Le sommet du G7 : une opportunité pour le Japon d’accéder au leadership mondial

Politique

La réunion des ministres des Affaires étrangères du G7 qui s’est tenue à Hiroshima en avril dernier a constitué un pas symbolique en direction du désarmement nucléaire et une étape décisive pour la diplomatie japonaise. Mais les dirigeants du G7 seront-ils en mesure de prolonger cet événement par des accords concrets en vue de consolider l’économie mondiale et de protéger l’ordre international ? La façon dont le Japon assumera ses responsabilités, écrit Hosoya Yûichi, comptera pour beaucoup dans la réponse à cette question.

Même dans le domaine de la diplomatie, une image peut être plus éloquente que mille mots. En témoigne la photo récente du ministre japonais des Affaires étrangères Kishida Fumio et du secrétaire d’État américain John Kerry serrés l’un contre l’autre au cénotaphe du Mémorial de la Paix de Hiroshima, où les ministres des Affaires étrangères du G7 se sont réunis le 11 avril dernier. Dès le mois d’avril 2015, quand nos gouvernements ont signé les Principes directeurs révisés pour la coopération entre le Japon et les États-Unis en matière de défense et que le Premier ministre Abe Shinzô est devenu le premier dirigeant japonais à s’exprimer devant les deux chambres réunies du Congrès, il était clair que les relations nippo-américaines entraient dans une nouvelle phase. Un signe supplémentaire de cette évolution est apparu avec l’assentiment de Washington à la proposition du Japon – futur hôte et président du sommet de 2016 du G7 – offrant que la réunion des ministres des Affaires étrangères du G7 prévue pour la même année se tienne à Hiroshima, la ville natale de M. Kishida, le représentant du Japon à cette réunion. À l’occasion de celle-ci, le secrétaire d’État Kerry, visiblement ému par les expositions sur la bombe A du musée du Mémorial de la Paix, a parlé avec conviction de la nécessité de mettre en place un monde exempt d’armes nucléaires.

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La réunion du mois d’avril des ministres des Affaires étrangères du G7 a constitué une étape décisive à divers égards, mais le point le plus significatif réside dans le lieu même où elle s’est déroulée. Compte tenu du profond clivage entre les pays dotés de l’arme nucléaire et ceux qui en sont dépourvus, et vu l’insistance avec laquelle les premiers mettent en avant la valeur dissuasive de ces armements, la tenue de la réunion des ministres des Affaires étrangères du G7 à Hiroshima, où une bombe atomique avait semé la mort et la destruction 71 ans plus tôt, revêtait une signification hautement symbolique. Dans une interview accordée à la revue japonaise Gaikô (Diplomatie), M. Kishida a résumé la situation en quelques mots : « Le Japon étant le seul pays à avoir subi une attaque nucléaire, la responsabilité de l’instauration d’un monde exempt d’armes nucléaires lui incombe tout particulièrement. Dans le même temps, les trois années que je viens de passer à la tête du ministère des Affaires étrangères m’ont pleinement convaincu que la coopération entre États nucléaires et non nucléaires est indispensable si nous voulons faire le moindre progrès tangible en direction du désarmement nucléaire. » (Gaikô, N° 35, 2016, pp. 12-13)

M. Kishida, qui en est à sa quatrième année à la tête de la diplomatie japonaise – poste qu’il occupe depuis la formation du second gouvernement Abe –, est désormais un personnage bien connu sur la scène internationale. Ayant vécu et fréquenté l’école à New York dans son enfance, il parle couramment l’anglais. Lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères du G7, il n’avait nul besoin d’un interprète pour converser avec M. Kerry tandis qu’ils se promenaient ensemble sur sa terre natale. M. Kishida est en outre le chef de file de l’un des grands clans du Parti libéral démocrate, clan dont certains membres l’ont pressé d’affirmer clairement sa propre vision de la politique étrangère, de façon à renforcer sa position en tant que successeur potentiel de M. Abe. Refusant de céder à ces pressions et plaçant le devoir au-dessus des considérations politiques, il n’a épargné aucun effort pour défendre et appliquer la politique étrangère de M. Abe. Ce faisant, il a pleinement gagné la confiance du Premier ministre et de ses collaborateurs. Il s’est grandement distingué par le talent qu’il a déployé pour mettre en lumière la force renouvelée des liens unissant le Japon et les États-Unis, et sa prestation impeccable à la présidence de la réunion d’Hiroshima des ministres des Affaires étrangères du G7 n’a fait que renforcer sa réputation.

