Retour à Hiroshima et Nagasaki

La menace nucléaire et le rôle de Hiroshima

Politique Société

Soixante-dix ans se sont écoulés depuis le largage des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki par les États-Unis, ouvrant ainsi l'ère nucléaire. Comme chaque année depuis 1947, une cérémonie commémorative se déroule le 6 août dans le Parc mémorial de la paix de Hiroshima. À cette occasion, 50 000 personnes de la ville, du reste du Japon et du monde entier ont honoré la mémoire des victimes par un vœu d’abolition de l’arme nucléaire.

Un risque croissant de prolifération

Les survivants de la bombe atomique ont désormais en moyenne plus de 78 ans. Petit à petit, leurs rangs s’amincissent lors des cérémonies commémoratives, mais on remarque une augmentation des participants jeunes et venus de l’étranger. On a pu ainsi constater la présence du réalisateur américain Oliver Stone, vainqueur de plusieurs oscars, qui, en 2013, visitait Hiroshima pour la première fois. Étaient présents également les représentants de 70 pays (États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France entre autres) de l’Union européenne et des Nations unies. Ils ont tous été témoins en ce jour de l’appel de Hiroshima pour une abolition des armes nucléaires le plus tôt possible. 

Pourquoi cet intérêt mondial pour Hiroshima et Nagasaki, alors que 70 ans se sont écoulés depuis les bombardements ? La raison est que l’humanité continue à vivre sous la menace latente d’une guerre nucléaire capable de mettre fin à la race humaine, ce même après la fin de la guerre froide. Il y a aujourd’hui environ 17 000 têtes nucléaires sur Terre, principalement sous la possession des États-Unis et de la Russie. On regarde également d’un œil inquiet des puissances nucléaires telles que l’Inde et le Pakistan, qui n’ont toujours pas adhéré au Traité de non-prolifération nucléaire, la Corée du Nord, qui s’en est retirée, ainsi que l’Iran, qui convoite l’arme nucléaire.

D’autre part, plus l’utilisation du nucléaire à des fins pacifiques progresse, plus la technologie et le matériel nucléaire se propage dans le monde, augmentant le risque de détournements à des fins militaires. On ne peut ignorer la possibilité que certains groupes armés perpètrent des actes de terrorisme nucléaire. Que ce soit de manière intentionnelle ou non, l’utilisation d’armes nucléaires semble plus propable qu’à l’époque de la guerre froide.

La Déclaration de Hiroshima-Nagasaki de mai 2009

Cénotaphe du Parc de la paix en cours de construction en mai 1952, entouré des baraques des survivants de Hiroshima. Au loin, on peut apercevoir le Dôme de la bombe atomique.

En mai 2009, 17 lauréats du Prix Nobel de la paix, dont la défunte activiste kényanne Wangari Maathai et l’ancien président de la Corée du Sud, Kim Dae-jung, ont publié conjointement un message à l’attention des dirigeants politiques du monde et de tous ses citoyens, intitulé la Déclaration de Hiroshima-Nagasaki. Ce texte fut publié dans le quotidien Chûgoku Shimbun – dont le siège se trouve à Hiroshima – et sur le site web bilingue anglais-japonais dedié aux sujets concernant la bombe atomique, la paix et le nucléaire : Hiroshima Peace media center.

Dans ce document, les auteurs annoncent que « Nous devons mettre un frein à la prolifération et abolir l’arme nucléaire ou nous pouvons nous attendre à ce que se reproduise une catastrophe semblable à celle de Hiroshima et Nagasaki. » Et ils reprennent les paroles énoncées par Albert Einstein : « La libération de l’énergie atomique a tout changé sauf notre mode de pensée. Nous nous dirigeons indubitablement vers une catastrophe à une échelle sans précédent. Si l’humanité désire survivre, nous devons complètement changer notre manière de penser. » Le texte se finit par un appel à tous les habitants du monde : « L’abolition de l’arme nucléaire est réalisable. Nous devons nous unir pour transformer cet idéal en réalité. »

Beaucoup de journaux locaux et régionaux du Japon ont publié cette déclaration. À l’international, le Huffington Post, l’un des sites web d’information américains les plus importants, s’est fait l’écho de la déclaration. Ainsi, ce message fut propagé aussi bien dans le Japon que dans le monde entier.

La « fin de la civilisation »

Des journalistes anglais, tchèque, danois, et roumain interviewent des victimes des radiations. Les médias internationaux ont participé à relayer dans le monde entier leurs témoignages et leur appel de mettre fin au nucléaire.

Les bombes atomiques que les États-Unis ont larguées sur Hiroshima et Nagasaki vers la fin de la Seconde Guerre mondiale ont été responsables de dégâts sans précédent dans l’histoire de l’homme. Les deux villes ont subi la chaleur extrême et l’énorme souffle produits par l’explosion, et ont aussi souffert des radiations résiduelles. Sous le champignon atomique, peu importe la nationalité, le genre ou la religion : enfants, personnes âgées, femmes, prisonniers de guerre américains, anglais ou hollandais, travailleurs coréens, tous ont été les victimes d’un massacre sans discrimination.

