Le harcèlement scolaire : si nous n’agissons pas ensemble…

Société

Le harcèlement scolaire s’est aggravé ces dernières années. Il est devenu de plus en plus difficile à traiter pour les enseignants. Quelles sont les mesures essentielles à prendre, et quels genres de dispositifs faudrait- il mettre en place afin de protéger le plus efficacement possible les enfants ?

Une loi adoptée après le drame d’Ôtsu

La loi relative aux mesures de lutte contre le harcèlement scolaire est entrée en vigueur en 2013. Plusieurs incidents ont conduit à cette législation. Tout a commencé par le suicide d’un collégien de Tokyo en 1986. Ce garçon de 13 ans avait été harcelé à plusieurs reprises par ses camarades de classe. Parmi les brimades qu’il avait reçues, l’organisation de ses funérailles parodiques pendant son absence, assistées non seulement par les élèves, mais aussi par quatre professeurs, a particulièrement choqué toute la nation. Depuis cette tragédie, le harcèlement scolaire a été traité comme un problème important pour la société, chaque fois qu’il menait de pauvres jeunes à la mort. Malgré tout, aucune mesure efficace n’a vu le jour.

Mais le drame qui s’est produit dans la ville d’Ôtsu en 2011 a enfin provoqué un déclic. Il concernait également le suicide d’un jeune garçon ne supportant plus les graves violences et chantages que lui faisait subir un groupe de camarades. L’année suivante, sa mort a fait l’objet d’une très grande couverture médiatique car il a été révélé que son école et le Comité éducatif local avaient fait preuve de négligence et tenter de dissimuler l’affaire : une attitude qui a déchaîné de vives critiques et débouché sur de nombreux regrets.

Ainsi, une loi a finalement été mise en place. Tout le monde a compris que le harcèlement scolaire était devenu un problème bien trop grave pour être réglé seulement au niveau des élèves et des enseignants, et que l’intervention publique était nécessaire pour le juguler. Cela signifie une chose : la société dans son ensemble est enfin déterminée à aborder de front cette question. Mais si l’on choisit de confier tous les pouvoirs au monde adulte afin de trouver les solutions à un problème né entre les enfants, il faudrait rester prudent. En effet, cela pourrait faire diminuer la capacité des enfants à régler eux-mêmes leurs difficultés. Parvenir à un équilibre entre l’autonomie des enfants et la contribution des adultes est une question qu’il faut résoudre dans le cadre de la loi.

La loi instaure trois obligations pour chaque école :
1- L’élaboration d’une ligne directrice pour prévenir le harcèlement
2- La mise en place d’un système efficace pour l’empêcher
3- Une attitude adaptée pour prévenir les tentatives de harcèlement, les repérer à un stade précoce et leur apporter une solution

Il est aussi souligné la nécessité de confronter les faits afin de prévenir leur récidive, et garantir face aux incidents graves l’équité et la neutralité des mesures prises ainsi que des enquêtes sur leurs circonstances, même s’ils accablent les écoles ou les Comités éducatifs. Il s’agit d’un changement qualitatif des mesures de lutte contre le harcèlement.

La révision des mesures de lutte contre le harcèlement scolaire

Cependant, pour l’année 2015, il a été comptabilisé 224 540 cas de harcèlement scolaire (écoles élémentaires, collèges et lycées confondus) soit 16,4 cas pour 1 000 élèves, contre 180 072 cas l’année précédente (chiffres du ministère de l’Éducation, 2016). La situation demeure donc extrêmement préoccupante. Le harcèlement scolaire continue à conduire des élèves au suicide et au refus d’aller à l’école. La loi prévoyant une révision après trois ans, le Conseil de lutte contre le harcèlement scolaire, une commission d’experts réunie au sein du ministère en novembre 2016, en a donc débattu et fourni de nouvelles orientations.

Celles-ci se résument aux sept points suivants :
1- Clarifier la définition du harcèlement dans le cadre de la loi
2- Réaffirmer les objectifs de la « ligne directrice » de chaque école
3- Mettre en place un système efficace de lutte contre le harcèlement, avec un partage exhaustif des informations
4- Améliorer les initiatives prises pour la prévention du harcèlement et sa détection précoce
5- Définir clairement le point à partir duquel un cas de harcèlement est considéré comme résolu
6- Renforcer la coopération entre l’école, les parents et la communauté locale
7- Définir clairement le point à partir duquel un cas de harcèlement est considéré comme grave

Enfin, face à ce phénomène, et afin de protéger les victimes, les enseignants vont devoir de façon primordiale rester à l’écoute de leurs élèves, agir en conséquence, et accorder la plus grande priorité de leur travail quotidien à la prévention des suicides.

Accorder de l’importance à la subjectivité des élèves harcelés

Les mesures de lutte contre le harcèlement mettent en évidence l’importance de partager les informations et de réagir collectivement. Penchons-nous à présent sur les difficultés majeures que soulèvent ces mesures. Premièrement, la définition du harcèlement scolaire dans la loi n’est pas suffisamment intégrée dans les établissements d’enseignement et parmi le corps enseignant, percevant chacun le problème à leur manière. Cela engendre des confusions quant à la perception et à l’approche du problème.

