Dérive de l’éducation japonaise

Retour sur le débat autour de l’éducation « yutori »

Société

La « baisse du niveau scolaire » des élèves japonais à la fin des années 1990 fut le point de départ d’un considérable débat de société. Au bout du compte, le ministère de l'Éducation, de la Culture, des Sports et des Sciences a été contraint de réviser sa politique « d'éducation yutori (sans pression) », considérée comme à l’origine de cette baisse de niveau. Les nouvelles orientations mises en place cette année par le gouvernement en matière d’éducation pour sortir de cette politique sont l’occasion de jeter un regard en arrière sur ce que recouvrait en réalité la problématique autour de la « baisse du niveau scolaire » et de « l’éducation sans pression ».

Au Japon, les années 1990 sont appelées la « décennie perdue ». L’effondrement de la bulle économique, de multiples erreurs de gestions financières des autorités, entre autres, ont prolongé la période de récession. Cela a entraîné la faillite d’importantes institutions bancaires et de courtage de valeurs mobilières, qui à leur tour ont généré une instabilité financière générale, des faillites d’entreprises en cascade, des licenciements et une concentration des acteurs financiers.

Le nombre d’employés en contrat permanent a diminué au profit d’emplois contractuels simples. Le nombre de jeunes en situation précaire, « Neets » (de l’anglais Not in Education, Employment or Training) ou « Freeters » (de Free Timer, précaire à temps partiel) a rapidement augmenté. On comptait 4 170 000 Freeters en 2001, 750 000 Neets en 2000. À côté de cela, la baisse de la natalité et le vieillissement de la population s’accentuant, les citoyens adultes s’inquiétaient pour leur vieillesse, les jeunes s’angoissaient pour leur avenir.

La bulle des années 1980 fut la dernière fleur, stérile, de la croissance économique soutenue des années 1970, elle-même ayant fait suite à la période de forte croissance initiée en 1955. Quand on entendait parler, par exemple, du « Japon comme Numéro 1 », cela relevait d’une confiance démesurée dans le modèle japonais, basée sur une surestimation extravagante. La longue période de stabilité économique que nous avons connue a pris fin avec l’éclatement de cette bulle.

Le phénomène de la croissance rapide du Japon doit se comprendre dans le contexte de la confrontation entre, d’un côté, le bloc socialiste conduit par l’Union soviétique et la Chine, et de l’autre le bloc capitaliste constitué des États-Unis et de l’Europe de l’Ouest, autrement dit ce qu’on a appelé la Guerre Froide. Le Japon, lié au bloc étasunien et sous sa protection, pouvait maintenir un niveau réduit de dépenses militaires, ce qui lui a permis de consacrer l’essentiel de ses efforts à l’activité économique.

Or, la Guerre Froide s’est terminée à la fin des années 1980 et le début des années 1990 avec l’effondrement de l'Union soviétique et du bloc socialiste en Europe de l'Est, et a fait place à une période de réorganisation internationale, de mondialisation et de réajustement de la compétitivité au niveau international. Le déplacement d’une activité de production centrée sur le secteur secondaire (industriel) vers création de richesse centrée sur le secteur tertiaire (services) était déjà entamé, et ce mouvement a connu une grande accélération avec le développement de la société de l’information.
C’est à la fin de cette « décennie perdue » qu’est apparu au Japon un grand débat de société sur les questions d’enseignement scolaire. On l’a appelé « la controverse sur la baisse du niveau scolaire ».

La controverse sur la baisse du niveau scolaire

Le niveau de connaissance des écoliers et étudiants japonais, jusqu’ici considéré comme l’un des plus élevé du monde, s’est fortement dégradé. La politique de « l’éducation yutori (sans pression) » du ministère de l’Éducation fut montrée du doigt.

