L’avenir du cinéma japonais

« Former des cinéastes dignes de l’héritage du cinéma japonais »

Économie Culture Cinéma

L’institut de diffusion et cinématographie de Yokohama, l’école de cinéma fondée par Imamura Shôhei, double Palme d’Or à Cannes pour La Ballade de Narayama et L’Anguille, est devenue depuis 2011 la seule université à discipline unique du Japon : l’Université japonaise de cinématographie. Nous avons interviewé Satô Tadao, son président, par ailleurs critique de cinéma, pour en savoir plus sur la formation des cinéastes que pratique son université et sur la situation actuelle du cinéma japonais.

Satô Tadao
Né à Niigata en 1930. Il est l’un des critiques de cinéma les plus connus du Japon. L’un des pionniers dans l’étude du cinéma asiatique, son activité couvre de nombreux domaines : mise en scène, littérature, culture de masse, enseignement, etc, depuis plus d’un demi-siècle, puisque c’est en 1956 que son premier ouvrage Le Cinéma japonais (Editions du Centre Pompidou) reçut le Prix Kinema Junpô. Ce sont plus d’une centaine d’ouvrages qu’il a publié depuis. Médaille du mérite artistique du ministre de l’Éducation, médaille au ruban pourpre, médaille de l’ordre du Soleil levant de 4e classe, médaille de la Culture de la Couronne (Corée), Chevalier des Arts et Lettres (France), Prix culturel des éditions Mainichi, Prix de la Fondation du Japon, Prix de la Culture de Kanagawa. Actuellement président de l’Université japonaise de cinématographie.

Une université de cinéma où des pros enseignent une technique concrète

Satô Tadao L’origine de cette université remonte à la création en 1975 de l’Institut de diffusion et cinématographie de Yokohama par Imamura Shôhei, qui assurait lui-même la direction de son école autour de quelques compagnons. L’institut dispensait à l’origine un enseignement sur deux ans. En 1985, l’institut changea de nom pour devenir L’École japonaise de cinéma, passant à un enseignement en trois ans et déménageant dans des locaux situés à Shin-Yurigaoka à Kawasaki. Nouvelle refonte de l’enseignement en 2011, en quatre ans cette fois, sous le nom de l’Université japonaise de cinématographie, dans un campus situé à Hakusan, toujours à Kawasaki. Cela a été rendu possible grâce au prêt par la ville de Kawasaki d’un terrain où se trouvait anciennement une école primaire, condition sans laquelle il aurait été très difficile de se conformer aux exigences réglementaires sur les terrains et bâtiments destinés aux établissements scolaires et universitaires.

La mise en place d’un enseignement sur quatre ans était déjà le souhait du fondateur Imamura Shôhei à l’époque, qui avait remarqué que la société évoluait globalement vers un enseignement supérieur long. Le monde du cinéma est dans le même temps devenu plus international, et les compétences permettant aux professionnels japonais de discuter à égalité avec leurs homologues étrangers sont dorénavant une nécessité.

— Quels étaient les principes de Imamura Shôhei concernant l’enseignement du cinéma ?

Satô L’industrie du cinéma japonais a arrêté d’engager des assistants dans les années 1970, quand le cinéma japonais a entamé son déclin et que le système des studios s’est effondré. Avant cela, le système hiérarchique au sein des studios était très sévère, les aînés inculquaient la technique aux jeunes assistants et les formaient pendant cinq ou dix ans dans l’ensemble des différentes sections : réalisation, prise de vue, montage, décoration, avant qu’ils puissent prétendre à devenir des cinéastes accomplis. Le studio était lui-même une sorte d’école. Quand ce système s’est effondré, une quantité de jeunes ont perdu toute possibilité d’entrer dans le système de production. Quant à ceux qui appartenaient déjà à un studio, ils ont perdu leur travail. Fonder une école de cinéma dans ce contexte, c’était d’une certaine façon mettre en contact des jeunes qui n’avaient nulle part où aller et des cinéastes qui n’avaient eux non plus nulle part où aller. Imamura Shôhei était toujours resté attaché à cette idée, que « ce sont des professionnels avec l’expérience des plateaux où de tournage qui doivent enseigner la technique aux étudiants.

