Comment valoriser les travailleurs étrangers dans les entreprises japonaises ?

Société

Afin de renforcer sa main d’œuvre et sa compétitivité à l’international, le Japon, en plein déclin démographique, souhaiterait davantage se doter de travailleurs venus de l’étranger. Mais les entreprises japonaises devraient tout d’abord opérer un changement radical dans la manière de gérer leur accueil.

Un salaire qui ne correspond pas à la quantité de tâches effectuées

« Jusqu’à quelle heure travaillent les employés des sociétés japonaises ? » se demande une Chinoise employée dans le secteur financier de Shanghai. Un jour où elle avait dû rester jusqu’à 23 heures, elle avait remarqué que de nombreux employés japonais d’une banque japonaise, dont les bureaux se trouvent au même étage que le sien, étaient toujours présents, sans qu’aucun ne semblait se préparer à rentrer chez lui. Une de ses collègues avait observé le même phénomène à une autre occasion. Elles ont alors pensé que les banques japonaises étaient des sociétés effrayantes.

Selon le Livre blanc de l’économie chinoise et des entreprises japonaises publié par la Chambre de commerce et d’industrie japonaise en Chine, 23 094 entreprises japonaises étaient présentes en Chine fin 2012. Plus de 10 millions de Chinois travaillent directement et indirectement pour des entreprises japonaises. Les Chinois en contact avec la culture d’entreprise japonaise ne sont donc pas rares, mais cela ne signifie certainement pas qu’ils l’acceptent.

J’entends souvent les Chinois employés par des entreprises japonaises en Chine dire que la pression qu’ils subissent dans leur travail est trop importante. « Par rapport à nos salaires » est ce qu'il faut sous-entendre à travers leurs propos.

Un Chinois de 31 ans, employé d’une firme japonaise de chimie, me confie : « Comparées à celles des petites entreprises locales et privées chinoises, les rémunérations offertes par les entreprises japonaises ne sont pas mauvaises. Mais cela ne veut pas dire que j’en suis satisfait. Je voudrais dire à mon employeur de cesser d’exiger de moi un travail qui ne correspond pas à mon salaire. »

La grille des salaires pour un poste administratif dans les entreprises japonaises de la région de Shanghai va de 4 à 20 mille yuans (1 yuan = environ 7,5 euros), et la majorité se situe entre 6 à 8 mille yuans, un niveau inchangé depuis le début des années 2000. En dépit de la croissance remarquable de l’économie chinoise depuis le début du XXIe siècle, les entreprises ont maintenu le même niveau de salaire. Aux yeux des Chinois qui regardent cela de très près, les entreprises japonaises en Chine ne sont pas attractives, avec leurs salaires peu élevés, leurs congés difficiles à prendre, et leurs perspectives de carrière inexistantes.

Le désespoir des travailleurs chinois du Japon

Plus de 670 000 Chinois vivent au Japon, et nombre d’entre eux travaillent dans les mêmes conditions que leurs collègues japonais. Difficile de dire toutefois qu’ils sont satisfaits par cette situation. Une Chinoise de 35 ans employée par une compagnie aérienne remarque : « J’ai la chance de m’être adaptée à mon milieu de travail et d’avoir de bons rapports avec mes collègues. Mais si cet équilibre devait disparaître, je rentrerais sans hésiter en Chine. Je ne tiens pas à travailler à tout prix pour une société japonaise. »

Dans les années 1990, Toyota, Sony ou Panasonic étaient des marques nippones rêvées des Chinois. Un jeune homme qui a trouvé un emploi chez un autre industriel japonais de renom mondial explique : « Je ne pensais pas que les sociétés japonaises avaient une structure si verticale. Je n’ai aucun contact avec le service d’à côté. J’ai voulu cet emploi parce que mon employeur est présent dans le monde entier, mais ce côté international, je ne le ressens absolument pas au quotidien. À cause de la réduction des coûts, seuls les chefs de section ou les responsables de division sont envoyés en voyages d’affaires à l’étranger. Pour ma part, j’ai déjà commencé à chercher ailleurs. »

Une entreprise qui recrute activement des Birmans

En 2015, le nombre d’étrangers étudiant dans les universités japonaises a franchi pour la première fois la barre des  200 000. Plus de 90 % viennent d’Asie, et près de la moitié sont Chinois. Ces derniers temps, les Birmans sont aussi nombreux.

