Le président Obama à Hiroshima : une visite très attendue

Politique

Les propos tenus par le secrétaire d’État américain John Kerry à Hiroshima, dans le cadre de la réunion des ministres des Affaires étrangères du G7 d’avril dernier, donnent à penser que le président des États-Unis pourrait effectuer une visite historique sur le site du bombardement atomique du 6 août 1945. Miyama Hideaki, un journaliste qui vit et travaille à Hiroshima, explique l’importance d’un événement qu’il a lui-même contribué à susciter.

Miyama Hideaki MIYAMA Hideaki

Journaliste. Président de Hiroshima Television depuis juin 2011. Né en 1946, dans la préfecture de Toyama, au bord de la mer du Japon. Diplômé de l’Université Waseda. A travaillé au bureau de Washington du journal Yomiuri Shimbun en tant que rédacteur en chef et responsable du service politique, avant de rejoindre le poste qu’il occupe actuellement à Hiroshima.

Les 10 et 11 avril derniers, John Kerry, le secrétaire d’État américain, a séjourné à Hiroshima à l’occasion de la réunion des ministres des Affaires étrangères du G7. C’est la première fois qu’un membre en exercice du gouvernement des États-Unis se rendait dans la ville martyre et qu’il visitait les lieux de commémoration des victimes de la bombe atomique. « Ce que j’ai vu restera à jamais gravé dans ma mémoire », a déclaré John Kerry à propos du musée du Mémorial de la paix. « Comment pourrait-on oublier les images, les témoignages et les reconstitutions de ce qui s’est passé le 6 août 1945. »

Après avoir visité le musée, le secrétaire d’État américain et les ministres du G7 ont déposé chacun une gerbe de fleurs devant le Cénotaphe du parc du Mémorial de la paix de Hiroshima. À la demande de John Kerry, ils se sont ensuite rendus au dôme de Genbaku (littéralement dôme de la bombe atomique) constitué par les ruines de l’édifice qui s’élevait sur place, à l’aplomb de l’explosion. Au cours de la conférence de presse qui a suivi, le secrétaire d’État américain a évoqué avec émotion le bilan « atroce » des pertes humaines liées à la guerre et il a promis de dire au président Barack Obama « ce qu’il avait vu et à quel point une visite sur place avait de l’importance ».

Le journaliste Miyama Hideaki, président de Hiroshima Television, s’est entretenu avec Nippon.com à propos des déclarations de John Kerry, dans le cadre des efforts destinés à convaincre le président Obama de se rendre en personne à Hiroshima.

N.D.L.R : Un mois après la visite du secrétaire d’État américain, la Maison Blanche a annoncé le 10 mai que le président Obama se rendrait à Hiroshima le 27 mai à l’occasion de sa venue au Japon pour le sommet à Ise-Shima dans la préfecture de Mie.

Les ministres des Affaires étrangères du G7 et le chef de la diplomatie européenne posent devant le Cénotaphe situé dans le parc du Mémorial de la paix de Hiroshima. (De gauche à droite) Federica Mogherini, chef de la diplomatie européenne, le Canadien Stéphane Dion, le Britannique Philip Hammond, John Kerry, Kishida Fumio, l’Allemand Frank-Walter Steinmeier, l’Italien Paolo Gentiloni et le Français Jean-Marc Ayrault. (11 avril 2016, Jiji Press)

Une campagne bien orchestrée

En 2013, Hiroshima Television a lancé une campagne intitulée « Lettres à Obama » en vue de recueillir des textes demandant au président américain d’aller à Hiroshima. En septembre 2015, Miyama Hideaki s’est rendu à Washington avec 1 400 lettres adressées à Barack Obama par des habitants de la ville martyre. Le fonctionnaire du Conseil de sécurité nationale (NSC) de la Maison Blanche auquel il a remis ces documents a été, semble-t-il, si touché qu’il lui a demandé à quelle distance du site d’Ise-Shima, où doit se tenir le sommet du G7 de mai 2016, se trouvent Hiroshima et la base aérienne américaine d’Iwakuni, dans la préfecture de Yamaguchi.

« Je n’ai pas averti les medias japonais de nos tractations pour amener le président Obama à se rendre à Hiroshima », avoue Miyama Hideaki. « Mais je veux bien en parler avec Nippon.com qui a des lecteurs dans l’ensemble des cinq « États dotés d’armes nucléaires » – Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie – aux termes du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) de 1968. Je crois que la visite de John Kerry a été une bonne occasion pour faire passer notre message. »

La plupart des observateurs, y compris les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères japonais, considèrent qu’organiser une visite de Barack Obama à Hiroshima est une affaire de longue haleine. Mais pour Miyama Hideaki, la rencontre des ministres des Affaires étrangères du G7 du mois d’avril a constitué un grand pas en avant dans la bonne direction.
« La visite d’un président en exercice des États-Unis, le pays qui a largué la bombe atomique sur le Japon, c’est ce que Hiroshima et Nagasaki attendent depuis plus de 70 ans. Le gouvernement américain a toujours affirmé que le recours à l’arme nucléaire était indispensable parce qu’il a permis de mettre un terme à la guerre en épargnant la vie de centaines de milliers de jeunes soldats américains. Mais à l’heure actuelle, un changement subtil est en train de se produire dans l’attitude de la population des USA vis-à-vis du bombardement de Hiroshima et Nagasaki, en particulier chez les jeunes. Au début de son mandat, il y a presque huit ans, le président Obama a prononcé un discours mémorable à Prague où il a parlé en faveur d’une suppression des armes nucléaires. Et je crois qu’aujourd’hui, le moment est venu pour lui de conclure sa présidence en faisant une déclaration historique sur le désarmement nucléaire, à Hiroshima. »