Le G7 est de retour

Lors d’une conférence de presse consécutive à la réunion des ministres des Affaires étrangères, M. Kishida a plaidé passionnément pour la pertinence du G7 en tant que dispositif international. « Les nations du G7 ont en commun leur adhésion aux valeurs universelles que sont la démocratie, la primauté du droit, la liberté des marchés, le respect de l’intégrité territoriale et des droits fondamentaux de l’homme », a-t-il déclaré. « On est en droit de dire que la prospérité et la stabilité dont la communauté internationale a bénéficié jusqu’ici sont les fruits d’un ordre international bâti sur ces valeurs. Aujourd’hui, toutefois, l’ordre international fondé sur ces valeurs universelles est remis en cause par des forces qu’anime une volonté unilatérale de changer le statu quo. » Les paroles prononcées par M. Kishida mettent en lumière un problème sérieux auquel le monde se trouve aujourd’hui confronté. Diverses forces menacent en effet les fondations mêmes de l’ordre international. Dans une telle incertitude, la coopération internationale et la coordination entre les pays du G7, qui partagent les valeurs cardinales dont parle M. Kishida, revêtent une importance préalablement inconnue.

Récemment encore, la raison d’être du G7 faisait l’objet de nombreuses interrogations. L’impact de la crise financière de 2008 et l’essor rapide de marchés émergents tels que la Chine et l’Inde laissaient à penser que l’influence des grandes démocraties industrielles était en train de décliner, et le G20 donnait l’impression de prendre de plus en plus de poids en tant que dispositif regroupant les économies les plus dynamiques. Depuis peu toutefois, la croissance économique a nettement ralenti en Chine et sur d’autres marchés émergents, tandis que la conduite de la Russie en Ukraine lui a valu des sanctions et de sévères critiques de la part de l’Occident. Dans ce contexte, l’élan qui portait le G20 en tant que dispositif potentiel de coopération a perdu de sa vigueur, tandis que le G7 apparaît de plus en plus comme l’outil le plus pertinent.

Dans sa déclaration consécutive à la réunion, M. Kishida s’est clairement exprimé sur le rôle essentiel que les paroles fortes et les actions coordonnées d’un groupe de pays partageant des valeurs clés jouent dans la préservation de la stabilité de l’ordre international. « Je crois que l’ordre international arrive à une étape décisive dont l’issue dépendra de la réponse que nous apporterons aux questions dont nous avons parlé ces deux derniers jours. Mon espoir est que la réunion d’Hiroshima des ministres des Affaires étrangères servira de tremplin pour des initiatives menées par les pays du G7, qui partagent des valeurs universelles, en vue d’assurer la paix et la sécurité de la communauté internationale. »

Entre autres résultats, la réunion d’avril des ministres des Affaires étrangères du G7 a abouti à la Déclaration sur la sécurité maritime, conçue pour mettre un frein à l’expansion de la Chine dans les mers de Chine méridionale et orientale, ainsi qu’à la Déclaration sur le désarmement et la non-prolifération, un premier pas nécessaire vers l’instauration d’un monde exempt d’armes nucléaires.

Sur un registre plus personnel, Hiroshima a suscité une intense réaction émotionnelle chez le secrétaire d’État Kerry. À propos de sa visite au musée du Mémorial de la Paix, avec ses photos et ses objets illustrant la dévastation provoquée par la bombe, il a parlé d’une expérience « déchirante » et déclaré que « tout le monde devrait visiter Hiroshima », y compris le président des États-Unis.

Trouver un terrain d’entente avec l’Allemagne

Passons maintenant à Ise-Shima, où se tiendra, les 26 et 27 mai, le sommet du G7. La position où se trouve aujourd’hui le Japon lui offre une opportunité exceptionnelle d’exercer un véritable leadership lors du sommet de cette année, non seulement du fait que c’est à lui qu’il revient d’héberger et de présider la conférence, mais aussi parce que le Premier ministre Abe aura davantage de marge de manœuvre que la plupart des autres dirigeants du G7. Pour le président Barack Obama, ce sommet sera le dernier, puisque son mandat va s’achever dans quelques mois, et il n’est donc pas en position de prendre des engagements pour les États-Unis ou de fixer un calendrier d’action. Le Premier ministre anglais David Cameron a bien assez à faire à la maison, avec les retombées des Panama Papers et la nécessité où il se trouve de persuader ses concitoyens de rester partisans de l’adhésion à l’Union européenne dans la perspective du référendum du 23 juin sur cette question. Quant à la France, depuis les attaques terroristes de 2015, la vie politique y est dominée par la lutte anti-terroriste et l’afflux des réfugiés syriens. L’Italie et le Canada ont tous deux à leur tête des dirigeants jeunes et fraîchement élus, dont l’expérience diplomatique ne peut rivaliser avec celle de M. Abe, vétéran de quatre sommets des grandes puissances. Seule la chancelière allemande Angela Merkel (avec dix sommets à son actif) est aussi bien placée que M. Abe pour prendre la direction du sommet de cette année du G7. C’est pourquoi, pendant la période qui précède le sommet, la tâche la plus importante de M. Abe va consister à aplanir les différences avec Mme Merkel.

