Les daims de Nara

Culture

À Nara, les daims sont considérés comme les serviteurs des dieux, et sont protégés avec beaucoup d’amour. La nuit, nous les retrouvons dans la forêt du grand sanctuaire de Kasuga, et à l’aube ils se transportent vers les temples Tôdaiji ou Kôfukuji. La photographe Ishii Yôko a suivi ces animaux à travers tout le pays, et nous fait part de ses réflexions derrière l’œil de sa caméra..

Des daims et uniquement des daims : un paysage surréaliste

Le 23 mars 2011, je m’étais rendue à Nara pour mon travail, et l’occasion étant trop belle, j’ai pris mon appareil et suis sortie de l’hôtel. Dans cette ville, un matin de bonne heure, se sont offerts à mes yeux un couple de daims trônant majestueusement au milieu d’un carrefour, des mâles en pleine confrontation virile, d’autres se livrant à une vraie parade dans les rues…

Comme si toute présence humaine avait disparue, pour leur laisser la place.

Presque deux semaines auparavant, dans l’est du Japon, le séisme détruisait des villes et le tsunami engloutissait de nombreuses vies. L’Homme, au nom du progrès, du développement, et tout puissant qu’il croyait être, a brisé les montagnes, comblé les mers, construit des usines, et édifié des buildings. Mais la nature, tel un caprice de sa part, n’a dû bouger qu’un petit doigt pour nous faire payer notre orgueil en réduisant tout à néant. Et puis, ces projets tant rêvés de nouveaux « soleils artificiels », soi-disant peu coûteux, se sont effondrés, et ont laissé la place à des terres inhabitables.

C’est à ce moment que j’ai rencontré ces daims, qui marchaient sereinement dans une ville bâtie par les hommes. Ce spectacle fut extrêmement agréable.

Depuis l’époque où Nara était érigée en capitale, ces créatures considérées comme serviteurs des dieux sont traitées avec beaucoup d’attention. Plus de 1 200 ans après, même si la ville a changé, le mode de vie de ces animaux, lui, est resté le même.

Actuellement, environ 1200 daims sont présents à Nara. Au lever du jour, soumis à leur instinct, ils sortent de la forêt du sanctuaire Kasuga, traversent le carrefour désert et parviennent jusqu’à la ville. Toujours en groupe, se nourrissant à leur gré des herbes du chemin qui mène à leur zone de prédilection. Puis une fois arrivés au parc de Nara, ils tondent la verdure de leurs dents, fertilisent la terre de leur engrais, puis passent tranquillement le reste de leur temps à ruminer l’herbe, avant de repartir dans la forêt à la tombée du jour.

Serviteurs des dieux ou animaux nocifs ?

La présence des daims s’accentue à travers le Japon, et ces derniers sont considérés comme des animaux nuisibles qui mangent les cultures et les plantes. Face à cela, les collectivités locales ont décidé de contrôler leur nombre. Durant l’année 2013, une chasse aux daims a engendré la capture de près de 180 000 têtes. Sans compter l’extermination au nom de leurs nuisances de plus de 340 000 cervidés, qui bien loin de l’image d’animal sacré de la montagne, finissent enterrés ou incinérés.

Ainsi, les hommes en ont cyniquement convenus : le traitement du daim s’oppose selon sa zone d’habitation, où dans un cas, c’est un paisible animal de compagnie gâté par les biscuits des touristes, et dans l’autre, c’est une espèce nocive pourchassée et massacrée. D’un certain point de vue, les daims sont le reflet de l’égoïsme et de la contradiction du cœur humain.

Sans cesse nous nous affrontons inutilement et sans cesse nous détruisons notre propre habitat sans être capables de contrôler les technologies que nous avons nous-mêmes crée. Si rien ne change, le genre humain disparaîtra probablement de la surface de cette planète.

Malgré cela, sur une Terre vidée de ses hommes, les daims continueront probablement d’être présents comme à leur habitude dans la ville…

S’il advient ainsi, il revient à moi photographe de visualiser « la ville sans hommes, peuplée de daims », en capturant ces silhouettes déambulant librement et fièrement dans les rues. Ces images, je l’espère en secret, seront une bonne occasion de nous faire réfléchir, et de faire évoluer notre société.

(Photos et texte : Ishii Yôko)
















photographie animal cerf Nara