L’irresponsabilité des politiciens et la défiance du public envers le pouvoir

Politique

En novembre 2011, je relevais ici même à quel point la confiance du public dans le gouvernement s’était érodée, en m’appuyant sur un sondage mené par le Yomiuri Shimbun les 3 et 4 septembre, juste après l’accession de Noda Yoshihiko au poste de premier ministre (« La route semée d’embûches de Noda Yoshihiko »). Lorsqu’on leur demandait d’évaluer la réaction de divers organismes et groupes au grand tremblement de terre du Japon, survenu en mars 2011, seules 6 % des personnes interrogées accordaient une estimation positive au gouvernement. Et ce chiffre tombait à 3 % pour la Diète nationale. J’ignore si des études similaires ont été effectuées entre temps, mais un sondage du Yomiuri datant du 10 au 12 février suggère que la popularité du gouvernement et des deux principaux partis politiques était au plus bas. Le taux d’approbation du gouvernement Noda plafonnait à 30 %, contre 57 % pour la désapprobation de son action. Le Parti démocrate n’obtenait que 16 % de réponses favorables, le chiffre le plus bas depuis son accession au pouvoir en septembre 2009. Mais son principal rival, le Parti libéral démocrate ne faisait guère mieux, puisqu’il devait se contenter d’un taux d’approbation de 17 %. La majorité — 54 % — ne soutenait aucun parti. À la question leur demandant quel genre de dispositif politique qu’elles appelaient de leurs vœux, 53 % des personnes interrogées ont répondu : un nouveau dispositif fondé sur un redéploiement des forces politiques, tandis que 23 % étaient favorables à une grande coalition incluant le PD et le PLD. Seules 9 % se sont prononcées pour un dispositif chapeauté par le PLD et 5 % par le PD, comme c’est le cas aujourd’hui.

La « révolte des régions » et les tentatives de formation de nouveaux partis

Si j’évoque ce manque de confiance dans la politique et dans le pouvoir, c’est en tant qu’il constitue l’arrière-plan de la récente « révolte des régions », un phénomène dont le plus éminent représentant est Hashimoto Tôru, le maire d’Osaka, âgé de quarante-deux ans. M. Hashimoto a démissionné de son poste de gouverneur de la préfecture d’Osaka en novembre dernier pour se présenter aux élections municipales, où il a emporté une large victoire sur le candidat sortant, Hiramatsu Kunio, qui avait l’aval du PD, du PLD et du Parti communiste japonais. Au mois de janvier de cette année, il a fondé un nouveau rassemblement, l’Ishin Seiji-juku (l’académie pour la restauration de la politique), qui s’est donné pour objectif de présenter 300 candidats et de gagner 200 sièges lors des prochaines élections à la Chambre des représentants. À la date limite du 10 février, on dénombrait plus de 2 750 demandes d’adhésion à la nouvelle académie. C’est un fait bien connu que M. Hashimoto veut fusionner la ville et la préfecture d’Osaka pour former une métropole (to) sur le modèle de Tokyo. Il est aussi favorable au regroupement des 47 préfectures actuelles en une douzaine d’entités plus vastes ( et shû) et à la suppression du système de répartition des ressources budgétaires (le dispositif actuel de distribution des recettes par Tokyo aux collectivités locales), mais on ne discerne pas encore clairement ce que sont ses priorités en ce qui concerne l’appareil de l’État au niveau national et les propositions qu’il entend faire en ce domaine. L’Osaka Ishin no kai (Association pour la restauration d’Osaka, la formation politique locale fondée en 2010 par M. Hashimoto en tant qu’organisation mère de l’Ishin Seiji-juku) a récemment publié une plate-forme politique en huit points, mais celle-ci ne constitue guère plus qu’une liste d’aspirations.

La « révolte des régions » ne se limite pas à Osaka. Ômura Hideaki (51 ans), le gouverneur de la préfecture d’Aichi et Kawamura Takashi (63 ans), le maire de Nagoya ambitionnent eux aussi de mettre sur pied des rassemblements en vue des prochaines élections législatives. Kada Yukiko (61 ans), la gouverneur de la préfecture de Shiga, a mis en place sa propre « juku » (académie) et annoncé qu’elle allait faire équipe avec M. Hashimoto pour les élections locales. Un accord a également été conclu entre Ishihara Shintarô (79 ans), le gouverneur de Tokyo, Kamei Shizuka (75 ans), le dirigeant du Nouveau parti du peuple, et Hiranuma Takeo (72 ans), le chef du Parti Tachiagare Nippon, pour former un nouveau parti d’ici la fin du mois de mars. Ces initiatives regroupent certes un assortiment disparate d’individus appartenant à plusieurs générations et provenant de divers horizons politiques, mais elles n’en reflètent pas moins le profond sentiment de déception et de frustration que l’état de la politique nationale inspire à la population.

La révolte des régions et l’apparition de nouveaux rassemblements des forces politiques constituent des phénomènes importants dans la vie politique japonaise. Pourtant, il ne faut pas attendre d’eux qu’ils restaurent sur le champ la confiance du public dans le système politique. Cette confiance ne reviendra que lorsque le gouvernement produira des résultats. Lorsque la situation l’exigeait de lui, le premier ministre Noda a su prendre des décisions, en ce qui concerne par exemple la participation du Japon aux négociation sur le Partenariat transpacifique (TPP), la fondation de l’Agence de la reconstruction et l’approbation d’un projet de loi portant sur la réforme globale de la fiscalité et de la sécurité sociale. Il se trouve malheureusement que les membres de son gouvernement ont pris des décisions qui relevaient d’une certaine confusion entre la conduite des affaires publiques et les « idées personnelles », pour reprendre une expression empruntée à Kan Naoto, le prédécesseur de Noda Yoshihiko.

