La crise des services de livraison à domicile

Économie

L’essor des ventes en ligne entraîne une progression constante de la quantité de marchandises que traitent les services de livraison à domicile. Cela impose en permanence de longues heures de travail aux livreurs, afin d’offrir aux clients la commodité qu’ils recherchent, et le secteur est actuellement confronté à une grave crise. Ogawa Kôsuke, un fin connaisseur du secteur des transports et de la logistique, ainsi que des industries de services, propose quelques pistes pour la surmonter.

Le leader du secteur va limiter son volume de livraison

La haute qualité du service offert par les entreprises japonaises de livraison à domicile, comme la possibilité de fixer l’heure de livraison et le droit à une seconde livraison gratuite, a assuré leur expansion. Mais en février 2017, le syndicat de Yamato Transport, leader du secteur avec 50 % du marché, a formulé une demande sans précédent lors des négociations annuelles avec la direction : la limitation des heures de livraison et d’enlèvement des marchandises. La direction a par la suite accepté de ne plus faire de livraisons ou d’enlèvements des colis entre 12 et 14 heures, et a annoncé en avril une augmentation de ses tarifs, pour la première fois en 27 ans.

La baisse du bénéfice prévue pour l’exercice 2016 a joué un rôle dans cette décision. L’entreprise craignait une réaction négative des consommateurs et de ses grands clients que sont les sociétés de vente par correspondance. Mais tant les premiers que les seconds paraissent aujourd’hui prêts à accepter ces nouvelles conditions. Sagawa Express, le rival de Yamato, a aussi l’intention d’augmenter ses tarifs aux grands comptes.

Les raisons de la crise de la livraison à domicile

Si le syndicat de Yamato a pris cette initiative, c’est parce qu’il était devenu évident qu’il était impossible de transporter plus de marchandises qu’actuellement. Pendant l’exercice 2016, Yamato a traité 1 867,56 millions de colis, une augmentation de 7,9 % sur l’année précédente, et un nouveau record pour la deuxième année consécutive. Contraints par le manque de personnel à de longues heures de travail, les livreurs n’arrivent même plus à prendre leur pause-déjeuner. Cette situation n’est pas unique à Yamato, mais partagée par de nombreuses entreprises du secteur.

Les raisons qui expliquent la crise des transports et de la logistique que connaît aujourd’hui le Japon sont complexes.

La première est la croissance continue de la demande en matière de distribution, avec en arrière-plan, l’expansion des services de vente en ligne. Le nombre de colis à traiter engendré par le commerce électronique connaît chaque année une croissance à deux chiffres. Dans cet environnement, Sagawa, le numéro deux du secteur, a décidé en 2013 de ne plus traiter les marchandises d’Amazon Japan. Les livraisons à domicile de produits achetés en ligne se sont par conséquent concentrées sur Yamato.

La deuxième raison est la réponse trop positive qu’accorde le secteur japonais des services aux demandes des consommateurs. 20 % des marchandises livrées à domicile doivent l’être deux fois, en raison de l’absence du destinataire la première fois. Les entreprises de messageries offrent actuellement une seconde livraison gratuite, mais la charge que cela leur impose est excessive, même si elle n’est guère visible.

La troisième raison, l’opacité de la relation entre le prix de ces services de distribution et leur coût, est liée à la précédente. Rien n’interdit de penser que le coût de distribution est en réalité inclus, d’une manière ou d’une autre, dans le prix de vente. Les « livraisons gratuites » offertes notamment par Amazon, ne font que rendre plus floue encore la réponse à la question : qui paie réellement le coût de la distribution ?

Enfin, d’un point de vue global, les frais de distribution au Japon sont assez peu élevés. Le coût de la distribution dans le chiffre d’affaires de l’industrie manufacturière, de la vente en gros, et de la vente au détail, s’élève à 9 % aux États-Unis, alors qu’il n’est que de 5 % au Japon (selon une enquête de Japan Logistics Association). Cela ne peut s’expliquer uniquement par le fait que les distances sont plus grandes aux États-Unis, d’autant plus que le Japon étant importateur de pétrole, l’essence y coûte plus cher. Par ailleurs, le salaire des employés des transports et de la logistique est inférieur au salaire moyen des autres industries. Les comparaisons internationales montrent que les chauffeurs routiers japonais sont moins bien payés que leurs collègues des autres pays. Ils effectuent un travail pénible et mal rémunéré.