La population de Hiroshima était alors de 327 000 personnes, environ 350 000 si on inclut les militaires. Fin 1945, le nombre des victimes était estimé entre 130 000 et 150 000, tandis que 74 000 de ses 240 000 habitants de Nagasaki ont perdu la vie.

Les survivants de la bombe atomique ont vu de leurs propres yeux sa puissance dévastatrice et ont fait l’expérience de « la fin de la civilisation » parmi les décombres de la ville. Ce sentiment se reflète clairement dans la déclaration pour la paix de 1947 prononcée par Hamai Shinzô (1905-1968), maire de Hiroshima au cours de la première commémoration de la paix alors que les travaux de reconstruction venaient à peine de commencer. La cérémonie s’est déroulée dans un décor d’habitations provisoires et se déroule toujours aujourd’hui le 6 août de chaque année.

« Cette arme horrible a conduit à une révolution idéologique nous amenant à nous rendre compte de la nécessité et de la valeur d’une paix éternelle. En d’autres termes, avec la bombe atomique, le monde a réalisé qu’une guerre mondiale nucléaire supposait la fin de la civilisation et l’extinction du genre humain. Nous devons poser les bases d’une paix absolue qui implique la naissance d’une nouvelle vie et d'un nouveau monde », déclarait M. Hamai.

Un chemin difficile vers la reconstruction 

Autrefois centre de commande régional militaire, la ville de Hiroshima s’est transformée en une ville de paix après la tragique expérience de la guerre et de la bombe atomique. En 1949, la Diète adopta la Loi pour la construction de Hiroshima comme ville commémorative de la paix. Cette législation fut promulguée en août de cette année grâce à un appui écrasant exprimé par un référendum local. Cette loi est le fondement de la construction du Parc mémorial de la paix de Hiroshima incluant le Cénotaphe et le Musée mémorial de la paix ainsi qu’un plan de reconstruction ambitieux visant à faire de Hiroshima une ville culturelle internationale pour la paix. Cependant, même dans les années 70, il restait des baraques dans la partie nord du Dôme de la bombe atomique et la reconstruction n’était pas chose aisée.

« L’enfer sur Terre », c’est seulement par ces mots que beaucoup de survivants parviennent à qualifier la scène de désolation produite par la bombe atomique. Leurs blessures, tant bien physiques que psychologiques, peuvent être traitées médicalement, mais ne guériront jamais réellement. Ils craignent jour après jour que les radiations aient des effets à retardement et peut-être même des conséquences génétiques sur leurs enfants. S’ajoute à cela une discrimination dans le cadre du mariage et de la recherche d’emploi. Une grande partie d’entre eux ont pris des années à surmonter la douleur et la haine envers le pays à l’origine de la bombe atomique. Aujourd’hui, ils sont unanimes dans leur souhait que
« personne ne vive le même calvaire ».

La terrible expérience de Hiroshima et Nagasaki ont rendu les Japonais allergiques au nucléaire. Ce sentiment s’est fait encore plus grand après l’incident du 1er mars 1954 dans l’atoll de Bikini où les retombées d’un essai nucléaire américain ont touché un navire de pêche japonais, le Daigo Fukuryû maru.

Cependant, à la même époque, l’annonce d’une utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, avec la création de centrales pour produire de l’électricité, n’a pas suscité de controverse. Beaucoup de spécialistes ainsi que les médias l’ont présentée comme l’énergie idéale capable d’apporter la paix et la prospérité au futur de l’humanité. Même les survivants de la catastrophe ne s’y sont pas opposés. L’argument, avancé par les États-Unis, d’énergie « à faible coût, propre et sûre » ne rencontra pas d’opposition, et la réaction la plus commune était que « l’utilisation à des fins militaires est impardonnable, mais celle à un but pacifique ne pose pas de problème ».

Le désastre de Fukushima

Harada Sadanori et sa femme donnent à manger à leurs vaches, un mois après la fusion du réacteur de la centrale nucléaire. Installés pourtant à 40 km de la centrale, ils ont dû quitter leur maison et leurs animaux à cause de la pollution radioactive.

Le 11 mars 2011, un terrible accident s’est produit à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi de la Tepco, entrainant la fusion de plusieurs réacteurs. Jusqu’alors, à l’exception de quelques individus, les survivants de la bombe atomique n’abordaient pas le sujet des centrales nucléaires dans leurs activités de témoignage sur Hiroshima et Nagasaki. Lors de l’incident de Tchernobyl de 1986 en actuelle Ukraine, une énorme quantité de radiations avaient été émises, mais cet accident dans un pays lointain n’avait pas permis de ressentir un réel danger. Cela a radicalement changé avec Fukushima. Une grande part des survivants qui témoignent de leur expérience de la bombe atomique déclarent qu’ils pensaient que la bombe atomique et l’énergie nucléaire étaient deux choses totalement différentes, et regrettent de ne pas s’y être opposés également jusqu’à maintenant.

