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Le débat sur la révision du code des mineurs s’enflamme à nouveau

Société

Depuis le meurtre d’un collégien de Kawasaki âgé de 13 ans, Uemura Ryôta, à l’aube du 20 février dernier, sur les berges de la rivière Tamagawa, par un mineur de 18 ans et deux autres complices mineurs comme lui, le nombre de personnes favorables à une révision de la législation sur les mineurs augmente. Les actes de cruauté menés par les trois garçons les conduit à penser qu’il faudrait traiter les agresseurs non pas comme des mineurs mais comme des adultes, et notamment autoriser la publication de leurs noms et de leurs photos. Mais les partisans de la prudence en ce domaine ne désarment pas, et le débat sur la révision n’est pas près de s’arrêter.

La photo des assassins largement diffusée sur Internet

Les détails du crime commis par un mineur de 18 ans et ses complices, révélés au fur et à mesure de l’enquête, sont stupéfiants. Les trois garçons qui battaient régulièrement le jeune Ryôta l’ont fait se déshabiller la nuit du meurtre et l’ont contraint à nager dans la Tamagawa en plein hiver, puis ils l’ont tailladé au cutter avant de se servir d’un couteau pour lui infliger une blessure fatale au cou. Ils ont ensuite caché son corps dans des buissons et sont partis avec ses vêtements qu’ils ont fait brûler dans des toilettes publiques afin de se débarrasser des preuves matérielles. Des menottes en plastique retrouvées sur les lieux du crime font penser que la victime avait probablement les mains liées pendant qu’il était battu.

Ce crime a suscité la colère de l’opinion publique, et la photo de l’auteur présumé, son identité et des photos de sa famille sont parues sur Internet. Un hebdomadaire à grand tirage a aussi publié un article dans lequel figuraient son nom et sa photo. L’article 62 du code des mineurs interdit la publication du nom et des photos d’un mineur soupçonné d’avoir commis un crime, mais la rédaction du Shûkan Shinchô, l’hebdomadaire à grand tirage qui ne l’a pas respecté justifie ainsi son geste : « Nous avons décidé de publier son nom et sa photo en raison de la cruauté inouïe du meurtre, du grand impact sur la société, et du passé de l’auteur du drame. »

Le magazine a trouvé ces photos sur Internet et les a publiées après avoir vérifié auprès d’amis de l’agresseur qu’il n’y avait pas d’erreur sur la personne. Il est en effet très facile de trouver en ligne son nom ainsi que ses photos. C’est la raison pour laquelle les éditions Shinchô ont choisi de les publier, alors que la plupart des médias ont préféré ne pas le faire, estimant que même si les infractions à cet article de la législation sur les mineurs ne sont pas punies, il est naturel de respecter la loi.

La majorité relevée de 18 à 20 ans après la guerre

Lorsqu’une loi n’est plus adaptée à la société, elle doit être modifiée. La législation japonaise sur les mineurs a été révisée cinq fois depuis la fin de la guerre, d’abord en 1949 au moment où le Commandement suprême des forces alliées, qui gouvernait le Japon vaincu, menait sa politique de démocratisation. Cette révision a relevé la majorité pénale de 18 ans, âge auquel elle était fixée avant-guerre, à 20 ans. Elle a aussi créé les tribunaux de la famille, chargés de déterminer si les mineurs devaient, soit subir des sanctions pénales, soit recevoir des mesures éducatives.

Le Japon connaissait alors une période troublée. La guerre avait fait de nombreux orphelins, et de nombreux mineurs commettaient des cambriolages ou des vols avec violence pour se procurer de la nourriture dans cette période où elle manquait. La révision de 1949 visait à protéger et rééduquer ces mineurs.

La forte croissance économique qu’a ensuite connue le Japon a apporté la richesse, et la nature des infractions commises par les mineurs a changé. L’âge auquel ils les commettent a aussi baissé, et les infractions de certains d’entre eux ont parfois été d’une grande violence. En 1988, une lycéenne de l’arrondissement d’Adachi à Tokyo a été kidnappée, violée et battue à plusieurs reprises avant d’être tuée. Son corps a été retrouvé dans un fût métallique dans lequel on avait versé du ciment dans l’arrondissement voisin de Kôtô. Ce crime commis par quatre jeunes de 16 à 18 ans est resté dans les mémoires.

