L’énergie nucléaire : le bon moment pour des soins de fin de vie

Politique

La reprise des opérations commerciales de la centrale nucléaire de Sendai (préfecture de Kagoshima) en septembre 2015 a pu être considérée de bon augure en vue du retour de l’énergie nucléaire au Japon, après l’arrêt précipité dans l’ensemble du pays par la fusion des réacteurs de Fukushima en 2011. Mais l’auteur déclare que la politique de « soins à long terme » adoptée par le gouvernement pour une industrie insoutenable ne fait tout simplement que retarder l’inévitable tout en exposant la nation à des risques inacceptables.

Le 11 août 2015, le réacteur no 1 de la centrale de Sendai exploitée par la compagnie d’électricité Kyûshû Electric dans la préfecture de Kagoshima est le premier réacteur nucléaire à être redémarré au Japon après avoir reçu l’approbation de l’Autorité de réglementation nucléaire (ARN), conformément à son nouvel ensemble de normes de sécurité. La centrale de Sendai a repris ses activités commerciales le 10 septembre, presque quatre ans et demi après la catastrophe nucléaire déclenchée par le tremblement de terre et le tsunami du nord-est du Japon.

Le milieu nucléaire au Japon espère que les opérations à la centrale nucléaire de Sendai donneront le ton pour les installations dans l’ensemble du pays mais il a peu de raison d’être optimiste sur ce point. Le réacteur no 2 de cette même centrale a été redémarré le 15 octobre et son exploitation commerciale devrait reprendre en novembre. Mais les perspectives de redémarrage des autres réacteurs en 2015 sont bien minces.

Outre Sendai-1 et Sendai-2, l’ARN a donné son accord pour la reprise des opérations des réacteurs 3 et 4 de la centrale de Takahama de Kansai Electric (le 12 février 2015) et du réacteur no 3 de la centrale d’Ikata de Shikoku Electric (le 15 juillet 2015). Mais ni l’un ni l’autre de ces réacteurs ne devrait être démarré durant l’année. Les réacteurs de Takahama doivent faire face à de longs retards en raison de l’injonction du Tribunal de district de Fukui le 14 avril 2015(*1) et Ikata 3 a peu de chances de passer les obstacles réglementaires de l’ARN d’ici la fin de l’année.

De sombres perspectives et un fardeau de plus en plus pesant

Les obstacles à la renaissance de l’industrie vont difficilement disparaître après 2015. La préfecture de Fukushima fait du lobbying pour mettre au rebut toutes ses centrales restantes et l’opposition locale à la reprise des opérations est prédominante dans les préfectures de Niigata, de Shizuoka ainsi que dans le village de Tôkai, dans la préfecture d’Ibaraki. À elles seules, ces quatre régions possèdent 15 (environ un tiers) des réacteurs nucléaires du pays. Quatre autres réacteurs (un dans la centrale de Tsuruga exploitée par la compagnie Japan Atomic Power, deux dans la centrale de Shika de Hokuriku Electric et un dans la centrale Higashidôri de Tôhoku Electric) risquent d’être démantelés en raison des risques de tremblement de terre. Kansai Electric fait appel à un jugement de mai 2014 contre la reprise de deux réacteurs dans sa centrale d’Ôi et d’autres verdicts défavorables sont à attendre dans les mois à venir également.

Les entreprises d’électricité elles-mêmes doivent mettre au rebut un certain nombre de vieux réacteurs en raison de leurs coûts. Les réacteurs sont conçus pour ne pas fonctionner pendant plus de 40 ans et les coûts des améliorations requises pour obtenir une extension conformément aux nouvelles réglementations seront prohibitifs dans la plupart des cas. Cinq des plus vieux réacteurs ont été officiellement retirés pour cette raison en avril dernier (Mihama-1 et Mihama-2 de Kansai Electric, Tsuruga-1 de la Japco, Shimane-1 de Chûgoku Electric et Genkai-1 de Kyûshû Electric).

Même les installations qui ont été remises en marche ont devant elles un chemin difficile à parcourir. Le désastre de Fukushima a totalement modifié la perception du public japonais par rapport aux risques de l’énergie nucléaire. Par conséquent, tout accident, problème ou catastrophe naturelle a le potentiel de provoquer un arrêt prolongé ou permanent d’une centrale quelle qu’elle soit. Et la construction de nouveaux réacteurs est virtuellement hors question.

L’objectif du retour aux niveaux de production d’énergie nucléaire d’avant Fukushima est tout simplement hors d’atteinte. Le Japon possède actuellement 43 réacteurs nucléaires exploitables (excepté les 5 qui ont déjà été définitivement arrêtés). Pas plus de la moitié de ces réacteurs ne peut raisonnablement être remise en service avant 2020 et ils feront l’objet d’une vigilance minutieuse car tout nouveau problème – aussi bien au Japon que dans le monde – remettra de nouveau leur sécurité et leur viabilité en question.

