Six ans après le séisme : un nouveau centre commercial pour une ville frappée par le tsunami

Société

La ville de Minami-Sanriku, dans la préfecture de Miyagi, a été dévastée par le tsunami du 11 mars 2011. Près de six ans plus tard, l’ouverture tant attendue d’un centre commercial permanent suscite de grands espoirs quant à l’accélération du rétablissement de la communauté. Mais les défis à relever restent considérables.

La foule afflue de nouveau

Le 3 mars 2017, le centre commercial Shizugawa Sun Sun a ouvert ses portes à Minami-Sanriku, une ville du littoral de la préfecture de Miyagi dévastée le 11 mars 2011 par le grand tremblement de terre de l’est du Japon et le tsunami qui l’a suivi. Le nouveau quartier commerçant remplace une installation provisoire ouverte en février 2012. Maintenant que des magasins permanents sont en place, la ville espère retrouver la vitalité que procure un point de ralliement où les habitants peuvent effectuer leurs courses quotidiennes.

C’est le célèbre architecte Kuma Kengo qui a conçu les lumineuses structures en bois de cèdres japonais provenant de la ville même de Minami-Sanriku.

Ce jour-là, malgré le froid et le vent cinglant qui soufflait, le centre commercial Sun Sun a accueilli une foule de visiteurs venus de la ville et de l’extérieur. Abe Tadahiko, à la tête de l’association des commerçants du quartier, arborait un sourire resplendissant en contemplant les nouvelles boutiques lors de leur premier jour d’ouverture : « Tout au long des dix années qui ont suivi la catastrophe, nous avons dépensé tellement d’énergie pour remettre nos boutiques en état. On est vraiment content de voir enfin arriver le jour de la réouverture. »

Un nouvel emplacement pour les boutiques

La zone commerciale et ses vingt-huit boutiques, qui occupent un terrain situé 600 mètres plus près de la mer que les magasins provisoires utilisés par les résidents au cours des cinq dernières années, consiste en cinq longs édifices en bois d’un seul étage. Les coûts de construction se sont élevés à environ 700 millions de yens, dont quelque 500 millions ont été pris en charge par le fonds public pour la reconstruction. Vingt-trois commerçants ont transféré leur boutique du site provisoire au nouvel emplacement permanent et cinq nouveaux arrivants les ont rejoints.

« C’est un soulagement de pouvoir enfin ouvrir », dit Abe Tadahiko, le dirigeant de l’association des commerçants du quartier.

M. Abe, qui tient Abe Chaho, un salon de thé pâtisserie, nous a parlé de la détermination des commerçants à réussir sur leur nouvel emplacement. « Nous voici vraiment sur la ligne de départ. Le contexte n’est pas propice aux affaires et nous sommes confrontés à un grand nombre de problèmes, mais nous sommes prêts à faire cause commune dans nos efforts en vue de prospérer et de répondre aux besoins des habitants de la ville. »

Je suis resté quelque temps à Minami-Sanriku peu après la catastrophe du 11 mars 2011, et un nouveau séjour, effectué deux années plus tard, en mars 2013, a été pour moi l’occasion de publier un reportage. Aujourd’hui, la ville offre un visage complètement différent, grâce au progrès spectaculaire de la construction de logements publics le long des coteaux situés à l’intérieur des terres. Le remblai excavé de ces collines en vue de créer des emplacements pour les nouvelles maisons a été transportée par camions jusqu’aux parties basses de la ville ravagées par la catastrophe et empilé en pyramides brunes aplanies au sommet.

Le centre commercial Sun Sun est situé sur l’une de ces plates-formes, à environ dix mètres au-dessus du niveau de la mer. À l’ouest des boutiques, au fond la vallée bordée par les espaces surélevés, se dresse la charpente renforcée de l’unique ancien bâtiment de la mairie resté en place après que le tsunami de quinze mètre de haut a balayé la communauté. Cette charpente métallique tordue a été préservée pour rappeler les ravages du 11 mars 2011.

Plates-formes surélevées à proximité de la zone commerciale. À droite se dresse la charpente rouge de l’unique bâtiment de la mairie resté debout après le passage du tsunami.

Tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes

Abe Takekazu, le propriétaire à la quatrième génération de la boulangerie-pâtisserie Yûshindô, a repris ses activités dans une boutique environ deux fois plus grande que celle qu’il occupait lorsque je l’ai interviewé, il y a quatre ans de cela. Mais il se fait des soucis quant aux perspectives d’avenir de son commerce : « Les conditions sont dures aujourd’hui, comme elles l’étaient en 2013. Le point décisif résidera dans notre aptitude à maintenir les ventes à un niveau régulier en dehors de la saison, quand les touristes se font rares. On ne peut pas se permettre de rester assis en attendant que les clients viennent à nous. Nous devons trouver des solutions pour améliorer les affaires en période creuse, par exemple par le biais d’un système de livraisons conçu pour amener nos produits là où se trouvent les clients. »

La boulangerie Yûshindô de Takekazu Abe a vu le jour en 1910. Ses vitrines regorgent de toutes sortes de douceurs et de friandises cuites au four.

