Les cours du soir aident les élèves étrangers à s’adapter aux écoles japonaises

Société

Pendant de nombreuses années, les cours du soir ont offert de précieuses opportunités d’études aux personnes qui, dans le chaos de l’après-guerre, n’avaient pas pu finir leur scolarité. Aujourd’hui, ils répondent à la nouvelle demande générée par l’augmentation du nombre des élèves étrangers s’inscrivant dans les écoles japonaises.

Au printemps 2017, le Comité éducatif de Kawaguchi, dans la préfecture de Saitama, a annoncé son projet d’ouverture d’un collège proposant exclusivement des cours du soir dès le début de la nouvelle année scolaire, en avril 2019. Le comité a déclaré qu’il souhaitait que la nouvelle école ne se contente pas d’assurer la prise en charge des enfants pour qui la fréquentation régulière d’une école est problématique du fait de leur situation familiale, de difficultés économiques ou de brimades infligées par leurs camarades, mais qu’elle contribue en outre à répondre aux besoins des enfants issus de parents étrangers, qui sont de plus en plus nombreux à vouloir suivre des cours en vue d’améliorer leur pratique de la langue japonaise.

À Kawaguchi, une école du soir indépendante fonctionne depuis les années 1980, grâce au travail bénévole fourni par des habitants de la ville. Un groupe similaire, longtemps associé à ces bénévoles de Kawaguchi, apporte son aide à l’École du soir indépendante de Matsudo, dans la préfecture de Chiba. Les deux groupes exercent depuis des années des pressions sur les autorités locales et nationales pour les inciter à créer une école du soir officielle intégrée dans le système scolaire de la municipalité.

Un soutien scolaire totalement gratuit

À l’École du soir indépendante de Matsudo, les cours sont dispensés de 18 h à 21 h, dans quatre salles de la mairie.

L’ École du soir indépendante de Matsudo a ouvert ses portes en 1983, à l’initiative des bénévoles locaux. À l’époque, la majorité des élèves étaient des gens qui, dans le chaos lié à la Seconde Guerre mondiale et à ses séquelles, n’avaient pas pu achever le premier cycle du secondaire pour diverses raisons.

Entre-temps, l’établissement s’est de plus en plus tourné vers les enfants qui avaient quitté l’école à la suite de brimades et les élèves souffrant d’un handicap. Jusqu’ici, 1 700 personnes ont fréquenté l’école.

Le personnel se compose d’une trentaine de personnes, toutes bénévoles – anciens professeurs des écoles, salariés du privé et fonctionnaires. Ils sont en moyenne une vingtaine à donner des cours en permanence. Ce sont les élèves qui choisissent les matières qu’ils veulent étudier et s’adressent ensuite à un membre de l’équipe qui les leur enseigne. L’école, ouverte de 18 à 21 heures, propose des cours collectifs, un enseignement individuel et des cours privés. Normalement, les élèves optent pour une combinaison de ces trois options. Il n’y a ni examen d’entrée, ni droit d’entrée, ni frais mensuels. Nombre d’enfants fréquentent l’école pendant deux ou trois ans, après quoi ils vont poursuivre leurs études ou travailler ailleurs. Les fonds nécessaires au fonctionnement de l’école proviennent des cotisations versées par quelque 250 adhérents, ainsi que de certaines activités, comme par exemple la vente de takoyaki (boulettes de pâte contenant des morceaux de poulpe), préparés par les membres de l’équipe sur un marché aux puces local.

Une hausse des étrangers dans les écoles municipales

En mai 2017, il y avait environ 50 élèves inscrits. Parmi eux, figuraient une douzaine d’enfants non-Japonais. Enomoto Hirotsugu, le représentant des organisations locales à but non lucratif pour la promotion des écoles du soir, me parle des nouvelles fonctions assumées depuis quelques années par son école du fait de l’augmentation du nombre des élèves étrangers fréquentant les établissements locaux.

« En 1983, lorsque nous avons ouvert l’école, une grande partie de nos élèves étaient des membres de la minorité coréenne et des orphelins venus de Mandchourie et de Chine. La plupart d’entre eux étaient des quinquagénaires et des sexagénaires dont beaucoup ne sont plus parmi nous. Maintenant, il nous arrive de nombreux enfants qui ont grandi à l’étranger et sont venus au Japon avec leurs parents à une date relativement récente. Ils fréquentent les écoles municipales et s’adressent à nous pour des cours du soir en complément. En ce moment, il y a des inscrits de plus de dix nationalités, dont la Chine, la Corée du Sud, le Vietnam, le Népal et le Bangladesh. »

Située à moins de 20 kilomètres de la capitale, Matsudo s’est développée en tant que « ville dortoir » pour les banlieusards employés dans la gigantesque conurbation tokyoïte. Toujours est-il que, l’an dernier, la population a dépassé pour la première fois les 490 000 habitants, et ceci grâce à l’augmentation du nombre des résidents étrangers.

