Ce que l’Antarctique nous enseigne sur le futur de notre planète

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En 1956, le navire de recherche polaire Sôya est parti pour l’Antarctique. Au cours des 60 années qui se sont écoulées depuis, les chercheurs japonais sur le continent austral ont grandement contribué à améliorer notre compréhension de l’évolution de la Terre et de l’univers. Motoyoshi Yôichi, chef de l’expédition du Japon partie en novembre 2016, présente dans cet article l’importance de la recherche en Antarctique pour l’avenir de la Terre.

Le 29 janvier 2017, la station Shôwa, base de recherche japonaise en Antarctique, célèbrait ses 60 ans. Au cours de cette période, le Japon a constamment mené des recherches scientifiques sur le continent blanc et a publié de nombreux résultats. Ceux-ci comprennent de nouvelles découvertes que personne n’aurait pu prévoir ainsi qu’un certain nombre d’indices pour prédire l’avenir de l’environnement mondial. En cette importante date, je voudrais revenir sur l’histoire de la recherche japonaise en Antarctique et ce qu’elle révèle sur l’état actuel et les perspectives futures de l’environnement de notre planète.

La station Shôwa et le navire de recherche Shirase, qui a transporté en Antarctique l’expédition japonaise en novembre 2016.

Symbole d’un nouveau Japon

Remontons à l’année 1955. Le Japon avait alors annoncé au cours d’un comité spécial sur l’Année géophysique internationale à Bruxelles un projet de recherche dans le continent austral. Il y avait apparemment une forte opposition de la part de certains pays à l’idée d’un retour du Japon dans la communauté internationale, si peu de temps après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cependant, d’autres étaient en faveur d’une participation nippone, et avec leur soutien, le Japon a commencé ses préparatifs pour la recherche antarctique.

Bien que 10 ans s’étaient écoulés depuis 1945, le Japon était un pays pauvre et souffrait encore des séquelles de la guerre. Enfant, je me souviens avoir vu des anciens combattants handicapés dans leurs tenues d’hôpital, assis dans les rues et devant les gares, jouant de l’harmonica ou de l’accordéon. C’est dans ce contexte qu’un important projet de l’État allait voir le jour.

Yada Kimio, journaliste du Asahi Shimbun, apprend que le gouvernement envisageait de mener des recherches en Antarctique dans le cadre de l’Année géophysique internationale. Il convainc les dirigeants du journal de lancer un projet d’exploration scientifique en Antarctique. Une grande campagne est ensuite lancée par l’entreprise et un vaste mouvement de collecte de fonds est organisée dans tout le pays. Bien sûr, le dévouement et le travail acharné de tous les employés du ministère de l’Éducation et de la Culture, du Conseil des sciences du Japon et de la Garde côtière japonaise (qui était responsable de la gestion du Sôya) ont joué un rôle essentiel dans le succès de cette campagne. Mais je suis convaincu que le soutien passionné du journal Asahi et d’autres entreprises privées ainsi que les espoirs des citoyens de tout le pays ont également été essentiels à la réalisation de ce projet.

Le 8 novembre 1956, salué par une immense foule, le navire de recherche antarctique Sôya a pris le large depuis le quai Harumi à Tokyo. Pour beaucoup de gens sur le quai ce jour-là, ce départ symbolisait sans doute un Japon rejoignant la communauté internationale après la Seconde Guerre mondiale. En effet, le pays a rejoint l’Organisation des Nations unies la même année. En coïncidant avec son retour sur la scène internationale, le départ du navire est devenu un événement hautement symbolique annonçant la détermination du Japon à devenir une grande nation scientifique.

Le Sôya prenant le large, le 8 novembre 1956.

L’esprit de coopération en Antarctique

C’est ainsi que le Sôya est parti pour l’Antarctique, portant avec lui les espoirs d’une nation. Mais une fois arrivé sur les rives du continent blanc, le navire a été bloqué par l’épaisse banquise et les tempêtes de neige. Alors que la première équipe d’hivernage est parvenu à atteindre – tant bien que mal – l’Antarctique, le navire a été pris au piège par la glace sur le chemin du retour.

Le Sôya a envoyé un message SOS au brise-glace soviétique Ob et a heureusement pu être secourue. La guerre froide avait déjà commencé, et les relations entre le Japon et l’Union soviétique étaient à peine cordiales à l’époque. Mais peu importe la nationalité quand on est en Antarctique. Le sauvetage est devenu un exemple célèbre de l’esprit de camaraderie, de coopération et d’entraide en Antarctique, et il a été transmis jusqu’à aujourd’hui. Il représente une partie importante de la vie du personnel qui travaille dans la région.