La loi définit ainsi le harcèlement : « Actes ayant des répercussions psychologiques ou physiques chez les élèves,  leur faisant éprouver des souffrances physiques et mentales ». Autrement dit, la subjectivité des victimes joue un rôle très important.

Cette définition étant extrêmement large, elle peut ne pas coïncider avec le harcèlement tel qu’il est généralement compris. Certains cas sont donc assimilables au harcèlement selon la définition de la loi, sans pour autant être traité comme tel. Il faut donc veiller, par des exemples concrets, notamment avec la mise en place de formations sur le lieu de travail, à ce que tous les enseignants intègrent la définition officielle donnée à ce phénomène. Ainsi, ils seront aptes à déceler les cas de harcèlement dès qu’ils se produisent, même les plus mineurs, en adoptant le point de vue  de leurs élèves s’ils en sont victimes .

Il est déterminant d’encourager le partage des informations afin de reconnaître un cas de harcèlement et le faire  cesser. À cet égard, l’augmentation des cas répertoriés ne doit pas nécessairement être perçue de manière négative. Au contraire, elle témoigne de la sensibilisation des enseignants à ce phénomène, ainsi que du développement d’une approche collective de l’école.

La nécessité de former les enseignants sur leur lieu de travail

La « ligne directrice » doit être conçue comme un plan d’action de chaque établissement pour faire face au harcèlement scolaire. Dans ce cadre, il faut fixer des objectifs concrets, des programmes annuels à exécuter et suivre l’état de leur réalisation. En particulier, à travers l’enseignement de la morale, des droits humains, du droit ou encore par des activités pratiques, lancer des initiatives pour que les élèves participent à ce plan serait très efficace : qu’ils en discutent et s’engagent d’eux-mêmes dans la lutte.

Au moment de l’élaboration ou de la révision de la ligne directrice, il est important de prêter une oreille attentive à l’opinion des enfants et des parents, de coopérer localement avec les organismes concernés et d’analyser avec une totale intégrité les résultats obtenus et les problèmes à résoudre.

Il est indispensable que les enseignants bénéficient de formations au sein de leur établissement et veillent à ce que chacun assimile parfaitement les programmes de lutte contre le harcèlement dans leur école. Ce sera une occasion de repenser le système d’aide pédagogique et d’améliorer la structure scolaire.

Renforcer la coopération avec la communauté locale et les organismes extérieurs

Le harcèlement scolaire au Japon se caractérise de trois manières :
1- Il est souvent psychologique, par le biais de propos violents, de harcèlement moral ou encore par la mise à l’écart.
2- Il se produit souvent en classe, notamment pendant les récréations.
3- Les harceleurs sont souvent les camarades de classe de la victime.

Le harcèlement est difficile à percevoir de l’extérieur. Le professeur principal de la classe se confronte à des tâches difficiles. Il doit en effet pouvoir repérer les premiers signes de harcèlement, et prendre en charge les victimes, sans oublier de s’occuper de leurs harceleurs. Dans ce cas, il n’est pas rare de voir ces enseignants porter seul la responsabilité du problème, craignant de se faire critiquer sur leurs manières de faire ou leurs éventuelles négligences. Ces derniers temps, les cas de harcèlements sont de moins en moins visibles au moyen des médisances sur les réseaux sociaux ou de la mise à l’écart d’un groupe. Les écoles ont de très grandes difficultés à en prendre conscience.

Plus le harcèlement est difficile à déceler, plus il s’aggrave. Dès qu’il est mis à jour, il est de la plus grande importance de le traiter non pas à l’échelle des personnes concernées, mais au niveau de tout l’établissement scolaire. Chaque enseignant doit donc absolument être conscient qu’il a le devoir de transmettre le problème et de le partager avec la structure de lutte mise en place dans son établissement. Pour cela, il faut que cette structure soit placée sous l’autorité de la direction de l'école, et que les méthodes pour rapporter un cas de harcèlement soient clairement indiquées. Il serait nécessaire de créer un environnement où un enseignant n’aurait pas à se confronter seul à ce type de phénomène. Il est aussi indispensable d’installer un système de soutien mutuel entre les enseignants. Seul leur appui solidaire pourra sauver efficacement une victime de harcèlement.

Enfin, ne pas considérer le harcèlement comme un problème limité à l’école : il faut aborder ce grave problème en s’appuyant sur l’aide de la communauté locale, et sur la coopération des institutions impliquées, qu’elles soient médicales, sociales, ou judiciaires. Il faut partir du principe que les problèmes touchant les enfants sont un problème de société. Cela exige alors une communication étroite et quotidienne avec toutes les parties concernées, et un effort pour se rapprocher d’elles en dépassant une perception territoriale.

Rappelons-nous que lorsqu’un cas de harcèlement s’aggrave, les enseignants souffrent tellement de porter à eux seuls la responsabilité qu’ils sont incapables de réagir au moment critique. Il est primordial que cela change.

(Adapté d’un original en japonais du 2 février 2017. Photo de titre : le maire de la ville d’Ôtsu et les employés municipaux marquent une minute de silence, cinq ans après le suicide d’un collégien de la ville, le 11 octobre 2016. Jiji Press.)

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