Un autre de ses principes était que tous les enseignements devaient être dispensés en anglais. Récemment, de grandes entreprises commencent à utiliser l’anglais comme langue commune de travail, n’est-ce pas ? Eh bien, Imamura Shôhei avait des idées très en avance sur son temps en matière d’enseignement.

Miike Takashi et Lee Sang-il sortent de l’école

— L’Université japonaise de cinématographie joue-t-elle un rôle d’atelier de cinéma ?

Satô Une caractéristique essentielle de notre université est que la totalité des enseignants historiques soient tous des professionnels du cinéma de très haut niveau dans l’industrie cinématographique, possédant une connaissance parfaite du tournage réel.

De grands maîtres du cinéma japonais comme Imai Tadashi, Yoshimura Kôzaburô, Urayama Kirio, Shinoda Masahiro, sont venus dans nos amphis pour enseigner à nos étudiants. Cela a également eu un effet important pour le placement professionnel de nos anciens étudiants. Et nos anciens étudiants, devenus professionnels, peuvent à leur tour aider leurs cadets à mettre le pied à l’étrier. C’est ainsi que notre université est devenue un lieu de formation de jeunes cinéastes à l’efficacité reconnue.

Le réalisateur Miike Takashi, connu par le film 13 Assassins (2010), et Lee Sang-il, le réalisateur de Akunin (Les Méchants) (2010) sont diplômés de notre école. Mais nous n’avons pas formé que des réalisateurs. De nombreux techniciens de prise de vue, des éclairagistes, des décorateurs, des ingénieurs du son sortent également de chez nous. La plupart des techniciens lauréats des prix de la Nippon Academy sont d’anciens étudiants de notre école de cinéma. Je pense que c’est grâce au réseau de nos anciens étudiants devenus professionnels que notre école connaît déjà une aussi longue histoire.

Le cinéma japonais n’a plus de thème

— Récemment les films des jeunes cinéastes japonais sont souvent critiqués pour leur manque de message social. Leurs films « ont un rayon d’action limité à 5 mètres maximum », dit-on.

Satô Le problème essentiel auquel font face les cinéastes japonais, aussi bien les étudiants que les professionnels, est leur indécision quant à ce qu’il convient de faire comme films. Pendant les périodes de l’âge d’or du cinéma japonais, plusieurs thèmes existaient que tout le monde comprenait. Surmonter la pauvreté, établir la démocratie, élargir les droits des femmes... Ces thèmes obtenaient l’adhésion de tout le monde, et des œuvres de dimension internationale ont été produites. Néanmoins, de nos jours, il est devenu quasiment impossible de traiter ce genre de thèmes lourds avec sérieux.

Dans le même temps, on dit aussi qu’on ne peut plus raconter de « grandes histoires ». La société actuelle est dubitative sur la valeur des révolutions, des réformes sociales, de l’évolution des mœurs, et ne peut plus en parler avec assurance. Kurosawa Akira parlait haut et fort d’une morale que tout le monde comprenait. Mais il me semble que même les derniers films de Kurosawa commençaient à devenir tourmentés à partir du moment où cette « morale ordinaire » avait perdu sa voix.

— Quelle est votre opinion sur ce que l’on appelle les « films à comité de production », financés par des groupements d’entreprises, principalement des sociétés de télévision ?

Satô Dans le milieu du cinéma, à l’époque où le système du studio était stable, des œuvres très lucratives étaient produites, et les bénéfices dégagés par ces films commerciaux permettaient de produire des films des grands maîtres de haute tenue artistique. Ozu Yasujirô (1903-1963) ou Mizoguchi Kenji (1898-1956) ont créé leurs chefs-d’œuvre en tirant parti de ce système. Le déclin de cet univers du cinéma a causé la disparition des films commerciaux à succès, et les conditions favorables à la production de chefs-d’œuvre se sont également effondrées.