La première équipe d’hivernage était composée de 11 membres, sous la direction de Nishibori Eizaburô. Provisions emportées par la glace, base de recherche détruite par un incendie…, l’équipe a connu cet hiver des risques parfois mortels et des accidents évités de justesse. Toutes ces expériences douloureuses sont racontées avec précision dans le journal de Nishibori publié plus tard sous le titre Nankyoku ettôki (Hivernage en Antarctique). On peut y lire que l’équipe a su faire preuve d’ingéniosité et de détermination pour établir les installations de recherche et effectuer leurs observations, malgré l’hiver extrêmement rigoureux. C’est un récit qui, même aujourd’hui, n’a rien perdu de sa puissance.

Un continent regorgeant de fragments de météorites

Il y a plusieurs découvertes que nous n’aurions jamais faites sans le travail important des chercheurs japonais en Antarctique. Permettez-moi de vous les présenter brièvement.

En 1969, Yoshida Masaru, un des membres de l’expédition, était en train d’étudier la neige et la glace à l’intérieur du continent lorsqu’il a découvert un rocher de couleur noire dans les montagnes de Yamato, situées à environ 300 kilomètres au sud-sud-ouest de la station Shôwa. Yoshida était un géologue et a su presque immédiatement que c’était un type de roche qui n’existait pas sur Terre. Après être rentré au Japon, il l’a étudiée plus en détail et a fait une découverte remarquable : le rocher faisait partie d’une météorite. Peu après cette première découverte, le Japon a commencé une étude méthodique des météorites en Antarctique. Depuis, les chercheurs japonais ont recueilli un total de 17 000 fragments de météorites dans l’Antarctique (chiffre de 2016).

Des chercheurs observant des météorites dans la chaîne de montagnes des Sør Rondaneen en janvier 2013.

Le continent antarctique est près de 37 fois plus grand que le Japon et ce n’est pas en marchant au hasard que l’on peut trouver un si grand nombre de météorites. Les chercheurs japonais ont déterminé le mécanisme par lequel les météorites s’accumulent et ont mené des enquêtes ciblées en se basant sur ces données. Cela leur a permis de découvrir que l’Antarctique regorge de météorites. Cette découverte restera comme l’une des principales contributions du travail du Japon dans le continent.

On estime que la plupart des météorites trouvées en Antarctique proviennent d’astéroïdes, mais certaines d’entre elles viennent de la Lune et de Mars. Il est probable que ces recherches mèneront à de nouvelles découvertes à l’avenir. L’année 2019 marquera le 50e anniversaire depuis la première découverte de météorites en Antarctique. L’année suivante, la sonde spatiale japonaise Hayabusa 2 sera de retour sur Terre après un long voyage au cours duquel elle a recueilli des échantillons d’un astéroïde. La découverte de météorites en Antarctique a ouvert la voie à de nouvelles possibilités pour la science des matériaux planétaires. J’espère qu’il aura de nombreuses nouvelles découvertes dans ce domaine dans les années à venir.

Découverte du trou dans la couche d’ozone

En 1982, des chercheurs japonais ont été parmi les premiers à découvrir que la quantité d’ozone dans l’atmosphère au-dessus de l’Antarctique diminuait rapidement. Selon Chûbachi Shigeru, en charge des observations à l’époque, les données recueillies étaient si surprenantes qu’il a d’abord pensé qu’il y avait un problème avec son équipement. De retour au Japon à la fin de l’hiver, il a présenté les résultats de ses recherches au Symposium sur l’ozone, tenu en Grèce. Ce rapport a été le premier de l’histoire à attirer l’attention sur le trou dans la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique. L’instrument qui permet de mesurer la quantité d’ozone dans l’atmosphère s’appelle spectrophotomètre Dobson. Or ce dernier nécessitant la lumière du soleil pour fonctionner, Chûbachi a effectué un certain nombre de modifications pour lui permettre prendre des mesures à l’aide des rayons de la lune durant la nuit polaire (période de l’année durant laquelle le soleil ne se lève pas).

L’agrandissement du trou dans la couche d’ozone ne concernait pas seulement l’Antarctique : c’était un problème sérieux pour l’environnement de la Terre entière. Suite à cette découverte, le protocole de Montréal, interdisant les substances nocives pour la couche d’ozone, a été signé en 1987 au Canada et est entré en vigueur en 1989. Grâce à cet accord international, le trou dans la couche d’ozone, qui à un moment avait atteint presque deux fois la taille de l’Antarctique, a récemment commencé à diminuer.

La couche d’ozone joue un rôle vital pour la vie sur Terre en absorbant les rayons ultraviolets. Si la couche d’ozone était détruite, il n’y aurait plus de vie sur la surface de notre planète et seules les formes de vies dans les océans ou sous terre subsisteraient.