Ce débat de société s’est déroulé dans le contexte de la préparation de nouvelles directives sur l’enseignement dont la mise en place était attendue à l’horizon 2002. En plus de l’introduction d’un second jour de congé par semaine pour les écoliers, les directives passées avaient prôné jusque là le passage à une éducation « sans pression » par la diminution de 30% des contenus. L’inquiétude se répandit alors que cela pourrait contribuer à faire baisser plus encore le niveau des connaissances scolaires.

La controverse qui a alors éclaté a présenté un aspect inhabituel par rapport aux débats en matière d’enseignement qui se déroulaient jusque là. Auparavant, les controverses émanaient principalement de chercheurs et d’intellectuels progressistes du Syndicat des Enseignants du Japon (Nikkyôso), du Parti communiste ou du Parti socialiste, opposés à la politique du ministère de l'Éducation. Elles portaient principalement sur des problèmes internes à la salle de classe, en primaire et secondaire, et les intellectuels qui prenaient part à ces débats étaient généralement des chercheurs en pédagogie.

Or, cette fois, l’étincelle qui mit le feu aux poudres vint d’abord du champ universitaire, et non pas de chercheurs en pédagogie mais plutôt d’enseignants de disciplines scientifiques.

En 1998 et 1999, la Société Mathématique du Japon avait fait exécuter un test de mathématique de niveau primaire et collège à des étudiants des meilleures universités du pays (Université de Kyoto et Université Keiô, entre autres). Les résultats avaient été catastrophiques. Sur la base de ce test, certains mirent en avant la responsabilité des universités (problème de baisse de rigueur des examens d’entrée portant sur un nombre réduit de matières, abandon d’un enseignement basé sur l’acquisition des connaissances), et la question du laxisme de l’éducation « sans pression » que prônait le ministère de l’éducation. Des données montrant une baisse similaire de connaissances dans les autres matières scientifiques chez les étudiants, y compris dans les établissements d’enseignement complémentaires (juku), vinrent compléter le tableau.

Wada Hideki, auteur de nombreux manuels de préparation aux concours d’entrée aux universités est un opposant de longue date à l’opinion selon laquelle « préparer un examen, c’est le mal » ainsi qu’au concept d’éducation « sans pression » prôné par le ministère de l’Éducation. Dans cette controverse, il plaça le Japon devant une alternative : soit devenir un pays conduit par une élite minoritaire, soit mettre de force toute la population en compétition devant les examens. Il fit remarquer que les réformes éducatives menées en Grande-Bretagne et aux États-Unis dans les années 1980 étaient revenues sur les principes de l’éducation « sans pression » qui avaient prévalus jusque là, menaçant le Japon de se retrouver à contre-courant des autres nations développées si la politique éducative laxiste du ministère était poursuivie. Il prédisait l’effondrement de la base du niveau technique et scientifique du pays si le niveau scolaire continuait à baisser.

Le débat, parti de l'Université, s’étendit alors à l'enseignement primaire et secondaire. Dans la région métropolitaine et les grandes villes, les collèges et lycées privés, ainsi que des juku préparant aux concours d’entrée aux collèges, lancèrent en synergie de grandes campagnes de promotion. Ces campagnes créèrent une inquiétude chez les parents d’élève sur la capacité des établissements publics directement touchés par l’éducation « laxiste » à dispenser un enseignement réellement valorisable pour leurs enfants.

Les spécialistes en pédagogie ne prirent pas part de façon centrale dans ce débat, avons-nous dit. Exception notable, Kariya Takehiko, sociologue de l’éducation (et à l'époque professeur de la Faculté d'éducation, Université de Tokyo). Dans cette controverse sur l’éducation « sans pression », le professeur Kariya, qui avait déjà par le passé mis en lumière les relations entre éducation et hiérarchie sociale, sujet jusqu’alors tabou, montra cette fois, à travers une étude sur la diminution du temps consacré à l’étude par les collégiens et les lycéens, que les enfants s’éloignaient de plus en plus du travail scolaire, et que les notions « d’enseignement varié » et de « responsabilité individuelle », à la base de la politique « d’éducation sans pression », pouvaient contribuer au creusement des inégalités sociales.