D’après une enquête effectuée par la mairie, l’effectif des résidents de nationalités étrangères atteignait 14 120 personnes à la fin de l’année 2016 (contre 12 966 en 2015). Les ressortissants chinois étaient les plus nombreux, avec 5 998 résidents (contre 5 576 en 2015), suivis par les Vietnamiens, 2 039 (1 828), les Philippins, 1 653 (1 590), puis les membres de la minorité coréenne, 1 651 (1 603).

Objectif : entrer au lycée

Parmi les enfants qui fréquentent les cours du soir, il y en a beaucoup qui parlent déjà très correctement le japonais. Pour autant, que ce soit dans leur classe de primaire ou du collège, Ils n’en ressentent pas moins des difficultés à suivre exactement ce que disent leurs professeurs et parfois à bien comprendre les explications données dans leurs livres de classe. Des matières comme le japonais, la sociologie et la géographie peuvent s’avérer particulièrement ardues.

Nombre de ces enfants se préparent à passer les examens d’entrée au lycée. Leur présence aux cours du soir augmente chaque année vers le mois de juin ou juillet, et elle atteint 20 ou 25 élèves en automne. Beaucoup fréquentent quotidiennement les cours du soir jusqu’à la période des examens, en février ou mars de l’année suivante. « Ils s’immergent littéralement dans leurs études, pratiquement sans prendre un jour de congé, sauf à la période du nouvel an. Et tout le monde à l’école, pas seulement les élèves, travaille avec acharnement pour s’assurer qu’ils réussissent leur examen. »

La préfecture de Chiba propose un processus spécial de sélection destiné aux enfants étrangers candidats à l’entrée au lycée, et plus particulièrement aux élèves qui sont arrivés au Japon dans les trois dernières années et vivent ou projettent de vivre dans la préfecture. Les élèves qui remplissent ces critères peuvent se porter candidats dans les écoles participant à ce programme, où la sélection se fait sur la base d’une interview et d’une dissertation (soit en anglais soit en japonais). Ils sont exemptés des examens dans les matières obligatoires pour les enfants japonais (japonais, mathématiques, anglais, sociologie et sciences), remplacés dans leur cas par une appréciation globale de leur interview et de leur dissertation, à laquelle doit s’ajouter l’appréciation de leur lycée et la conformité aux conditions stipulés dans les formulaires de candidature prévus par le dispositif spécial d’admission des étudiants étrangers. Les écoles du soir indépendantes ont désormais la faveur des élèves qui veulent acquérir les compétences scolaires dont ils ont besoin pour passer ces tests spécifiques.

Du primaire au lycée, des cours du soir utiles pour tous

Le jour de ma visite à l’École du soir indépendante de Matsudo, deux écoliers, un garçon et une fille, étaient assis en compagnie de leurs mères à un long pupitre occupant un coin de la salle de classe. Tous venaient de Chine et étaient arrivés au Japon en février de cette année. Les deux enfants, qui fréquentent des écoles primaires locales, suivaient un cours de Japonais donné par un professeur septuagénaire.

La mère du garçon s’est adressée à moi en japonais.

« Communiquer en japonais n’est pas facile. Mon fils ramène toutes sortes de devoirs à faire à la maison, mais je suis incapable de les lire. L’aide des professeurs est très précieuse. Ils expliquent tout d’une façon facile à comprendre. Je veux que mon fils apprenne vite à parler japonais et se fasse plein d’amis. J’aimerais bien qu’à l’école primaire aussi, il y ait davantage d’opportunités afin d’apprendre le japonais. »

Le mari de cette femme est venu au Japon pour travailler il y a huit ans. Il a aujourd’hui un emploi dans une entreprise proche de Matsudo. En février dernier, quand leur fils s’apprêtait à entrer dans sa nouvelle année scolaire, il a demandé à sa famille de venir le rejoindre. Tous les trois vivent désormais ensemble en ville.

L’autre mère présente à l’école le jour de ma visite a elle aussi amené sa fille avec elle il y a peu de temps, quand elle est venue rejoindre son mari, qui travaillait au Japon depuis six ans.

Dans une autre classe, quatre élèves étrangers sont en train d’étudier le japonais et d’autres matières. Trois d’entre eux sont des garçons entrés dans un lycée municipal de la ville en avril dernier, après avoir rempli les formalités d’inscription fixées par la préfecture de Chiba pour les étudiants étrangers. Bien qu’ils aient réussi leurs examens d’entrée au lycée, Ils ont décidé de continuer de suivre des cours à l’école indépendante du soir.

