La question des manuels d’histoire japonais

Le système des manuels scolaires d’histoire au Japon

Politique Société

En ce qui concerne le traitement des manuels scolaires, l’inspection pour autorisation des manuels d’histoire au Japon soulève de nombreuses critiques aussi bien dans le pays qu’à l’étranger. Comment les manuels d’histoire utilisés dans l’éducation publique sont-ils réalisés et inspectés ? M. Mitani Horishi, professeur à l’Université de Tokyo, lui-même auteur de manuels d’histoire actuellement utilisés dans les collèges et les lycées, nous explique ce processus.

L’enseignement de l’histoire dans le primaire et le secondaire

Le système actuel de l’éducation publique au Japon comprend six ans d’enseignement dans les écoles primaires, trois ans dans les collèges et trois ans dans les lycées, l’enseignement primaire et celui du collège étant obligatoires. L’enseignement de l’histoire à l’école commence la sixième année, c’est-à-dire durant la dernière année à l’école primaire. Elle est par la suite enseignée au collège dans le domaine de l’histoire qui forme, avec celui de la géographie et de l’éducation civique, une matière nommée « sciences sociales ». Tous ces domaines sont obligatoires. À l’école primaire, l’enseignement porte sur les grands noms de l’histoire du Japon et au collège on enseigne principalement l’histoire du Japon tout en la replaçant néanmoins dans le contexte de l’histoire mondiale. Par rapport à cela, au lycée (qui ne fait pas partie de l’enseignement obligatoire mais qui compte une scolarisation à 97 %) l’histoire est divisée en deux matières « Histoire mondiale » et « Histoire du Japon » et alors que l’histoire mondiale est obligatoire, l’histoire du Japon n’est qu’une des matières facultatives. Dans le primaire, c’est donc l’histoire nationale qui est privilégiée, alors que c’est l’histoire mondiale qui est favorisée au lycée.

Cadre du système des manuels scolaires

Le système des manuels scolaires utilisés dans l’éducation publique au Japon se caractérise premièrement par le fait que l’utilisation des manuels scolaires est obligatoire durant les cours à l’école primaire, au collège et au lycée. Les enseignants peuvent utiliser en complément des matériels qu’ils ont réalisés eux-mêmes ou achetés sur le marché, mais les cours en classe doivent en principe avoir lieu conformément à l’ordre et au contenu du manuel. Par rapport aux manuels scolaires des autres pays d’Asie de l’Est, on considère généralement que les manuels d’histoire japonais ne sont pas des véhicules actifs de propagande idéologique ou politique. Toutefois, par rapport au cadre de leur composition, ils sont très fortement influencés par les stipulations des « Directives d’enseignement » données par le ministère de l’Éducation, de la culture, des sports, de la science et de la technologie (ci-dessous abrégé en ministère de l’Éducation). Et, par le biais de l’éducation publique, la séparation en deux de l’histoire du Japon et de l’histoire mondiale en tant qu’histoire des pays étrangers, ainsi que le cadre de pensée centré sur la cohérence de l’histoire japonaise de l’antiquité à nos jours, influencent considérablement la façon de penser des adultes japonais.

La deuxième caractéristique, c’est que les manuels scolaires sont élaborés par plusieurs maisons d’édition privées, que le ministère de l’Éducation procède à une inspection de sélection parmi elles, et que les manuels ayant passé avec succès cette inspection obtiennent qualification pour être utilisés dans les écoles. A la différence de ce qui avait lieu dans le Japon d’avant-guerre et dans les pays voisins jusqu’à récemment, il ne s’agit pas d’un système de manuels scolaires agréés par le gouvernement mais d’un système d’inspection de ces manuels pour autorisation. Durant ce processus, des conflits naissent inévitablement entre le souci d’uniformisation avec les Directives d’enseignement et les inspections professé par le ministère de l’Éducation, et l’originalité et la diversité recherchées par les maisons d’édition et les auteurs.

La troisième caractéristique, c’est que la sélection (l’adoption) des manuels scolaires qui seront utilisés en réalité n’est pas prise par le ministère de l’Éducation mais de manière pluraliste. Dans les écoles primaires et collèges privés et tous les lycées ce sont les établissements eux-mêmes qui décident de leurs manuels, alors que pour les écoles primaires et les collèges départementaux et municipaux, c’est le Comité éducatif des collectivités locales qui en est responsable. En fait, pour ces écoles et collèges publics, l’ensemble du territoire national est divisé en 582 zones d’adoption (actuellement en 2011) — en prenant pour critère la population de la région —, et chacune de ces zones sélectionne le manuel qui lui convient.