Je crois que les jeunes cinéastes qui se trouvent en première ligne sont frustrés du système dit « à comité de production » mis en place par les sociétés de télévision. Mais il faut reconnaître à ce système le mérite d’avoir rétabli une méthode de production de films qui génèrent des bénéfices. La différence, c’est que ce système n’a pas encore permis la réalisation d’œuvres « qui font honneur au cinéma ».

Seuls les jeunes savent décrire les troubles de la jeunesse immature

— Quelles sont les questions qui se posent pour l’avenir du cinéma japonais ?

Satô Un étudiant en école de cinéma peut envisager de devenir cinéaste professionnel accompli d’ici une dizaine d’années. Inutile d’essayer pour lui ou elle de réaliser un film commercial maintenant. En ce qui me concerne, à l’origine je suis un critique, et donc je considère de mon devoir de visionner tous les films de nos étudiants et de les commenter. Et je me suis aperçu que les jeunes qui ne sont pas encore adultes sont néanmoins les seuls à traiter correctement des problèmes de la jeunesse immature. Quand un adulte traite de sujets comme le conflit d’un jeune avec ses parents, l'automutilation ou hikikomori, le regard aura tendance à être porté de haut, condescendant. Je considère comme un grand profit personnel d’avoir rencontré des films qui expriment les problèmes de la jeunesse sous un angle que les films professionnels ne sont pas capables de mettre en scène. Cela me conforte dans mon parcours qui m’a conduit à l’enseignement. Aujourd’hui, tout le monde peut réaliser des films. C’est beaucoup plus facile qu’autrefois, la liberté est beaucoup plus grande. Mais des chefs-d’œuvre comme il y en eut pendant l’âge d’or du cinéma en sortiront-ils ? Là, la situation est plus compliquée.

Il y a eu une époque où le cinéma japonais a pris un grand élan pour se lancer dans la course du cinéma mondial. Pendant cette époque les cinéastes japonais avaient le sentiment de courir en tête. Pour qu’une telle motivation revienne, nous avons besoin d’un lieu où des gens qui partagent une même conception du cinéma puissent échanger et discuter. Autrefois, ce lieu, c’était le studio. C’est de là que naissaient les talents. Non pas un lieu où se réunissaient des gens talentueux, mais un lieu avec une fonction éducative. C’est ce que nous essayons de faire ici, nous espérons que l’Université japonaise du cinéma devienne un tel lieu.

Texte : Matsuzaki Takeo (journaliste de cinéma)
Photos de l’interview : Taniguchi Masahiko

 

L’Université japonaise de cinématographie

Le réalisateur Imamura Shôhei, qui produisait ses films sans dépendre des budgets des grands studios, fonda l’Institut de diffusion et cinématographie de Yokohama en 1975. Il lança un appel « aux jeunes qui ne veulent pas courir sur les sentiers battus ! » et organisa un enseignement délivré par des cinéastes de premier plan. En suivant tout le processus de production, avec exactement le même matériel que les professionnels, en petits groupes, de nombreux étudiants sont donc partis à l’assaut du cinéma professionnel à leur sortie de l’école. Depuis 2011, l’Université japonaise du cinéma est devenue la seule université japonaise proposant un enseignement en quatre ans dans une discipline unique. Scénario et Mise en scène, Prise de vue et Éclairages, Son, Montage, Documentaire, Théorie, les étudiants acquièrent non seulement les techniques et les connaissances spécifiques du cinéma, mais également à créer une interface entre la société locale et l’image. Plusieurs anciens étudiants sont aujourd’hui des cinéastes réputés, parmi lesquels on peut citer : Miike Takashi, Sasabe Kiyoshi, Motohiro Katsuyuki, Lee Sang-il, Yamaguchi Yûdai, Matsue Tetsuaki…

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