Le ministère de l’éducation, de son côté, ne fut pas en reste dans l’extension du débat. Terawaki Ken se fit l’avocat de la politique éducative du ministère, « l’éducation sans pression ». Les interventions du Directeur des politiques furent incontestablement claires et directes, très éloignées de l’habituel jargon bureaucratique. De nombreux points importants furent ainsi mis en lumière. En particulier, sa phrase : « Les programmes scolaires constituent un minimum » provoqua un remue ménage dans les milieux éducatifs. M.Teraweaki admit ensuite que cela représentait une volonté théorique, mais que dans la réalité « ils fonctionnaient comme un plafond » (c’est-à-dire comme un standard supérieur). C’était admettre un effet d’autorité de fait dans les relations entre ministère et comités éducatifs locaux, pourtant supposés maintenir une coopération paritaire. En outre, la théorie « les programmes scolaires sont un minimum » fit prospérer un argument que les établissements privés ne manquèrent pas d’avancer sur la base de la théorie de la division du travail : « les établissements publics, c’est pour les élèves de bas niveau scolaire, le privé, lui, éduque l’élite ».

Le ministère dépose les armes et abandonne sa doctrine de « l’éducation sans pression »

Le débat de société atteignit son apogée en 2000. Si à l’origine la question était demeurée large, la baisse globale du niveau scolaire était maintenant un fait admis, et la plupart des avis autorisés montraient du doigt comme cause évidente de ce déclin la politique « d’éducation sans pression » dont l’introduction s’était poursuivi depuis les années 1980.

À partir d’avril 2002, comme prévu, les nouvelles directives sur l’enseignement furent publiées. Or, loin de poursuivre dans le droit fil de « l’éducation sans pression » qui avait prévalu jusque là, le ministère sortit en urgence un document intitulé « Recommandations d’apprentissage ». On y insistait fortement sur les notions de « haut niveau de connaissances », de « hausse du niveau scolaire ». D’éducation « sans pression » il n’était plus question. Le ministère reconnaissait ainsi de facto sa défaite en modifiant sa politique. Le débat public trouvait ainsi une sorte de conclusion et la controverse retomba. Les nouvelles directives qui doivent être mise en œuvre à compter de 2012 prévoient une augmentation des heures scolaires, et un grand nombre des items supprimés précédemment des programmes sont réintégrés.

Néanmoins, le débat n’a pas vraiment permis d’éclaircir la définition et la réalité de ce que l’on devait entendre par « niveau de connaissances », et aucune étude n’aura prouvé incontestablement que ce niveau était efectivement « en baisse ». Selon l’étude du programme PISA de l’OCDE, le niveau de réussite scolaire aurait baissé en 2003 et en 2006, mais aurait augmenté en 2007. Selon l’étude TIMSS de l’éducation en mathématique et sciences, le niveau aurait été à la baisse en 2003 mais aurait cessé de baisser en 2007.

Mais si on revient globalement sur ce débat de société, il partit au moins d’une donnée concrète ce qui constitue une particularité. Le schéma habituel des débats clivés droite-gauche avait volé en éclat, révélant la réalité jusque là cachée par les postures idéologiques et permettant l’émergence d’un vrai débat de société. Les autres questions qui se posaient à la société japonaise, les avantages et les inconvénients du néo-libéralisme prôné à l’époque par le gouvernement de M. Koizumi Junichirô, la stratification sociale, la compétition internationale dans le contexte de la mondialisation, etc. furent par ailleurs largement débattues. Mais aucun autre sujet ne fit l’objet d’un débat de société d’une telle ampleur parmi l’ensemble des citoyens japonais depuis la fin de la guerre. Ce ne fut pas un simple débat sur l’éducation, ce fut une remise en question de la société en tant que telle, un débat de société qui marqua le début d’une nouvelle ère pour le Japon.