De la mousse dans les lacs de l’Antarctique

En 1995, Imura Satoshi a découvert une forme de la vie étrange au fond des lacs autour de la station Syowa : des formations végétales faisant environ 40 centimètres de diamètre et 60 centimètres de haut, qui ont par la suite été appelées kokebôzu ou « cônes de mousse ». Ces pyramides sont constituées de diverses formes de vie, mousse, algues et cyanobactéries, qui s’amassent au fond du lac.

Même pendant les jours les plus froids de l’hiver antarctique, les mers et les lacs ne gèlent jamais entièrement et il n’y a généralement de la neige et de la glace qu’en surface. Néanmoins, trouver de la vie végétale florissante sur une si grande échelle a été une réelle surprise. C’est une sorte de forêt au fond du lac. Il est fascinant de s’imaginer comment et quand ces plantes sont arrivées ici et ont commencé à vivre dans l’environnement hostile de l’Antarctique. L’écologie dans ce milieu extrême a beaucoup à nous enseigner sur les origines et l’évolution de la vie sur Terre.

Installation d’un système de vidéo sous-marin pour observer les « cônes de mousse » au fond d’un lac, en janvier 2010.

Les carottes de glace, de véritables capsules temporelles

Extraction d’échantillons de carottes de glace à la station Dome Fuji, située à l’intérieur du continent, en janvier 2005. La partie éclairée montre la perceuse pénétrant la glace. Les chercheurs ont excavé la glace jusqu’à 3 km de profondeur.

Le continent antarctique est recouvert de couches de glace, qui dans certains endroits fait jusqu’à quatre kilomètres d’épaisseur. Elles sont composées de neige qui s’est tassée au cours de nombreux siècles. Plus l’on va en profondeur, plus la glace est ancienne. À la station Dome Fuji, éloignée de 1 000 kilomètres de la station Showa, les chercheurs ont foré jusqu’à 3 035 mètres dans la glace, presque dans la roche, et ont récupéré des échantillons de glace qui était à l’origine de la neige tombée il y a environ 720 000 ans. Ces échantillons sont appelés carottes de glace. Ils ont permis aux chercheurs d’extraire des données sur les changements de température de l’air et les niveaux de dioxyde de carbone au cours des 720 000 dernières années. En ce sens, ces carottes de glace sont de véritables capsules temporelles.

La station Dome Fuji a été établie en 1996. Elle est située 3 800 mètres au-dessus du niveau de la mer, où la température moyenne est de -50 °C. Les températures peuvent atteindre les -80 °C en hiver. Pour établir une station de recherche dans un tel lieu, il a fallu construire des véhicules adaptés à la neige capables de transporter d’importantes quantités de matériels et d’équipement et de résister à des températures extrêmement basses. En ce qui concerne le forage, les chercheurs ont mis au point, après des essais menés au Japon et au Groenland, la foreuse la plus rapide du monde. Ce genre de technologie est essentiel pour les recherches de l’équipe. Sans cette foreuse, il aurait été impossible de creuser si profondément et de remonter à la surface des échantillons de carottes de glace.

L’Antarctique et l’avenir de notre planète

Motoyoshi Yôichi en Antarctique en 2001. Il a été nommé chef de l’expédition en Antarctique partie en novembre 2016.

L’Antarctique a été décrite comme une fenêtre sur notre planète et l’univers. La recherche polaire s’intéresse aux changements de notre environnement au niveau planétaire et aussi de l’espace proche de la Terre. Elle a un rôle important à jouer en particulier dans la compréhension des causes du changement climatique. Les mécanismes du changement climatique mondial sont tout sauf simples : énergie solaire, rayons cosmiques, géomagnétisme, tectonique des plaques, marées océaniques, calottes glaciaires, activité biologique, etc. Ces facteurs interagissent de façon complexe, chacun d’eux faisant partie d’une réaction en chaîne ayant un impact sur l’atmosphère, les océans, la faune et la flore.

Les régions polaires, où les calottes glaciaires, les océans et les terres peuvent être simultanément étudiés, sont des lieux extrêmement rares sur notre planète et par conséquent sont particulièrement importantes pour la recherche scientifique. Si quelqu’un me demande quel est le but de la recherche scientifique en Antarctique, voici ma réponse : « Élucider scientifiquement ce qui se passe sur la planète et ce qu’elle deviendra à l’avenir. » C’est aussi un moyen de découvrir le sens de notre existence sur cette plateforme que nous appelons la Terre et, en quelque sorte, de chercher une réponse à la question « d’où vient l’humanité et où va-t-elle ? ».

(Article initialement publié en japonais le 6 octobre 2016. Photo de titre : un groupe de manchots Adélie rendant visite à la station Shôwa en 2011. Toutes les photos avec l’aimable autorisation de l’Institut national de recherche polaire.)

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