Lorsqu’un accident nucléaire incontrôlable se produit, des dégâts importants et irréversibles sont infligés non seulement aux hommes, mais aussi à la faune, à la flore et à l’environnement. Et même si aucun accident se produit, le stockage de tonnes de déchets nucléaires, s’amassant avec le temps, ainsi que la sécurité des employés travaillant dans les centrales, sont sources d’inquiétudes.

Des agriculteurs et pêcheurs des zones de Fukushima touchées par le désastre de 2011 ont déclaré : « Après la fin de la guerre, on disait, la nation est à genoux mais le pays est debout, maintenant on pourrait dire, la nation est prospère mais le pays est anéanti. Nous ne voulons pas d’indemnisations. Un pêcheur a besoin de la mer pour vivre. Il ne nous reste ni rêve ni espoir.»

La colère et la souffrance des agriculteurs qui ont dû quitter leurs terres et des pêcheurs qui ne peuvent toujours pas aller en mer deux ans et demi plus tard à cause de la pollution radioactive, soulèvent la question : « Qu’est-ce que les Japonais ont retenu du passé » à travers l’expérience de Hiroshima, Nagasaki et l’atoll de Bikini.

Victimes de la radioactivité dans le monde

Un ancien employé de Savannah River Site qui produisait des matériaux nucléaires pour l’armée américaine témoigne des effets des radiations (2001, Ville de Aiken en Caroline du Sud) : « Au début, quand j’étais exposé aux radiations, je ne comprenais pas pourquoi je perdais des cheveux. Le médecin ne voulait même pas me voir. »

Que ce soit dans un but militaire ou pacifique, tous les stades du processus de la combustion nucléaire, de l’exploitation de l’uranium jusqu’au traitement des déchets radioactifs produisent des radiations néfastes au corps humain. Il n’est donc pas étonnant de trouver des victimes des radiations dans tout le monde. Le journal Chûgoku Shimbun qui a perdu 114, soit environ un tiers de ses employés à cause de la bombe de Hiroshima, a publié 3 ans après l’accident de Tchernobyl en 1989 une série d’articles pendant une année présentant les victimes des radiations dans 21 régions de 15 nations, dont les États-Unis et plusieurs pays de l’ex-URSS. Le but était de dénoncer le danger de la dépendance au nucléaire et demander l’arrêt de la construction de centrales nucléaires.

Reposez en paix.
Nous promettons de ne pas répéter
les erreurs du passé.

L’épitaphe gravée sur le Cénotaphe du Parc mémorial de la paix de Hiroshima exprime la volonté de ne jamais laisser se reproduire ce qui s’est passé à Hiroshima et Nagasaki, et qu’il n’y ait plus de guerre ou de victimes de radiations.

Tragédie nucléaire : un patrimoine à ne pas léguer aux générations futures

Les deux pancartes sont tout ce qui reste de ce village en Biélorussie où vivaient 185 habitants jusqu’en 1987. La contamination radioactive était si grave que le village a dû être complètement rasé au bulldozer.(2001)

Pour un nombre croissant de personnes dans le monde, il est clair que les armes nucléaires ne sont pas des symboles de puissance, mais de misère et de mal absolu. C’est probablement le fruit des efforts de dénonciation menés par les victimes de radiation et des citoyens du monde entier. L’opinion publique réclame également de plus en plus une transition non pas vers le nucléaire qui est trop dangereux, mais vers des énergies sûres, durables et renouvelables. Les citoyens du monde entier ne permettront pas la transmission forcée de cet héritage, fruit de l’ère atomique, aux générations et à notre planète de demain.

C’est en délaissant ses arsenals militaires excessifs, en vivant ensemble et en harmonie avec la nature, en chérissant chaque vie, et en se respectant les uns les autres, que l’humanité pourra surmonter les difficultés auxquelles elle fait face, tel l’héritage tragique laissé par l’ère nucléaire. Les hommes pourront alors trouver un chemin réaliste qui leur permettra d’aller de l’avant. Cette pensée pacifiste n’est-elle pas présente dans la Constitution du Japon ? Elle s’incarne aussi avec les survivants de Hiroshima et Nagasaki, au travers de leur expérience de la bombe atomique et des horreurs qu’elle a engendrées. Il est vital de ne pas oublier ce qui est arrivé dans ces deux villes, pour qu’un jour nous puissions vivre dans un monde de paix, libre de toute menace nucléaire.

(D'après l'original en japonais paru le 5 novembre 2013. Des modifications ont été apportées à la version française de cet article le 5 août 2015. Photographies : Chûgoku Shimbun)

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