L’un d’eux, un élève de 16 ans originaire des Philippines, est arrivé au Japon avec ses parents il y a trois ans. « Je suis venu ici parce que je veux acquérir des connaissances sur la société contemporaine. Je veux en savoir plus sur le Japon. C’est difficile de suivre les cours à l’école. J’espère que les études que je fais ici le soir m’aideront à mieux me débrouiller dans mon lycée. »

Les deux autres élèves viennent de Chine. L’un est arrivé de Shanghai avec ses parents il y a trois ans. « Je n’arrive pas à comprendre les cours de sciences. J’ai du mal à suivre ce que dit le professeur. Pour le moment, je fréquente aussi un juku (soutien scolaire privé). Peut-être est-ce que je ne travaille pas assez dur… On dirait que ça rentre par une oreille et ressort par l’autre. »

L’autre élève chinois est arrivé au Japon avec sa mère il y a deux ans pour rejoindre son père, qui vit à Matsudo depuis déjà quelque temps. « Je n’arrive pas à suivre les cours à l’école. C’est difficile de comprendre ce que dit le professeur. »

Les « stagiaires techniques » qui font tourner les usines du Japon

Grâce aux écoles du soir, un nombre croissant de stagiaires arrivant au Japon sous les auspices de l’Organisation de coopération internationale pour la formation, un organisme affilié aux pouvoirs publics, bénéficient d’une formation vitale en langue japonaise. Un rapport publié en janvier 2017 par le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales évalue à 1,08 million le nombre des ressortissants étrangers travaillant au Japon fin octobre 2016 – la barre d’un million étant ainsi franchie pour la première fois. Le nombre des « stagiaires techniques » atteignait alors 210 000, soit 25 % de plus que l’année précédente.

Dans le cadre du Programme de formation technique interne mis en œuvre par le gouvernement, des « stagiaires » de Chine, du Vietnam, des Philippines, d’Indonésie et d’autres pays viennent travailler au Japon dans les secteurs souffrant d’une pénurie de main-d’œuvre japonaise, notamment la manufacture, l’agriculture, la pêche et la construction. L’accroissement de l’effectif de ces stagiaires est une des raisons qui ont incité les autorités locales de la ville de Kawaguchi à ouvrir une école municipale du soir.

Pour les entreprises, ce système a bien des avantages, à commencer par la possibilité de comprimer les coûts de main-d’œuvre en embauchant des étrangers à des salaires inférieurs à ceux des employés japonais. Mais il y a aussi des problèmes. La question des rémunérations est une source de conflits récurrents, ainsi que celle des lourds horaires de travail imposés aux stagiaires. Il arrive, semble-t-il, que les employeurs confisquent les passeports de ces derniers sous prétexte de les « garder en lieu sûr », laissant ces travailleurs dans un incapacité totale d’agir. On peut supposer qu’un certain nombre de stagiaires étrangers fréquentant les écoles du soir du Japon ont eu l’occasion de connaître ce genre de problèmes et qu’ils s’efforcent de faire face à la situation sans une maîtrise entière de la langue.

En clair, les coulisses des écoles du soir du Japon sont révélatrices d’un fait : elles soulèvent des questions sur l’état de notre société dans son ensemble, où les problèmes enflent insidieusement.

La pénurie d’écoles publiques du soir

D’après une étude réalisée par le ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie, le pays comptait, à la date du 1er mai 2014, 307 écoles du soir indépendantes, dont la quasi-totalité étaient gérées par des bénévoles issus des collectivités locales. Depuis 1979, l’association citoyenne que M. Enomoto représente réclame au Comité éducatif de Matsudo la fondation d’une école publique du soir qui permettrait aux élèves d’acquérir une qualification équivalente à un diplôme du premier cycle du secondaire, autrement dit, une école publique officielle intégrée au sein d’un collège ordinaire géré par une mairie locale, et offrant des cours du soir pour ces collégiens. Les efforts de l’association ont fini par porter leurs fruits au mois de février, quand la ville a annoncé un projet d’ouverture de cours du soir dans l’un de ses collèges municipaux.

D’après le recensement national de 2010, il y a au Japon au moins 128 000 personnes qui, n’ayant pas obtenu leur diplôme du premier cycle du secondaire, n’ont pas été au bout de l’enseignement obligatoire. Ce chiffre inclut un certain nombre d’étudiants étrangers. Les mesures officielles prises jusqu’ici pour remédier à cette situation s’avèrent sporadiques et insignifiantes. En 1954, le pays comptait 89 écoles publiques du soir. Aujourd’hui il n’en reste plus que 31, disséminées dans huit préfectures. Le ministère a annoncé son intention de créer au moins une école de ce genre dans chacun des 47 préfectures du pays, mais difficile de constater des signes de progrès vers la réalisation de cet objectif.

(D’après un original en japonais du 5 juin 2017. Photos : Yoshida Norifumi)

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