Alps Giken (Altech Corporation), une société fondée en 1968 à Yokohama, se spécialise dans le placement d’ingénieurs et recrute activement des ressortissants du Myanmar. Il ne s’agit pas d’un simple bureau de placement. Altech emploie des ingénieurs hautement qualifiés en tant que ses propres salariés pour les mettre à la disposition de ses clients. Aujourd’hui, elle compte quelque 3 000 ingénieurs, y compris non-japonais.

Aung Kyaw Phyoe, un Birman de 36 ans, travaille pour Altech depuis six ans. Il appartient au service de développement international d’Altech dont il est chargé de promouvoir les activités au Myanmar. Il explique ses motivations à vouloir travailler pour une société japonaise : « Alors que de nombreuses entreprises coréennes et chinoises sont aujourd’hui implantées dans mon pays, je n’avais jamais entendu d’écho négatif au sujet des Japonais et des entreprises japonaises. Enfant déjà, je rêvais de travailler pour une entreprise japonaise. C’était une chance inespérée. »

Ce qu’il apprécie le plus chez Altech : « Les supérieurs s’occupent bien de leurs employés. Moi aussi je me sens très bien traité. » La moitié des employés de sa division ne sont pas japonais. Altech a décidé de l’embaucher car il avait fait preuve de beaucoup de considération pour ses partenaires lorsqu’il avait été chargé d’accueillir une délégation de la société au Myanmar. Honya Tsuyoshi, le responsable de la division internationale d’Altech souligne que sa société ne fait pas de distinction entre Japonais et non-Japonais en terme de recrutement, et que l’un des critères d’embauche les plus importants est la capacité de communication interpersonnelle.

Un futur cadre venu du Vietnam

Omtec, une entreprise de bâtiments basée à Tokyo, spécialisée dans le battage de pieux et les travaux de terrassement,  a recruté au printemps 2016 Nguyen Minh Hoang, un Vietnamien de 29 ans, en tant que futur cadre, une décision motivée par la stratégie du gouvernement japonais de faire du pays un exportateur d’infrastructures. Le personnel non-japonais formé par la société est donc la clé du succès des activités d’Omtech à l’étranger.

Nguyen Minh Hoang, qui a étudié la conception des autoroutes à l’École supérieure de transports et de communications du Vietnam, souhaitait vivement être embauché par une société japonaise. Il a en effet découvert pendant ses études les ponts construits au Vietnam grâce à l’aide publique au développement fournie par le Japon, et souhaitait apprendre cette technologie avancée.

Aujourd’hui, il occupe déjà une fonction de direction dans plusieurs chantiers à Tokyo. Il décrit ainsi, dans un japonais acquis en quelques mois : « J’ai une expérience que n’ont pas mes collègues japonais. Je veux continuer à réfléchir à la meilleure méthode pour améliorer encore ce qui se fait aujourd’hui. »

Apprendre des entreprises japonaises

Ping An a appris des droits de propriété intellectuelle dans une société japonaise.

GMO Brights Consulting, basée à Tokyo, offre une assistance stratégique aux firmes japonaises soucieuses de protéger leurs droits de propriété intellectuelle. Ping An, une Chinoise de 28 ans, originaire de Shanghai, dit avoir beaucoup appris en y travaillant. Elle était chargée de chercher, à la demande de clients, les « articles douteux » que l’on peut trouver sur les sites chinois de ventes, et de les en informer.

« Quand j’étais étudiante, j’aimais regarder les dessins animés japonais gratuitement en ligne. À l’époque,  j’ignorais que ce n’était pas bien. Ce n’est qu’en faisant ce travail au Japon que j’ai découvert la nécessité de protéger la propriété intellectuelle », explique-t-elle.

Suite à d’intenses études, elle obtient la certification japonaise de niveau 2 de compétence en gestion de propriété intellectuelle. Malgré cela, rentrée en Chine aujourd’hui, elle peine à trouver une position lui permettant d’utiliser ses compétences dans ce domaine, car il n’existe pas dans son pays de poste qualifié semblable en matière de propriété intellectuelle, dit-elle. Son expérience professionnelle au Japon ne lui est malheureusement pas d’ utilité pour sa carrière en Chine, mais la formation qu’elle y a reçue n’en reste pas moins importante.