Cependant, nous devons nous demander pourquoi un débat de société majeur comme celui-ci s’était focalisé particulièrement sur les thèmes de « éducation sans pression » et de la « réussite scolaire ». Pour réfléchir à cette question, il nous faut revenir à l’histoire de la reconstruction et de la croissance économique après la défaite de 1945.

Enfer des examens et forte croissance économique

Alors que le Japon avait tout perdu en 1945, dès son incorporation dans le camp des États-Unis la renaissance fut rapide. Dès 1955 et tout au long de la vingtaine d’années qui suivit, le pays connut une croissance continue d’environ 10% d’une année sur l’autre. C’est ce que l’on appelle le miracle économique japonais. Malgré les chocs pétroliers de 1973 et 1979, la croissance annuelle se maintint ensuite à un rythme d’environ 5% jusqu’à ce que commence la période de la bulle spéculative à la fin des années 1980. Le Japon devint ainsi le second pays en terme de PIB après les États-Unis, et réussit à donner la « prospérité » au pays.

Cela fut possible grâce au niveau d’éducation élevé de la population japonaise dès la restauration de Meiji. La population entière savait « lire, écrire, calculer au boulier ». Cet enseignement de base joua un rôle prépondérant et permit au pays de rattraper les États-Unis et l’Europe occidentale en termes d’industrialisation et de croissance économique. Après la défaite, l’enseignement s’enrichit de nouveaux contenus pour répondre à l’évolution des temps, et soutint le développement économique. Tout cela fut permis par une éducation basée sur « l’acquisition des connaissances » rationnelle et performante.

D’un autre côté, les conditions du système éducatif évoluaient en raison même du développement économique. Le taux de progression d’une classe d’âge jusqu’au lycée, puis jusqu’aux études universitaires grimpa fortement. 98% des jeunes terminent une éducation secondaire ; La moitié achèvent des études universitaires, et cette proportion monte à 80% si on inclus les instituts spécialisés d’études supérieures à cycle court. Si vous sortez d’une bonne université, vous incorporerez une bonne entreprise qui vous garantira une vie heureuse et paisible. À la base de ce système se trouvait celui  de « l’emploi à vie » et de la promotion à l’ancienneté. Le Japon « société élitiste basée sur la compétition scolaire » c’était cela.

C’est dans ce contexte que la préparation aux concours d’entrée aux universités devint un passage de plus en plus chaud, au point de devenir le point central autour duquel s’organisait toute stratégie éducative. L’enseignement secondaire au lycée se transforma peu à peu en préparation aux concours des universités, et de nombreux enfants se mirent à rentrer tard pour cause de juku ou de boîte à bachot après les cours. C’est le funeste « enfer des concours », ou « guerre des concours ». Le même phénomène se répercuta à l’échelon inférieur pour les concours d’entrée dans les lycées : les lycéens qui visaient une université se trouvant en grande proportion concentrés dans les lycées qui possédaient les meilleures statistiques de réussite au concours de ladite université, cela étendit le domaine de la « guerre des concours ». À partir de la fin des années 1960 et pendant toutes les années 1970, afin de relâcher la compétition au moment de l’orientation dans les lycées, un système fut mis en place en région métropolitaine et dans les grandes villes, pour équilibrer le nombre des meilleurs élèves dans les lycées publics. En fait, cela développa surtout l’inquiétude des parents de familles aisées vis-à-vis des établissements publics, et fit la promotion des établissements privés qui couplaient collège et lycée. La conséquence fut bien évidemment une extension de la guerre des concours au niveau de l’entrée au collège.

Les « laissés pour compte » et l’école dévastée

Parallèlement à la surchauffe de la guerre des concours apparut le problème des élèves « laissés pour compte ». L’expression « 7-5-3 » fit son apparition dans le jargon scolaire, au sens de : 70% des élèves du primaire comprennent les leçons ; ils sont 50% au collège et 30% au lycée. D’autres problèmes émergèrent, tels que violence scolaire, intimidation, absentéisme. Ce qu’on a appelé la faillite du système scolaire.