La question des excuses

Aux États-Unis, les conservateurs et en particulier les associations de vétérans de la Seconde Guerre mondiale sont fermement opposés à toute visite présidentielle de ce type sous prétexte que cela reviendrait d’une façon ou d’une autre à présenter des excuses pour le bombardement de Hiroshima et Nagasaki. Pourtant à en croire Miyama Hideaki, ce n’est pas du tout l’objectif poursuivi par les habitants de sa ville.

« Comme je l’ai expliqué au fonctionnaire du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche à qui j’ai eu affaire, nous ne demandons pas au président d’accomplir un ‘voyage d’excuses’. Et les associations de survivants de la bombe A (hibakusha) disent exactement la même chose. Ce que nous voulons, c’est que Barack Obama continue sur la lancée de sa déclaration de Prague pour un monde sans armes nucléaires, avec un nouveau message en faveur du désarmement nucléaire. J’ai expliqué tout cela dans une lettre adressée à l’épouse de John Kerry, Teresa Heinz Kerry qui a une grande influence sur le secrétaire d’État américain. »

Miyama Hideaki ne croit pas non plus que tous ces efforts ont été inutiles. « Il paraît que John Kerry n’arrivait pas à quitter l’exposition sur les ravages de la bombe A. Quand il a fini par sortir du musée du Mémorial de la paix, il avait l’air complètement bouleversé par le sort tragique des victimes, comme l’a d’ailleurs confirmé un des hibakusha devant les caméras de la télévision. L’attitude du secrétaire d’État américain disait à elle seule à quel point il était ému. »

Une occasion unique d’œuvrer en faveur du désarmement nucléaire

Depuis la visite de John Kerry à Hiroshima, les medias japonais se sont essentiellement concentrés sur ses paroles, histoire de savoir s’il avait ou pas présenté des excuses. Les déclarations du secrétaire d’État américain ont été épluchées mot par mot et on lui reproche maintenant d’avoir évité de reconnaître toute culpabilité de la part des États-Unis. Miyama Hideaki est loin de partager ce point de vue étriqué. Il pense que les medias japonais devraient considérer le problème d’une tout autre façon en reconnaissant les efforts constants déployés par John Kerry pour gagner les jeunes générations à la cause du désarmement nucléaire, et en observant le changement progressif qui est en train de se produire dans l’opinion américaine à cet égard. D’après lui, l’enjeu n’est pas de céder aux volontés de Washington ou d’éviter de soulever un problème qui pourrait affecter le résultat des élections présidentielles américaines de 2016. Il s’agit simplement de donner au président Obama l’occasion de faire une déclaration sur Hiroshima dans le cadre du sommet du G7 d’Ise-Shima et de réactiver le débat sur le désarmement nucléaire.

Le 11 avril 2016, les ministres des Affaires étrangères du G7 ont publié une déclaration – dite « de Hiroshima » – sur le désarmement et la non-prolifération des armes nucléaires dans laquelle on pouvait lire, entre autres, ce qui suit. « Les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki ont infligé des destructions et des souffrances humaines énormes aux populations locales. » Les journaux japonais ont fait paraître des articles contenant des critiques vis-à-vis de la traduction provisoire de ce document par le ministère des Affaires étrangères japonais, en particulier en ce qui concerne l’expression « souffrances humaines » qui a été rendue par hiningenteki kunan, c’est-à-dire « souffrances inhumaines ». Mais Miyama Hideaki considère que les versions anglaise et japonaise sont dans l’ensemble fidèles dans la mesure où elles insistent sur les conséquences catastrophiques de la bombe A au niveau humain. « Si ce n’était pas le cas », précise-t-il, les ministres du G7 n’auraient pas conclu leur déclaration en disant ‘Nous partageons le profond désir des habitants de Hiroshima et Nagasaki que l’usage des armes nucléaires soit banni à jamais’. »

Miyama Hideaki vit à Hiroshima et il a le privilège d’être à la fois journaliste et président d’une chaîne de télévision locale. Il a su tirer parti de sa position pour contribuer à faire évoluer le discours simpliste des medias – viendra ou viendra pas ? – vers une proposition constructive en faveur d’une « déclaration de Hiroshima » antinucléaire du président Obama. Ce faisant, il incite le Japon à assumer un rôle plus équitable et plus positif dans la relation qui l’unit aux États-Unis depuis l’après-guerre.

(D’après un article en japonais du 19 avril 2016. Photo de titre : John Kerry (troisième à partir de la gauche), dépose une gerbe devant le Cénotaphe de Hiroshima en compagnie des autres ministres des Affaires étrangères du G7 et de Federica Mogherini (à droite), chef de la diplomatie européenne. (Jiji Press)

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