Prendre ses responsabilités

Emblématique de cette confusion est la façon dont les autorités ont procédé pour remettre en activité les centrales nucléaires provisoirement fermées pour travaux d’entretien courants. Le 17 février, le cabinet a approuvé un document adressé à la Diète où il était affirmé que le point de vue des dirigeants locaux et des assemblées locales serait largement pris en considération pour juger si l’opinion locale était ou non favorable à la réouverture. Cette initiative faisait suite à une déclaration prononcée en septembre dernier par Noda Yoshihiko lors d’une session de la Chambre des représentants, déclaration dans laquelle le premier ministre annonçait que la remise en activité des centrales se ferait sur la base d’une décision politique consécutive à une évaluation globale, qui prendrait notamment en compte la compréhension des collectivités locales et la confiance de la population.

Cette position laisse en fait le soin de décider aux autorités et aux assemblées locales. Mais les représentants du gouvernement au niveau préfectoral ne sont pas en mesure, que ce soit en termes d’organisation ou de capacité, de se prononcer sur la sûreté des centrales nucléaires. En demandant aux gouverneurs des préfectures de décider si la compréhension et la confiance du public sont acquises au niveau local, on est certain qu’ils n’auront aucun moyen de parvenir à des décisions responsables. Et de fait, les résultats sont là. La remise en activité des réacteurs après les inspections de routine a été ajournée ; en décembre dernier, seuls 15 % des réacteurs existants fonctionnaient et tous seront arrêtés dans les mois qui viennent. La facture va être très lourde. La conversion complète de l’énergie nucléaire à l’énergie thermique va entraîner pour la nation une augmentation des coûts de combustible de l’ordre de deux ou trois mille milliards de yens. La balance commerciale du Japon est déjà tombée dans le rouge l’an dernier, tandis que l’évidement des bases industrielles se poursuit.

D’après un article paru dans le Asahi Shimbun du 10 janvier, le ministre de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie Edano Yukio pense que nous pourrons nous passer d’énergie nucléaire si nous sommes prêts à nous accommoder d’une croissance économique lente. Mais il suffit de regarder les taux de croissance réels enregistrés au cours des cinq dernières années — +2,36 % en 2007, -1,17 % en 2008, -6,28 % en 2009, +3,96 % en 2010 et -0,47 % (chiffre estimé) en 2011 — pour constater qu’il s’agit d’une période de repli pour l’économie japonaise. Dans ce contexte, qu’entend le ministre par « croissance lente » ? Veut-il dire que nous devons accepter des taux de croissance négative ? Si tel est le cas, qui va payer les coûts sociaux ? Et quoi qu’il en soit, est-ce vraiment une bonne idée de mélanger ainsi la politique énergétique à moyen et long terme avec la question de la remise en activité des réacteurs arrêtés ? Politiquement parlant, il va être impossible de construire de nouvelles centrales nucléaires au Japon avant au moins vingt ou trente ans. Sachant cela, il semblerait raisonnable que la réflexion sur la politique énergétique se donne le temps de prendre cette durée en considération, tout en restant attentive aux avancées de la révolution du gaz de schiste et aux innovations technologiques en matière d’utilisation des énergies renouvelables. Entre temps, le gouvernement doit prendre sans délai une décision en ce qui concerne la réactivation des réacteurs arrêtés. En laissant le pouvoir de décision entre les mains des gouverneurs des préfectures et des assemblées locales, il ne fait rien d’autres qu’abdiquer ses responsabilités.

Problématique aussi est la nouvelle réglementation du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales qui instaure une réduction brutale des niveaux de césium autorisés dans les produits alimentaires. En ce qui concerne le lait et les aliments pour bébés, le ministère a fixé ce niveau à la moitié du seuil autorisé pour les produits alimentaires ordinaires, par souci, semble-t-il, de prendre en considération la sensibilité des enfants en bas âge aux effets des radiations. Mais d’après un article publié dans le numéro du 17 février du Yomiuri Shimbun, si Komiyama Yôko, la titulaire du ministère concernée, est déterminée à appliquer des normes strictes aux aliments pour bébés, c’est en vue de « tranquilliser les esprits ». La tranquillité d’esprit, est-il besoin de le dire, n’est pas la même chose que la sûreté. Cette dernière se mesure scientifiquement, tandis que la première est une affaire de sentiment personnel. Il est facile de mettre en avant la tranquillité d’esprit, mais l’obtenir a un prix. Qui va le payer ? Si la volonté de « tranquilliser les esprits » passe par l’adoption de normes beaucoup plus strictes que tout ce que pourrait exiger une évaluation scientifique de la sûreté des produits, la ministre doit nous expliquer pourquoi ces normes ont été introduites, sur quelles bases, quel en sera le prix et qui va le payer. C’est ce qu’on appelle se comporter en politicien responsable.

PDJ démocratie chronique