Compétition scolaire et enfer des concours furent montrés du doigt comme étant la cause de tous ces problèmes. On accusa l’enseignement par « acquisition de connaissances » de n’être qu’un bourrage de crâne. Trouver une solution à ces problèmes fut au cœur des réflexions sur l’éducation des années 70 et 80 et des réformes de l’enseignement. C’est dans ce contexte qu’apparurent les mesures se prévalant d’une « éducation sans pression ». La diminution des programmes et une sélection plus minutieuse des contenus visaient à diminuer la pression sur les élèves, avec l’objectif de diminuer le nombre des laissés pour compte et de résoudre la faillite de l’école. Le système des examens d’entrée fut également amendé, des programmes plus souples furent introduits, laissant plus de place au choix personnel des matières dans des lycées plus diversifiés.

Toutefois, un autre aspect se trouvait au cœur des réformes de l'éducation des années 1980 : le besoin d’adapter l’éducation aux temps à venir. La question était d’établir qu’elles étaient les connaissances requises et nécessaires pour  répondre aux besoins de la société de l’information qui se profilait pour le XXIe siècle. Il apparaissait en effet évident que ce que nous permettait d’acquérir une éducation « bourrage de crâne » « uniformisatrice » n’était pas adapté à l’évolution du monde. Ce dont nous avions besoin pour l’avenir, c’était d’une éducation de type « résolution de problème » et « apprentissage par l’expérience », qui seule pouvait développer « l’aptitude à vivre », c’est à dire une capacité d’apprendre par soi-même et de penser par soi-même. Autrement dit une « nouvelle vision éducative ». Cette question avait été débattue dans les années 1980 dans le cadre de la commission d’enquête extraordinaire sur l’éducation créée par M. Nakasone Yasuhiro, alors Premier Ministre. C’est tout cela que recouvrait la réforme dite « d’éducation sans pression ».

Éducation dite « par acquisition de connaissance » Éducation dite « sans pression »
Accent excessif mis sur les connaissances   Accent mis sur la capacité à vivre (apprendre par soi-même, penser par soi-même)
Accent sur ​​les fondamentaux et les bases, l'apprentissage systématique Apprentissage et enseignement par l’expérience
Bourrage de crâne uniforme Enseignement par résolution de problèmes, individualité, diversité, choix
Société de l’élitisme par l’enfer des concours Apprendre avec un objectif concret 
Égalité, opportunité égalitaire d’éducation  Effondrement de l’égalité et de l’opportunité d’éducation, élargissement des distinctions sociales 
Respect des règles, centralisme, uniformité au niveau de la nation Déréglementation, décentralisation, élargissement des disparités locales 
Réunir la pluralité d’avant-guerre sous une seule ligne Retour éventuel à une certaine forme de pluralité
Compatibilité avec une société industrielle, soutien à une haute croissance économique Compatibilité avec la société de l'information dans une société mondialisée

Toutefois, le lien entre cette « nouvelle vision éducative » et la lutte contre la faillite scolaire n’avait pas été clairement explicité. Ni même ce qu’étaient ces « nouvelles aptitudes scolaires » par rapport aux anciennes. En fin de compte, des mots comme « mettre l’accent sur l’individualité », « la capacité de choix », « diversité », « aptitude à vivre » étaient apparus comme de la poudre aux yeux. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Quelle éducation cela impliquait-il, concrètement ? Rien de tout cela n’était clair, et dans les écoles, l’incompréhension régnait. Ce n’est qu’à la fin des années 90, quand la baisse du niveau scolaire apparut concrètement, que toutes ce questions cachées derrière le vocable « d’éducation sans pression » furent enfin abordées de façon directe, par le débat de société dont nous avons parlé.