La société japonaise ébranlée par l’affaire Sakakibara Seito

En février et mars 1997, quatre écolières de Kobe furent attaquées au marteau et au couteau. L’une d’entre elles succomba à ses blessures, et deux furent grièvement blessées. Puis, au mois de mai survint un crime épouvantable : un écolier de 5e année d’école élémentaire fut assassiné, et sa tête posée devant l’entrée principale d’un collège. On retrouva dans la bouche de ce jeune garçon un message défiant la police, signé du pseudonyme Sakakibara Seito. Cette affaire qui ébranla la société japonaise était l’œuvre d’un collégien de 14 ans qui habitait à proximité.

Les années suivantes, plusieurs crimes violents commis par des mineurs – meurtre d’une mère et de son enfant dans la ville de Hikari en avril 1999, assassinat lors d’un détournement d’un autobus à Saga en mai 2000, meurtre de trois personnes d’une même famille dans la préfecture d’Ôita en août 2000 – entraînèrent une révision de la législation sur les mineurs en 2001, la première en 52 ans, qui abaissa l’âge de la responsabilité pénale de 16 à 14 ans.

L’alourdissement des peines infligées aux mineurs

En 2007, une nouvelle révision fit passer l’âge à partir de laquelle un mineur pouvait être envoyé en établissement pénitentiaire de 14 à 12 ans. Il est possible que des crimes tels que l’enlèvement et l’assassinat d’un petit garçon par un jeune âgé de 12 ans à Nagasaki en juillet 2003, et l’assassinat à Sasebo au cutter d’une petite fille de 11 ans par une camarade de classe en juin 2006, aient joué un rôle dans cette révision.

La législation sur les mineurs fut à nouveau modifiée en 2008 afin d’autoriser la victime et sa famille à assister au procès de l’agresseur mineur dans les cas de crimes graves, homicides volontaires ou involontaires. Cette modification était liée à l’adoption en 2004 d’une loi fondamentale sur les droits de victimes de crime, destinée à protéger les droits et les intérêts des victimes d’actes criminels. Enfin, lors la dernière révision de 2014, la peine prononcée à la place de la perpétuité pour les mineurs est passée de 15 à 20 ans de prison, et les peines à durée indéterminée, auparavant de 5 à 10 ans, est désormais de 10 à 15 ans.

Les opinions sont cependant très partagées quant à l’effet dissuasif de cet alourdissement des peines infligées aux mineurs. Selon le Livre blanc de la police, le nombre d’arrestations de mineurs pour infractions relevant du code pénal est en baisse, puisqu’il a diminué de moitié entre 2004 à 2013, de 134 847 arrestations à 56 469. En 2004, 1 584 de ces arrestations concernaient des infractions graves (homicides, vols avec violence, viols, incendies intentionnels). Le chiffre équivalent en 2013 était de 786. Si la baisse de l’âge auquel sont commis ces crimes semble avéré, il ne paraît guère possible, à la lumière de ces chiffres, de parler d’une hausse de la criminalité des mineurs.

La perspective de l’abaissement de l’âge du droit de vote à 18 ans

Les crimes particulièrement affreux et fortement médiatisés, comme l’assassinat du collégien de Kawasaki, conduisent inévitablement à de nouvelles critiques de la législation des mineurs, perçue comme trop laxiste. Les récents débats à ce sujet sont cependant légèrement différents. Comme le projet de loi visant à accorder le droit de vote à partir de dix-huit ans sera probablement adopté lors de la session parlementaire actuelle, on entend plutôt dire qu’il n’y a pas de raison pour que le code des mineurs protège des jeunes ayant le droit de vote. Il semble possible aujourd’hui que la majorité légale soit redescendue à 18 ans, comme elle l’était avant-guerre.