Par rapport aux autres pays du monde, le système des manuels scolaires au Japon se caractérise également par la place extrêmement importante qui est accordée à ces manuels dans l’enseignement et par le fait que si, d’une part, plusieurs entreprises privées réalisent ces manuels, durant leur processus de sélection c’est le pouvoir central qui se charge des examens de qualification et les autorités régionales qui sont responsables de leur adoption.

Il existe donc trois étapes avant que les manuels scolaires ne soient utilisés dans les classes au Japon, leur réalisation par des entreprises privées, leur inspection par le ministère de l’Éducation et leur adoption par les écoles et les collectivités locales. Nous expliquerons ici chacune de ces étapes dans l’ordre.

Réalisation des manuels scolaires par les maisons d’édition privées

Les manuels scolaires au Japon sont réalisés et mis en vente par des maisons d’édition privées, conformément aux critères des Directives d’enseignement établies par le ministère de l’Éducation. Chacune des maisons d’édition envisage une révision du manuel approximativement tous les cinq ans et engage les préparatifs pour la rédaction du manuel suivant. Le comité de rédaction qui se réunit à cet effet se compose, pour un manuel, de 2 ou 3 employés de la maison d’édition, de chercheurs en histoire à l’université et de professeurs ayant enseigné ou enseignant actuellement l’histoire dans les collèges et lycées.

Le contenu de ces manuels est rédigé conformément aux Directives d’enseignement mais ces directives ne donnant elles-mêmes que des orientations très sommaires, il doit être décidé concrètement lors des réunions du comité de rédaction. Après avoir décidé du contenu et des auteurs, des réunions du comité de rédaction sont organisées 10 fois environ et la révision est mise à l’étude, tout en intégrant les changements sociaux ou de perspective qui sont intervenus entretemps. Il est important, en particulier, de savoir où placer les points clés, comment faciliter l’apprentissage et la lecture, de sélectionner des sujets convenant à l’étape du développement mental des élèves et de trouver de procédés ingénieux pour les modes d’expression. Les entreprises chargées des manuels scolaires doivent, deux ans avant le début de l’utilisation de la version révisée du manuel, préparer les textes en un an environ, les imprimer, les relier et les soumettre à l’inspection du ministère de l’Éducation pour approbation.

Inspection du ministère de l’Éducation pour approbation

Les textes ainsi réalisés et présentés sont examinés par le ministère de l’Éducation qui décide de leur admission ou de leur refus. C’est le Conseil de recherche pour l’autorisation des manuels, établi au sein du Ministère, qui est responsable de cet examen et la décision est prise par le ministre de l’Éducation sur la base du rapport qui lui est présenté par le conseil. Dans l’administration au Japon, il est très rare que le ministre renverse une décision du conseil. La conclusion du conseil est donnée aux environs du mois de novembre de l’année de la soumission à l’inspection. Dans la plupart des cas, les livres présentés ne sont pas admis tels quels, la décision reste en suspens et des rectifications sont requises.

Les maisons d’édition peuvent faire objection à ces demandes de correction mais, dans la majorité des cas, elles servent principalement à signaler des idées erronées par rapport à des faits objectifs, des maladresses d’expression, des ambiguïtés de phraséologie ou des difficultés de lecture et il est rare que les maisons d’édition argumentent sur ces points. Le Conseil de recherche examine la version révisée présentée par la maison d’édition qui est avertie de la décision finale au nom du ministre.

Les critères de décision pour les manuels de sciences sociales sont principalement (1) de ne pas porter de jugement catégorique sur des phénomènes d’actualité qui n’ont pas été confirmés, (2) de prendre dûment en considération le point de vue de la compréhension et de la coopération internationale pour traiter des événements de l’histoire contemporaine récente en relation avec les pays voisins de l’Asie et (3) de choisir comme référence, le cas échéant, des textes d’auteur ou des documents historiques dont la réputation est établie ou extrêmement fiables et de les utiliser à bon escient.

Ces critères d’inspection demandent globalement que la rédaction des manuels soit effectuée objectivement et de manière équilibrée dans la mesure du possible. S’il faut admettre que la prudence de ce système rend les manuels scolaires japonais insipides à la lecture, une attention soutenue est toutefois apportée du point de vue de l’impartialité de la procédure.