Les préoccupations de M. Abe semblent fondées. Son loyer, qui était gratuit au centre commercial provisoire, atteint 200 000 yens par mois pour son nouveau lieu de vente. Il a en outre à sa charge le salaire de ses employés. Aussi lourd que soit ce fardeau, il est déterminé à persévérer. Au nombre des commerçants avec qui j’ai discuté figurait Akira Hasunuma, venu de Rifu, une ville de la préfecture de Miyagi située à quelque 70 kilomètres au sud-ouest, pour visiter Minami-Sanriku. Il m’a parlé de la surprise que lui avait inspirée sa rencontre avec le quartier commercial pour la première fois depuis le mois de mai dernier, quand il avait visité l’espace provisoire à l’intérieur des terres.

« La vision de ce qui avait été le cœur de la ville, débordant d’animation, enseveli sous ces monticules dénudés de terre, a été pour moi un choc. Les routes qui traversaient la ville ne sont toujours pas reconstruites. Rifu, où je vis, se trouve juste à côté de Sendai, à plus d’une heure de voiture d’ici. Ceci étant, je dois reconnaître que ce centre commercial propose quantité d’aliments qu’on ne trouve pas ailleurs, comme ce poisson frais. Si l’on peut se procurer des mets délicieux, je pense que les gens comme moi feront le voyage pour les acheter. »

Au centre Sun Sun, viendra s’ajouter en avril un autre centre commercial, le Minami-Sanriku Hamare Utatsu, situé au nord-est de la ville, dans le quartier Utatsu. Ce nouveau centre hébergera huit restaurants, magasins de vêtements et autres commerces, dont certains en provenance du complexe commercial provisoire de la pointe nord de la baie d’Isatomae.

Il y a de bonnes raisons d’espérer que la communauté va retrouver son dynamisme

Les deux nouveaux centres commerciaux sont exploités par Minami-Sanriku Machizukuri Mirai, une société créée par la municipalité et des entrepreneurs en vue de promouvoir la croissance de la ville. Miura Hiroaki, qui assure la présidence de la société en sus de la gestion de Marusen, sa boutique personnelle au centre Sun Sun, ne mâche pas ses mots : « Nous ne survivrons pas si nous nous en tenons à notre ancienne façon de fonctionner. »

M. Miura, le président de Minami-Sanriku Machizukuri Mirai a perdu neuf propriétés lors du tsunami de mars 2011, dont sa maison, ses boutiques et ses usines. Il s’occupe maintenant à les reconstruire une par une.

Il nous parle de la façon dont les commerçants locaux s’y prennent pour se maintenir à flot : « Toutes les boutiques sans exception sont dans l’obligation de trouver de nouvelles idées. À l’occasion de l’ouverture des nouveaux centres commerciaux, un magasin de kimono s’est converti au nettoyage à sec, un domaine où la demande est plus fiable. Faute de tenter quelque chose de neuf, on ne peut pas espérer réussir. Ce qu’on attend de nous, c’est vraiment qu’on prouve de quoi nous sommes capables en tant qu’entrepreneurs. »

Divers signes de progrès sont en vue : les logements permanents que la ville va mettre à la disposition des personnes qui ont été contraintes pendant des années de vivre dans un habitat provisoire sont quasiment prêts, et le port a repris une nouvelle vitalité, notamment en ce qui concerne des secteurs liés à la pêche comme les huîtres et la culture des algues wakame. Mais les nouvelles zones d’activité commerçante dont Minami-Sanriku va bénéficier au printemps ne représentent guère qu’un premier pas sur le front des affaires. Nombre de projets de reconstruction sont encore loin d’être achevés et les autorités locales devront attendre l’automne avant de pouvoir s’installer dans la nouvelle mairie permanente encore en travaux. La population de Minami-Sanriku, qui déclinait déjà avant la catastrophe, est passée de 17 700 habitants avant le mois de mars 2011 à 13 500 aujourd’hui. Elle est en outre de plus en plus grisonnante, puisque composée à plus de 30 % de personnes âgées de 65 ans et plus.

Yonekura Shin’ichi, le gérant du Kan’yô – le plus grand hôtel de Minami-Sanriku, qui a servi à l’hébergement des personnes évacuées après la catastrophe –, affirme avec conviction que l’ouverture des nouveaux centres commerciaux doit servir de tremplin pour accélérer la reprise.