Une bonne connaissance de la langue japonaise n’est pas tout

65 % des étudiants du campus japonais de l’Université américaine Temple, établissement américain basé en Pennsylvanie, viennent des États-Unis et d’autres pays. Ils ont choisi cette université car elle leur permet d’obtenir un diplôme américain sans besoin d’aller étudier là-bas. Le nombre d’étudiants qui la fréquentent dans l’objectif de se préparer au Japon à une carrière internationale est en augmentation.

Cependant, pour Sawa Kentarô, du service d’orientation professionnelle de cette université, il reste beaucoup à faire, car de nombreux problèmes demeurent pour les étudiants étrangers qui souhaitent se faire embaucher par des employeurs japonais. En particulier, le haut niveau de japonais exigé : l’obtention du niveau 1 du test d’aptitude en japonais (JLPT) est souvent imposé comme condition à une embauche par les entreprises.

Confronté à une baisse de la jeune population provoquée par le déclin démographique, le gouvernement japonais a décidé de stimuler davantage l’accueil d’étudiants étrangers, dans l’espoir de les voir fournir une main d’œuvre de qualité dans les entreprises japonaises. En 2008, le plan « 300 000 étudiants étrangers » a été annoncé. Mais la barrière de la langue, qui sépare les employeurs et les demandeurs d’emploi, reste un obstacle considérable, et les entreprises japonaises ont du mal à ouvrir leurs portes aux étudiants étrangers.

En novembre 2016, l’Université Temple a organisé, conjointement avec l’Université Sophia, un forum de l’emploi de langue anglaise, qui rassemblait des sociétés ne faisant pas un pré-requis du niveau 1 du test d’aptitude en japonais. Pour M. Sawa, « il est certes important que les étudiants étrangers améliorent leur connaissance de la langue japonaise. Mais il serait aussi bon que les employeurs potentiels accordent aussi plus d’importance à d’autres compétences. »

Attirer les non-Japonais

« Ce que les entreprises japonaises recherchent, ce sont des employés non-Japonais qui se conduisent comme des Japonais », disent certains, comme Anna, une Allemande de 33 ans repartie dans son pays. Elle se souvient de sa formation reçue lorsqu’elle a été recrutée par une société japonaise : « J’ai eu l’impression que son but premier était de fabriquer des Japonais. J’ai dû faire de grands efforts pour me convaincre que c’était indispensable, puisque nos clients étaient japonais. »

Une chose l’a étonnée plus que tout pendant son séjour au Japon : l’importance des manuels. « J’avais entendu dire que les entreprises japonaises aiment les manuels, mais je n’imaginais pas à quel point c’était vrai. J’en ai parfois été irritée parce que j’avais envie de prendre un peu plus d’initiatives. »

André, un Français de 30 ans, n’est pas convaincu par le processus décisionnaire propre aux entreprises japonaises : « Il faut deux ou trois jours pour obtenir l’approbation de la personne chargée du projet, de son supérieur, du responsable de division, du dirigeant du service. » Au Japon, où l’on cherche à limiter tous les risques possibles, la prudence est une vertu cardinale, mais cette vertu est mal vue des autres pays émergents d’Asie, à commencer par la Chine. Prendre de lentes décisions et laisser échapper des opportunités véhiculent une mauvaise image des entreprises japonaises.

Certes, la culture japonaise est bien appréciée en France, mais il n’en est rien des entreprises japonaises. « Nous avons l’image d’une société qui fait trop travailler ses employés. Même si les entreprises offrent en principe des congés payés, il est non seulement difficile de les prendre d’affilée, comme on le fait en France, mais j’ai également l’impression que l’atmosphère ne se prête même pas à en faire simplement la demande. »

Dans un Japon en pleine crise démographique, et face à ses entreprises pressées de s’ouvrir à l’international, se doter d’une main d’œuvre étrangère de qualité est sans aucun doute nécessaire. Mais ces entreprises vont-elles pouvoir attirer plus de travailleurs étrangers ? C’est toute la question. Les accueillir et s’appuyer sur leur franc-parler afin d’aborder tous ces problèmes de front, ne serait-ce pas la meilleure chose à faire ?

(D’après un article en japonais du 5 décembre 2016. Photo de titre : Nguyen Minh Hoang au travail, printemps 2016, prise par l’auteur.)

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