, après un petit temps de réflexion : « Mais à l’heure actuelle, je tiens aux téléviseurs de Sony, parce qu’ils sont mieux faits. »

Sony a perdu sa position de leader

La société Sony s’étant donné pour objectif de fabriquer des produits standardisés, il était tout naturel qu’elle s’oriente vers une division horizontale du travail, qui facilitait l’externalisation de la production vers d’autres entreprises. Sony ayant tourné le dos à la recherche-développement après avoir tenu pendant des années à créer ses propres produits, il n’est pas surprenant que la société n’ait plus été en mesure de générer le genre de créations uniques qui jusque-là exerçaient une action motrice sur les marchés, tels que le baladeur Walkman et le téléviseur Wega avec l’écran plat à tubes cathodiques.

Le premier baladeur Walkman, le TPS-L2, sorti en 1979 (Sony/Jiji Press).

La ligne de conduite adoptée par Sony consiste à s’introduire sur les marchés lucratifs ouverts par ses concurrents. Ainsi, quand Apple a sorti le iPhone, Sony a lancé le téléphone Xperia. La société a adopté la même attitude sur le marché des tablettes, lançant son propre modèle (appelé par la suite tablette Xperia) pour concurrencer le iPad d’Apple. Cette façon de procéder se démarque nettement de l’« esprit Sony » des origines, qui consistait à ne pas imiter les autres et à faire ce qui n’a jamais été fait.

Depuis dix ans, Sony se déleste chaque année de grandes quantités d’employés. Un calcul grossier, basé sur les chiffres publiés, montre que les réductions systématiques du personnel peuvent dépasser les 70 000 employés. Le problème avec ces coupes, c’est qu’elles affectent principalement la recherche-développement, la fabrication et la vente des produits, qui sont les principaux piliers des activités de Sony. Cette façon de faire pose la question des moyens que la société entend mettre en œuvre pour relancer son activité électronique.

Priorité au secteur du divertissement

Après m’être longtemps interrogé sur la stratégie de Sony, j’ai finalement reçu une réponse claire quand Sony a exposé sa politique à l’occasion de la réunion sur sa stratégie d’entreprise qui s’est tenue le 18 février de cette année.

Sony avait annoncé auparavant que, pour la première fois depuis qu’elle était cotée à la Bourse de Tokyo, elle ne distribuerait pas de dividendes à ses actionnaires. La compagnie justifiait cette décision par le fait qu’aucun des objectifs qu’elle s’était fixés à moyen terme n’avait été atteint au cours de la période allant de 2012 à 2014 et que les pertes annuelles avaient dépassé deux années de suite les 100 milliards de yens.

Lors de la réunion, Hirai a formulé pour la première fois des idées concrètes en ce qui concerne la direction à prendre par l’entreprise, et expliqué qu’il accorderait désormais la priorité au secteur du divertissement, notamment aux jeux vidéo, à la musique et aux films. Bref, la société a renoncé à la place qu’elle occupait dans le peloton de tête des fabricants d’appareils audiovisuels.

L’audiovisuel considéré comme un secteur sans avenir

Sous la direction de Hirai, Sony a réparti ses activités en trois domaines correspondant à trois critères : (1) la croissance, (2) la stabilité des recettes et (3) le contrôle des risques commerciaux. Les jeux vidéo et le contenu, qui relèvent du premier domaine, sont conçus comme les piliers de la stratégie de croissance (augmentation des ventes et des profits fondée sur la concentration de l’investissement). L’activité audiovisuelle, dont le potentiel de croissance est considéré comme faible, se répartit quant à elle entre les domaines (2) et (3). C’est ainsi que les cibles adoptées pour l’audiovisuel dans le cadre du programme de trois ans qui commence avec l’exercice budgétaire 2015 ont été établies en dessous des niveaux de 2014 pour chacune des trois années du programme.