L’énergie nucléaire impose en outre un pesant fardeau en matière de coût qui ne peut que s’alourdir dans les années à venir. Jusqu’à présent, le gouvernement a assumé le poids des coûts et des risques, nourrissant l’industrie avec des subventions dans les communautés et les préfectures d’accueil, finançant la recherche et le développement et garantissant une aide avec compensation des coûts de nettoyage en cas d’accident, tout en permettant aux entreprises d’électricité de facturer les coûts du cycle du combustible nucléaire à leurs clients. Dans le climat actuel, ceci correspond à des soins à long terme pour une industrie en phase terminale. Le pire cauchemar de l’industrie électrique est de voir ces aides somptueuses arriver à leur fin.

(*1) ^ Le réacteur no 3 de la centrale de Takahama a été redémarré le 29 janvier 2016 et le réacteur no 4 le 26 février, mais en mars 2016, les deux réacteurs sont à nouveau mis à l’arrêt sur décision de justice.— N.D.L.R.

Les failles des nouvelles normes de sécurité

Malgré les réformes mises en place après la fusion des réacteurs de 2011, les questions fondamentales sur la sécurité de l’énergie nucléaire au Japon restent encore sans réponse.

Le rapport final du Comité d’enquête sur l’accident de la centrale de Fukushima ainsi qu’une pléthore de rapports externes ont montré du doigt l’esprit de complaisance qui a miné la politique de la sécurité du nucléaire au Japon avant 2011 et laissé le pays – avec sa forte densité de population et ses risques élevés de catastrophe naturelle – à la merci d’un accident catastrophique. Le gouvernement devait à l’évidence établir une réglementation bien plus rigoureuse s’il voulait résusciter le programme nucléaire du Japon. En septembre 2012, il crée l’Autorité de réglementation nucléaire et, en juillet 2013, l’ARN adopte de nouvelles normes de sécurité pour les réacteurs utilisés dans les centrales nucléaires.

Malheureusement, la nouvelle réglementation est également inadéquate pour assuer la sécurité des installations d’énergie nucléaire au Japon.

Le premier problème, c’est que les nouvelles normes sur lesquelles le screening et l’inspection des installations doivent se baser sont tout simplement trop laxistes. S’il est vrai que ces nouvelles règles sont basées sur les normes internationales, ces normes internationales elles-mêmes reposent sur un statu quo. Elles ont été mises en place afin de pouvoir être atteintes par la plupart des réacteurs déjà exploités.

En substance, l’ARN s’est assurée que tous les réacteurs existant au Japon soient capables de correspondre aux nouvelles normes avec l’aide de modifications morceau par morceau à un prix raisonnable – une remise en conformité, en quelque sorte. Dans la pratique, les entreprises doivent juste ajouter une nouvelle couche de gestion des urgences et quelques équipements de secours pour être conformes aux nouvelles normes de préparation des urgences. Les estimations des intensités sismiques et des hauteurs de tsunami dans chaque région ont été révisées à la hausse mais pas au point où elles nécessiteraient des modifications fondamentales de conception.

Le second problème de base, c’est que les nouvelles normes ne couvrent pas tous les niveaux de la « défense en profondeur » prônée par l’Agence internationale de l’énergie atomique sur son échelle internationale des événements nucléaires en sept étapes. Elles ne vont que jusqu’au Niveau 4 (« contrôle des conditions difficiles y compris prévention de la progression d’un accident et atténuation des conséquences d’un accident grave ») et s’arrêtent avant les exigences du Niveau 5 pour répondre à des accidents mettant en danger les zones environnantes par la libération significative de matériaux radioactifs.

Selon l’Acte sur les mesures spéciales concernant la préparation à l’urgence nucléaire, les gouvernements des préfectures et des municipalités situées dans un rayon de 30 kilomètres autour d’une centrale nucléaire ont la pleine et entière responsabilité de la préparation et de la planification de l’évacuation provoquée par des accidents nucléaires aux conséquences plus graves, dont l’impact dépasserait l’enceinte de la centrale. Conformément à cette loi, les plans doivent intégrer tous les éléments d’une liste de contrôle mandatée mais ils ne sont soumis à aucune révision externe. L’ARN ne considère donc pas la préparation locale et les plans d’évacuation en cas de catastrophe nucléaire comme faisant partie de sa réglementation.