L’angoisse des parents devant des enfants qui n’étudient plus

Tout cela parce que, dans les années 1990, une détérioration d’importance s’était produite. Pour dire les choses simplement, les enfants n’étudiaient plus. Ils n’avaient aucune vision de leur avenir. Leur intérêt à progresser, à faire plus d’études, était très faible. Neets et Freeters devinrent de plus en plus nombreux. L’esprit de « classe » (scolaire) s’effondrait. Dans certaines classes, les élèves s’adonnaient à toutes sortes d’activités pendant les cours, n’obéissaient plus à leurs professeurs qui ne pouvaient plus faire classe.

Si les enfants n’étudiaient plus, c’est que « la société de compétition scolaire » ne fonctionnait plus. Après une longue période de crise économique, le système du contrat de travail à vie et de la promotion à l’ancienneté était en ruine. La société ne garantissait plus à personne une vie heureuse et paisible, même à ceux qui sortiraient d’une bonne université. Alors même que, dans le même temps, faisant face à la baisse de la natalité, les universités étaient maintenant prêtes à inscrire tous ceux qui se présenteraient.

Ainsi apparurent les mérites de l’époque de l’enfer des concours et la compétition scolaire, qui étaient restés invisibles jusqu’alors. Acquérir un haut niveau d’études, sortir d’une meilleure université, étaient des objectifs qui avaient encouragé tout le monde à étudier. Et globalement, c’est cela qui avait permis d’atteindre l’un des meilleurs niveaux de connaissances du monde et de rattraper les nations occidentales, de devenir la seconde puissance économique mondiale en termes de PIB, et de jouir d’une prospérité comparable à celle des États-Unis et de l’Europe de l’Ouest.

Non, pas seulement de jouir de la prospérité. L’important, c’est d’avoir réussi à bâtir une « société de classe moyenne ».

Tout le monde avait reçu sa part du gâteau de la prospérité, au rythme de l’accroissement du PIB. Toutes les catégories de la population avaient vu le niveau d’études de leurs enfants progresser grâce à l’accroissement du pourcentage de réussite scolaire et du pourcentage de poursuite d’études supérieures après le lycée. Grâce à cela, la prospérité avait réussi à profiter à tout le monde sans fracture ni augmenter les disparités sociales. La majorité des citoyens se considérait comme appartenant à la « classe moyenne », et la conscience d’une relative égalité prouvait la réalité d’une « société de classe moyenne généralisée ». C’est parce que la conscience d’une égalité était réelle que les citoyens avaient le sentiment de faire « corps », et pouvaient œuvrer « tous ensemble ». À cette époque, l’expression « devenir comme tout le monde » fonctionnait comme un slogan dans lequel tous se reconnaissaient. Car devenir comme tout le monde, cela valait le coup.

Mais tout cela a disparu. Croissance réduite, richesse distribuable réduite, entraînant une compétition féroce pour en avoir sa part. La structure de la société à classe moyenne unique s’est effondrée, les disparités sociales s’élargissent à tous les niveaux. Dans ce contexte, les enfants perdent toute vision d’avenir et ne voient plus l’intérêt de travailler dur pour leurs études. Effondrement de l’esprit de « classe (scolaire) », absentéisme scolaire, multiplication des Neets et Freeters. Avec pour corollaire l’émergence d’une société où la frustration s’exprime vers l’intérieur, sans aucun exutoire extérieur ni expression de colère contre la société. L’apathie des jeunes n’est que le reflet de leurs aînés, d’une société adulte déprimée et névrosée.

L’anxiété des adultes reflète également l’anxiété de la baisse du niveau de connaissance de leurs enfants. Cela a parfois donné un ton hystérique ou pessimiste aux controverses. Mais c’est aussi parce que cette anxiété est répandue dans toute la société qu’un débat sur le système éducatif possède en soi une puissance suffisante pour concerner l’ensemble des citoyens.

Dans ces moments, il n’est pas étonnant de voir fleurir l’opinion selon laquelle « il n’y a qu’à revenir à l’époque d’avant ». La nostalgie du passé révolu se répand. Phénomène classique dans les périodes de transition.