En ce qui concerne les produits classés dans le domaine (2), tels que le baladeur Walkman et d’autres produits audio, ainsi que le caméscope et les appareils photos numériques, ils ont été considérés comme des activités devant être divisées et destinées à assurer la production de recettes au moyen des ressources existantes sans investissement à grande échelle. Hirai a justifié cette stratégie des divisions catégorielles en disant qu’elle allait « accélérer le processus décisionnel en réduisant les couches organisationnelles et, par voie de conséquence, en clarifiant la responsabilité dans les résultats », mais rares sont les représentants des médias et de l’industrie qui ont fait cette lecture des initiatives de la société.

À mesure que Sony se montrait enclin à fermer ou à vendre des départements dont les résultats étaient médiocres, les observateurs en ont déduit que la société était en train de se disloquer. Cette conclusion allait de soi, d’autant que la société avait laissé clairement savoir qu’elle n’excluait pas la possibilité de mettre un terme à ses activités dans le domaine des appareils mobiles, qui inclut les smartphones, ou dans celui des téléviseurs. Bref, Sony s’est engagé dans un processus qui pourrait mener à la liquidation de son activité audiovisuelle.

Miser sur les jeux et les contenus

Sachant que le marché de l’électronique grand public se réduit d’année en année, il semble que Hirai et les autres dirigeants de Sony qui estiment que les perspectives de l’activité audiovisuelle sont limitées ont de bonnes raisons de le faire. Au vu de cette situation, il m’apparaît que la bonne réaction devrait consister à mettre sur pied un nouveau genre d’activité audiovisuelle susceptible d’ouvrir de nouveaux marchés. Mais tout porte à croire que les dirigeants de Sony ne partagent pas ce point de vue.

Dans le même temps, peut-on dire que le département des jeux vidéo et des contenus ait beaucoup d’avenir ? Certes, la PlayStation 4 se vend bien aux États-Unis et incarne le courant dominant des consoles de jeux en Amérique du Nord, mais en Chine et sur d’autres marchés en émergence rapide, la majorité des jeux vidéo se jouent sur des smartphones.

À l’heure où Hollywood a de plus en plus de mal à produire des films à succès, la position de Sony dans le secteur du cinéma n’est pas non plus brillante.

Une chose est sûre en tout cas, c’est que, quand bien même Sony parviendrait à sortir un produit moyennement novateur, l’entreprise n’est plus en mesure de mettre au point le genre de produits audiovisuels qui tirent les marchés vers l’avant. Il y a peu d’espoir, semble-t-il, d’un retour de l’âge d’or qu’elle a connu à l’époque où le baladeur Walkman était roi.

Le dilemme auquel Sony se trouve confronté ne lui appartient pas en propre : le marasme de l’électronique grand public affecte également Panasonic et Sharp. Panasonic a du mal à se reconstruire sur la base des transactions entre entreprises, tandis que Sharp se bat pour se remettre à flot grâce à ses écrans à cristaux liquides. Pour ces sociétés japonaises, la situation actuelle ressemble à celle qu’ont connue des fabricants européens et américains d’électronique grand public tels que le Français Thomson, le Hollandais Philips et l’Américain RCA quand ils se sont retirés du secteur – chassés du marché par leurs équivalents japonais alors en plein essor.

Aujourd’hui, ce sont les fabricants chinois qui évincent les sociétés japonaises jadis dominantes. À l’instar de leurs homologues européennes et américaines, les sociétés japonaises d’électronique ont laissé passer l’occasion de jeter les fondations de nouvelles activités à l’époque où elles régnaient sur les marchés, dont elles étaient les acteurs les plus puissants et les plus avancés sur le plan technique. Elles payent désormais le prix de leur carence.

(Photo de titre : le président Hirai Kazuo en train d’expliquer la stratégie d’entreprise de Sony lors d’une conférence donnée à Tokyo le 18 février 2015. Jiji Press.)

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