La catastrophe de Fukushima n’est pas finie

Les risques en relation avec l’énergie nucléaire sont sans commune mesure avec ceux des autres technologies civiles. Un accident nucléaire peut provoquer des dommages catastrophiques étendus sur une très vaste région et perdurant pendant de nombreuses années. En septembre 2015, le nombre de personnes déplacées en raison de l’accident de Fukushima se montait à 107 700 personnes. Les dommages causés par l’accident ont d’ores et déjà atteint 11 000 milliards de yens et le compte final atteindra très probablement plusieurs fois cette somme. En outre, les problèmes de sécurité de la centrale nucléaire Fukushima Daiichi sont encore loin d’être résolus.

Les trois conditions de base pour maîtriser un accident nucléaire sont d’arrêter la réaction en chaîne, de refroidir le combustible et de contenir le matériau radioactif. Si l’on applique ces critères, l’accident de Fukushima n’est pas encore sous contrôle après plus de quatre ans. Le système d’injection d’eau utilisé pour refroidir le combustible fondu a été pénalisé par des problèmes de fiabilité. Pour ce qui est du confinement, les matériaux radioactifs rejetés sur une très vaste superficie pendant l’accident ne seront jamais récupérés, ni les eaux usées radioactives qui ont été déchargées dans l’océan. En outre, les travailleurs ont été incapables de localiser l’emplacement du combustible hautement radioactif qui s’est échappé des réacteurs pendant leur fusion.

À bien des égards, la progression et les causes de l’accident sont restées imprécises jusqu’à aujourd’hui. Comment pouvons-nous, sans connaître ces éléments, instituer des mesures de sécurité efficaces pour assurer que de tels accidents ne se reproduiront plus à l’avenir ?

Passer aux soins de fin de vie

Immédiatement après la catastrophe de mars 2011, l’exploitant de la centrale de Fukushima, la compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco), a ordonné des coupures de courant par roulement pour pallier à la baisse d’alimentation électrique dans le Japon de l’Est. Ces coupures ont été arrêtées en avril de la même année et l’alimentation électrique a été stable depuis.

Trois facteurs semblent avoir évité la crise énergétique que beaucoup avaient prédit. D’abord, il s’est avéré que le Japon disposait de capacités excédentaires considérables sous forme de générateurs thermiques conventionnels inutilisés ou sous-exploités. Deuxièmement, la demande en électricité est restée bien en dessous des niveaux de pointe enregistrés avant la récession mondiale de 2008. Et troisièmement, le peuple japonais s’est consciencieusement efforcé de réduire sa consommation électrique.

La production d’électricité au Japon a atteint un somment avec 1 195 térawatt-heures en 2007. En 2013, elle avait diminué de 8,8 % avec 1 090,5 TWh. Dans le même temps, la population japonaise dans son ensemble, et sa population active en particulier, est en train de rétrécir inexorablement, comme sa base manufacturière. Ceci signifie que la consommation électrique devrait continuer de diminuer naturellement, même sans intervention gouvernementale. Avec des mesures politiques concertées pour améliorer l’efficacité énergétique et élargir l’usage des énergies renouvelables, le Japon devrait être capable de se sevrer complètement d’énergie nucléaire d’ici 2030, tout en réduisant progressivement l’utilisation des énergies fossiles.

Comme mentionné plus haut, les entreprises d’électricité ne peuvent pas espérer redémarrer plus de 20 environ de leurs réacteurs d’ici 2020, dans les meilleures conditions. Il ne sera pas difficile d’arrêter ces 20 réacteurs d’ici 2030.

Les entreprises d’électricité résisteront sans doute à toute tentative de mettre au rebut les réacteurs restants et de diminuer jusqu’à zéro la dépendance du pays à l’énergie nucléaire mais elles pourraient probablement être incitées à le faire si les autorités mettaient simultanément en place des mesures pour atténuer le choc financier. Le gouvernement devra aussi compenser les régions pour la perte des emplois et des subventions associés aux centrales nucléaires en finançant des programmes d’encouragement pour le développement d’autres industries. Il est aujourd’hui temps de prévoir un passage des soins à long terme à des soins de fin de vie pour une industrie de l’énergie nucléaire insoutenable au Japon.

(D’après un original en japonais écrit le 28 septembre 2015. Photo de titre : la centrale nucléaire de Sendai, exploitée par la Compagnie d’électricité de Kyûshû, dans la préfecture de Kagoshima, le 1er octobre 2015. Jiji Press)
▼A lire aussi
Fukushima Daiichi, cinq ans après l’accident Mix énergétique japonais à l’horizon 2030 : toujours une place importante pour le nucléaire Diversifier les sources d’énergie pour faire face aux risques

politique électricité industrie énergie nucléaire gouvernement