Évolution du nombre de mineurs arrêtés par type d’infraction

Année 2004 2005 2006 2007 2008
Type d’infraction
Total 134 847 123 715 112 817 103 224 90 966
Crimes graves 1 584 1 441 1 170 1 042 956
Crimes violents 11 439 10 458 9 817 9 248 8 645
Vols 76 637 71 147 62 637 58 150 52 557
Crimes intellectuels 1 240 1 160 1 294 1 142 1 135
Crimes moraux 344 383 346 341 389
Autres crimes 43 603 39 126 37 553 33 301 27 284

 

Année 2009 2010 2011 2012 2013
Type d’infraction
Total 90 282 85 846 77 696 65 448 56 469
Crimes graves 949 783 785 836 786
Crimes violents 7 653 7 729 7 276 7 695 7 210
Vols 54 784 52 435 47 776 38 370 33 134
Crimes intellectuels 1 144 978 971 962 878
Crimes moraux 399 437 466 566 523
Autres crimes 25 353 23 484 20 422 17 019 13 938

Crimes graves : vols, homicide, cambriolage, incendie intentionnel, viol
Crimes violents : acte de violence, coups et blessures, menace, chantage
Crimes intellectuels : escroquerie, détournement, faux, corruption, abus de confiance
Crimes moraux : jeux de hasard, obscénité

Source : Livre blanc de la police de 2014

Historique des révisions de la législation s’appliquant aux mineurs

Date Contenu de la révision Évènements
01/01/1949 Entrée en vigueur de la nouvelle législation sur les mineurs : majorité relevée à 20 ans, contre 18 précédemment, création des tribunaux de la famille pour trancher entre sanctions pénales ou mesures éducatives L’occupation du Japon (août 1945 - avril 1952)
01/04/2001 Responsabilité pénale rabaissée à 14 ans, contre 16 précédemment Novembre 1988 - janvier 1989 : assassinat d’une lycéenne par 4 mineurs âgés de 16 à 18 ans
Février - juin 1997 : affaire Sakakibara Seito, mineur de 14 ans
Avril 1999 : assassinat d’une mère et de son enfant à Hikari (Yamaguchi) par un mineur de 18 ans
Mai 2000 : détournement d’un autobus à Saga par un mineur de 17 ans
Août 2000 : assassinat et tentatives d’assassinat d’une famille de 6 personnes à Ôita par un mineur de 15 ans
01/11/2007 Renforcement du droit de la police d’enquêter dans des affaires impliquant des mineurs de moins de 14 ans / L’âge à partir duquel un mineur peut être envoyé en centre éducatif ramené de 14 à 12 ans Juillet 2003 : enlèvement et assassinat d’un enfant à Nagasaki par un mineur de 12 ans
Juin 2006 : assassinat à Sasebo (Nagasaki) d’une fille de 11 ans par une camarade de classe
15/12/2008 Droit pour la victime et sa famille d’assister au procès d’un mineur si celui-ci a commis des violences entraînant ou risquant d’entraîner la mort Adoption en 2004 d’une loi fondamentale sur les victimes de crimes
07/05/2014 La durée maximale des peines de prison pour les mineurs passe de 15 à 20 ans, et celles des peines indéterminées passe d’entre 5 et 10 ans à entre 10 et 15 ans

Février 2010 : assassinat de 3 personnes à Ishimaki par deux mineurs de 17 et 18 ans
Février 2013 : assassinat d’une femme à Kichijôji (Tokyo) par deux mineurs de 17 et 18 ans
Juin 2013 : agression et assassinat d’une jeune fille par un homme de 21 ans, 6 garçons et filles de 16 à 17 ans à Kure (Hiroshima)
Août 2013 : assassinat d’une jeune fille de 15 ans par un mineur de 18 ans à Mie

    Juillet 2014 : assassinat d’une jeune fille de 16 ans par une mineure de 15 ans à Sasebo
Février 2015 : assassinat d’un garçon de 12 ans par un mineur de 18 ans et deux autres de 17 ans à Kawasaki

 

(Photo de titre : des journalistes guettent le départ du commissariat de Kawasaki de la voiture à bord de laquelle se trouvent les mineurs arrêtés pour l’assassinat du collégien. 27 février 2015. Jiji Press)

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