Néanmoins, le retour en arrière est impossible. Car la motivation à faire de bonnes études ou à réussir son entrée dans une université trouvait sa force dans la « pauvreté » de cette époque. Cette pauvreté nous a poussé à acquérir un niveau d’éducation « minimum » et les aptitudes de base nécessaires pour s’accrocher aux États-Unis et à l’Europe de l’Ouest dans le processus de l’industrialisation. Mais maintenant que cet objectif est atteint, ce qui est requis, ce sont des aptitudes et une façon de vivre non pas minimum, mais supérieures.

Nous nous sommes rendu compte aujourd’hui des aspects positifs de l’enfer des concours et de la compétition scolaire. Mais c’est parce que c’est du passé. L’époque qui soutenait ce système est définitivement révolu, nous ne pouvons pas revenir en arrière.

Deux décennies perdues, et les adultes de faible niveau

Nous pouvons enfin débattre de la question de la baisse du niveau scolaire, et réfléchir aux questions des « connaissances scolaires » et de l’éducation « sans pression » qui en découlent.

Le vrai problème aujourd’hui n’est pas la baisse du niveau scolaire de nos enfants, mais l’évolution dramatique de ces enfants. Et la cause de ses changements ne se situe pas dans une politique d’éducation « sans pression », mais dans les changements à un niveau bien plus important de la place du Japon dans le monde qui l’entoure. Bien au contraire, puisque la doctrine de « l’éducation sans pression » avait justement été élaborée pour prendre en compte ces changements. À tout le moins la direction de cette politique n’était pas fausse. Mais elle n’a pas fonctionné correctement. Les problèmes de « l’éducation sans pression » se situent là, pas ailleurs.

En premier lieu, les politiques ont échoué à clarifier le rapport existant entre le niveau éducatif requis à l’époque où le Japon devait rattraper le peloton des nations avancées, et celui requis maintenant que cet objectif est atteint : à savoir, que le second implique le premier.

En second lieu, la réforme a échoué à expliquer que le niveau scolaire constituait une compétence, et que les compétences requises aujourd’hui devaient être bien supérieures au faible niveau précédent. Par conséquent un apprentissage astreignant et sévère est nécessaire pour atteindre ce nouveau niveau. En outre, la réforme avait échoué à prendre la mesure de ce qui était en jeu : non pas seulement un degré supérieur de compétences, mais un changement dans les mentalités et les modes de vie.

En troisième lieu, le problème est que les enseignants et les adultes capables d’enseigner ces nouvelles mentalités et ces nouveaux modes de vie sont extrêmement peu nombreux. De fait, la réforme ne pouvait pas imaginer cette réalité.

Autrement dit, ce n’est pas la baisse du niveau des enfants qui posait problème, c’est notre manque de compétence à nous autres, adultes, le bas niveau de notre « mode de vie ».

Le problème de la société japonaise aujourd’hui, c’est qu’elle a perdu son objectif en ayant atteint le précédent, celui de la prospérité. Nous n’avons plus d’image en nous de la société à laquelle nous aspirons. La capacité qui nous est demandée maintenant, c’est celle de nous fixer un nouvel objectif, de nous azimuter dessus et de progresser dans cette direction. Trouver la force de nous donner de nouvelles valeurs, des nouveaux objectifs sociaux, des principes organisationnels et des axes de vie individuelle. Mais autant l’admettre dès maintenant, il s’agit d’axes de vie que nous autres, adultes, n’aurons pas la capacité de suivre.

Dix ans se sont écoulés depuis le grand débat de société sur la « baisse du niveau scolaire ». Depuis, notre société actuelle n’a toujours aucune image de son futur en vue, ni ne parvient à se fixer un objectif. Les dix dernières années du XXe siècle et les dix premières du XXIe constituent de ce point de vue deux décennies perdues. Le séisme du 11 mars 2011 et l’accident nucléaire qui ont provoqué des dégâts catastrophiques sont venus comme pour secouer le Japon à la dérive. À nous, les adultes, de montrer si nous sommes capables de renaître.

(D'après un original en japonais)

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