Éviter les inconvénients des secondes livraisons

Le Japon a des choses à apprendre de l’étranger en ce domaine. UPS, le géant américain de la logistique, facture les secondes livraisons. En Chine, où la plupart des femmes travaillent, les produits achetés en ligne sont majoritairement livrés sur le lieu de travail. Les entreprises japonaises du secteur implantées en Chine ont d’ailleurs adopté cette pratique. Au Brésil, dans la banlieue de Sao Paulo, des supermarchés ont mis en place des consignes à la disposition des clients afin qu’ils puissent récupérer leurs marchandises livrées.

L’opinion des particuliers japonais destinataires des livraisons permet aussi d’entrevoir une solution. D’après une étude réalisée par l’Agence de protection des consommateurs en 2015 sur les attentes des consommateurs japonais face aux services de messagerie à domicile, 60,8 % d’entre eux estiment ne pas avoir besoin d’une livraison express si cela implique un coût supplémentaire. Seuls 5,4 % des sondés étaient prêts à payer plus pour être livrés le plus rapidement possible. Rendre les consommateurs conscients des coûts de ce service permettra de limiter les livraisons inutiles et ainsi de réduire les charges qu’elles font peser sur la société. Faire payer un supplément pour une seconde livraison peut être un premier pas en ce sens.

Une autre méthode serait de créer une nouvelle infrastructure de distribution, à l’image des « boîtes de réception des livraisons » comme il en existe déjà dans certains immeubles résidentiels de Tokyo.

Les konbini, supérettes de proximité, offrent déjà la possibilité aux consommateurs de récupérer leurs livraisons, mais ce service ne connaît pas le succès espéré. Un des raisons de cet échec est le fait que ces supérettes, dont la superficie totale est en général de cent mètres carrés, espace de vente compris, n’ont pas la place nécessaire pour un service efficace, d’autant plus qu’elles font elles-mêmes appel aux entreprises de transports et de logistiques pour livrer les boîtes-repas et autres plats préparés. Les liens de ces entreprises avec les supérettes ne font qu’engendrer pour elles des coûts en constante augmentation.

Il serait plus réaliste de réfléchir à un système où les entreprises de livraison à domicile s’entraideraient pour le « dernier kilomètre » (expression désignant la dernière étape du processus de livraison, à savoir chez le client final). Il est en tout cas temps d’envisager la distribution comme un système concernant l’ensemble de la société, et d’avoir une politique à cet égard. On ne peut que souhaiter que les dirigeants du secteur des transports et de la logistique décident de rendre payants les services pratiques et éliminent ceux qui sont superflus.

Repenser la conception même des services

L’idée que les produits sont payants, mais le service gratuit, est solidement ancrée au Japon. C’est un des facteurs pour lesquels la productivité du secteur japonais des services est inférieure à ses équivalents en Europe ou aux États-Unis.

Certaines entreprises japonaises de ce secteur ont déjà repensé leur modèle de services pour en améliorer la productivité. C’est le cas d’un salon de coiffure, par exemple, qui offre uniquement des coupes avec un tarif unique de 1 000 yens par dix minutes de travail. Un vrai succès. Mais en réalité,  ce salon coûte plus cher que les autres sur une base horaire. La rentabilité accrue de ces établissements leur permet de mieux payer leurs employés.

Les enquêtes de satisfaction des consommateurs dans le secteur japonais des services montrent que celle des business hotels est la plus haute. Ces hôtels maintiennent des prix bas grâce à la décoration minimaliste de leurs chambres, mais obtiennent un taux de satisfaction plus élevée que les hôtels traditionnels en offrant à leurs clients un choix entre différents types d’oreillers et en leur fournissant un petit-déjeuner sain et bon.

Ces hôtels ont fait l’effort de réfléchir aux besoins de leurs clients et de repenser leur offre de services. La crise actuelle des services de livraison suscite de nombreuses discussions sur le modèle de ce secteur, et rend les Japonais conscients de la nécessité d’en éliminer certains aspects superflus. J’espère que le secteur saura s’améliorer autant que les business hotels l’ont fait. Et les pouvoirs publics feraient bien de ne pas se contenter de laisser les entreprises se débrouiller seules, mais de les supporter en créant de nouvelles infrastructures sociales en faveur de la logistique.

(Photo de titre : des livreurs de Yamato Transport. Rodrigo Reyes Marin/Aflo)

travail service livraison