L’économie mondiale, après tout, est censée occuper la première place dans la liste des priorités du sommet. La clé du succès en ce domaine pourrait résider dans l’aptitude de M. Abe à persuader Mme Merkel, connue pour sa vision conservatrice de la politique budgétaire, de la nécessité d’augmenter les dépenses publiques en vue de soutenir la croissance économique mondiale.

Un accord du G7 pourrait avoir une forte influence sur les tendances économiques mondiales. Il pourrait aussi avoir un impact sur le choix du moment opportun pour augmenter la taxe sur la consommation et sur le succès global du programme économique interne de M. Abe. Ce qui ne fait que renforcer la nécessité pour le Japon de faire montre de fermeté dans l’exercice du leadership.

Le 25 avril, à un mois du sommet, le Premier ministre Abe, qui s’apprêtait à prendre le départ pour l’Angleterre, la France, l’Italie et l’Allemagne – les quatre pays européens du G7 –, a demandé au vice-ministre des Affaires étrangères Saiki Akitaka et aux ministres adjoints des Affaires étrangères Sugiyama Shinsuke et Nagamine Yasumasa de « faire preuve de diligence dans les préparatifs en vue de garantir que le Japon puisse exercer un leadership effectif ». En Allemagne, M. Abe fera tout son possible pour convaincre Mme Merkel de la nécessité d’adopter un programme économique coordonné prenant en compte le genre de dépenses publiques dont le Japon s’est fait l’avocat, et sa réussite à cet égard aura un impact considérable.

Un héritage en gestation ?

Mais il est une autre question où la compréhension de l’Allemagne pourrait s’avérer essentielle : la sécurité maritime en Asie de l’Est. Le Japon et les États-Unis sont tous deux d’avis que le G7 doit parler d’une voix forte et unanime pour mettre un frein aux activités militaires de la Chine en mer de Chine méridionale. Mais au sein de l’Union européenne, c’est une opinion plus optimiste qui prévaut en ce qui concerne tant le rôle militaire joué par la Chine en Asie de l’Est que ses perspectives économiques.

Le défi auquel le gouvernement Abe se trouve confronté va bien au-delà de l’exercice immédiat de la présidence du sommet du G7. Le gouvernement Japonais s’efforce en effet de renforcer son leadership à l’échelle planétaire dans deux domaines qui ont une importance considérable : la politique économique axée sur les dépenses publiques et les mesures de sécurité maritime visant à assurer la liberté, l’ouverture et la sûreté de la navigation. Sauf imprévu, M. Abe a de bonne chance de rester au pouvoir pendant quelques années encore. Les Premiers ministres Nakasone Yasuhiro et Koizumi Junichirô ont réussi à mettre à profit les mandats relativement longs qu’ils ont exercés pour tisser des liens de proximité et de confiance avec les autres dirigeants du G7. Pour peu que M. Abe obtienne des résultats similaires, il sera en bonne position pour décider de l’ordre du jour diplomatique et diriger les débats.

Compte tenu de la situation agitée où se trouve aujourd’hui le monde, dans un contexte de montée des sentiments isolationnistes, il ne sera certes pas facile de forger un consensus pour une action concertée. Mais l’aggravation des menaces qui pèsent sur l’ordre international ne fait que renforcer l’importance de cette tâche. Le G7 se trouve à un carrefour. L’issue du sommet qui se tiendra au mois de mai à Ise-Shima pourrait bien déterminer la direction que va prendre l’économie mondiale, l’avenir de l’ordre international et l’héritage du gouvernement Abe.

(D’après un article en japonais du 27 avril 2016. Photo de titre : John Kerry et Kishida Fumio après avoir dépose une gerbe devant le Cénotaphe de Hiroshima,11 avril 2016. Jiji Press)

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