« Au fil du temps, l’intérêt des médias pour la catastrophe de mars 2011 s’est estompé. En gros, les affaires ont bien marché pendant les deux premières années qui ont suivi l’événement, grâce aux gens qui travaillaient dans le bâtiment, aux observateurs envoyés par le gouvernement, aux touristes et aux volontaires arrivés jusqu’ici. Mais depuis trois ou quatre ans, les taux d’inoccupation augmentent régulièrement. À partir de maintenant, nous devons organiser des événements destinés à faire connaître les spécialités locales que les gens peuvent se procurer et les lieux touristiques qu’ils peuvent visiter. C’est ainsi que notre pouvoir d’attraction pourra s’étendre au-delà de la ville de Minami-Sanriku, au-delà de la préfecture de Miyagi, et même au-delà du Japon. »

De nouvelles maisons mais pas de vie en communauté

Ces appartements municipaux situés dans une zone plus élevée du quartier Shizugawa de Minami-Sanriku, ainsi que ceux qui ont été construits dans d’autres parties de la ville, sont quasiment prêts pour accueillir des occupants, mais nombreux sont les habitants qui continuent de vivre dans des hébergements provisoires.

Mme Miyakawa tient une carte portant des messages que ses voisins lui ont écrits quand elle a quitté son logement provisoire. « Le chagrin causé par la perte de nos maisons ne nous quittera jamais, mais l'entraide nous a permis de reprendre courage et faire notre possible. »

Je me suis frayé un chemin jusqu’au quartier situé sur les hauteurs à l’intérieur des terres, là où les nouveaux projets de logement sont en chantier. Ces appartements se trouvent à un ou deux kilomètres du centre commercial Sun Sun – une rude marche pour les personnes âgées qui ne conduisent pas, compte tenu notamment des fortes déclivités que comporte le parcours. Il y a bien un service d’autocars, mais le nombre de bus est aussi limité que celui de leurs arrêts. Miyakawa Hakiko, 82 ans, a quitté un logement provisoire il y a presque six mois pour s’installer dans l’un de ces nouveaux appartements avec son fils et ses petits-enfants. « Le logement provisoire que nous avons occupé pendant près de six ans était encombré et peu pratique », reconnaît-elle volontiers. « Mais nous avions beaucoup de voisins qui se trouvaient dans la même situation. C’était un peu comme les anciennes “maisons longues” nagaya, où personne n’était jamais seul. Maintenant, me voici dans cet appartement flambant neuf, mais dans la journée, quand le reste de ma famille est absent, je me retrouve toute seule sans personne avec qui parler. Si le système de transport en commun était un peu meilleur, je serais sans doute tout le temps fourrée au centre commercial. »

Minami-Sanriku : en chantier

Quel est le pronostic officiel en ce qui concerne le rétablissement de Minami-Sanriku ? Voici ce qu’en dit Takahashi Kazukiyo, le chef du service de la mairie consacré à la promotion de l’industrie : « L’image que nous voulons donner des nouveaux centres commerciaux est celle de“prototypes”pour une ville en voie de renaissance. Dans les schémas de redressement, les installations commerçantes viennent ordinairement après l’infrastructure de base, mais nous voulons qu’elles servent de vitrine pour notre rétablissement. D'ici deux ans, nous avons l’intention d’achever nos chantiers de construction de routes, de parcs, d’aires de repos et de zones commerciales en bord de routes, de réseaux de transport ainsi que tous les travaux annexes qui en découleront. »

Le centre commercial Shizugawa Sun Sun de Minami-Sanriku a indiscutablement insufflé un regain de vitalité et d’espoir à la communauté, plongée aujourd’hui dans le vrombissement affairé des camions de livraison et des engins de construction. Il n’en reste pas moins que le rétablissement dans tous les sens du terme – notamment émotionnel pour les habitants privés de leurs familles, de leurs amis et de leurs maisons par la puissance destructrice du grand tsunami – ne viendra pas facilement. Pour ceux d’entre nous qui vivons à l’extérieur de ce genre de communautés, la tâche importante consiste à ne pas oublier la réalité à laquelle elles se trouvent aujourd’hui confrontées, et à ne pas laisser notre attention faiblir avec le temps. Telle est la leçon que j’ai reçue de ma dernière visite.

L’ossature brisée et renforcée du bâtiment de la mairie où de nombreux habitants ont perdu la vie lors du tsunami de mars 2011. La zone qui l’entoure change rapidement, mais cette structure reste en place pour rappeler ce qui s’est passé.

Mer calme dans le quartier Shizugawa de la ville. Les nombreux nouveaux bâtiments qu’on peut voir sont dus aux progrès obtenus dans la construction des installations portuaires.

(D’après un original en japonais du 10 mars 2017. Pour toutes les photos de cet article, © Kikuchi Masanori. Photo de titre : le 3 mars 2017, des membres de la population locale et des visiteurs célèbrent l’ouverture du centre commercial Shizugawa Sun Sun à Minami-Sanriku, dans la préfecture de Miyagi.)

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