Dans le cas des manuels d’histoire pour les écoles primaires, huit ouvrages ont été soumis durant l’année 2010 et sept ont été admis. Lorsque la notification d’admission est reçue, la maison d’édition réalise et présente un échantillon de manuel qui est examiné et sélectionné l’année suivante par les zones d’adoption (582 zones) dans chacune des régions du pays.

Adoption par les régions

Nous arrivons ensuite à l’étape de l’adoption. Une fois la barrière franchie, les manuels approuvés peuvent arriver dans les salles de classe des écoles et à portée de la main des élèves. Pour les écoles primaires et les collèges privés (environ 6 % de la totalité des élèves) et nationaux (environ 1 %), et tous les lycées, chaque établisement peut sélectionner parmi les manuels approuvés, mais les écoles primaires et les collèges départementaux et municipaux doivent utiliser les manuels qui ont été sélectionnés par le comité de leur zone d’adoption.

Tout d’abord, un Conseil de sélection des manuels, composé des directeurs des écoles, d’enseignants, de membres du Comité éducatif et de spécialistes, est établi dans chaque département. Sous la direction du conseil de sélection, les enseignants dans chacune des matières procèdent à une étude en tant qu’enquêteurs. Le Conseil de sélection élabore des documents de sélection sur la base de ces rapports d’enquête et il présente un rapport au Comité éducatif. Dans ce système, il faut noter que, par rapport à la procédure d’inspection du ministère de l’Éducation, non seulement les opinions des instituteurs et des professeurs des écoles primaires et collèges et des spécialistes mais également celles des parents d’élèves entre autres, sont souvent prises en considération durant cette procédure de sélection.

L’importance du système des manuels scolaires au Japon

Dans le système des manuels scolaires au Japon, une grande importance est attachée à la transparence de la procédure à l’étape de l’inspection par le ministère de l’Éducation alors que l’accent est mis sur les opinions des citoyens à l’étape de l’adoption dans les régions. En d’autres termes, la procédure de décision transparente et dispersée qui est appliquée convient parfaitement au régime de démocratie libérale du pays tel que défini dans la Constitution du Japon.

Toutefois, ce système n’est pas né immédiatement après la fin de la Seconde Guerre mondiale durant le processus de démocratisation du pays. A partir de la seconde moitié des années 1960, l’inspection des manuels effectuée par le ministère de l’Éducation nationale de l’époque, a provoqué de violents mouvements de protestation tout d’abord parmi les auteurs de textes scolaires, dont Ienaga Saburô, et les employés de maisons d’édition puis par les enseignants des colléges et des lycées. Pour eux, l’inspection du ministère de l’Éducation nationale correspondait à une censure interdite par la Constitution et trois procès ont été intentés. S’ils ont été déboutés pratiquement par tous les tribunaux au départ, ils obtiennent véritablement gain de cause dans les années 1990. Le tribunal a reconnu à ce moment-là que l’inspection par le ministère de l’Éducation était conforme à la Constitution mais que les demandes de révision individuelles du Ministère étaient arbitraires et illégales. Depuis, le ministère de l’Éducation s’est conformé à cette décision et a maîtrisé ses demandes de révision lors de l’inspection.

Deux changements sont intervenus pour expliquer ce contexte. Le premier, c’est que la société japonaise était alors parvenue à un stade où la démocratie libérale était devenue pour elle une valeur évidente. Ce sont des personnes ayant reçu l’éducation démocratique d’après-guerre qui sont devenues cadres du ministère de l’Éducation et un changement de génération s’est également opéré parmi les juges. L’autre changement, ce sont les critiques qui ont commencé à être formulées par les pays voisins sur le contenu des manuels d’histoire japonais à partir des années 1980. À l’époque, les gouvernements cherchaient à faire du Japon une grande puissance politique après l’étape de la grande puissance économique et ils ont par conséquent attaché une attention particulière à la collaboration avec les pays voisins. Les critères d’inspection des manuels scolaires ont donc été révisés afin de répondre à ces critiques et une clause parlant de « la prise en considération des pays voisins » y a été intégrée.

La plus grande transparence du système d’inspection des manuels scolaires et la suppression des interventions arbitraires ont eu en définitive pour résultat de maîtriser les réclamations faites par les pays voisins.

La Corée du Sud et la Chine croyaient au départ qu’à l’instar de leur propre pays où un système de manuels scolaires agréés par le gouvernement est appliqué, le gouvernement japonais avait droit de regard sur le contenu des manuels scolaires. La Corée du Sud et la Chine ont donc fait pression sur le Ministère des Affaires étrangères du Japon pour ce qui est de l’interprétation de l’histoire. Mais ceci s’est avéré en fait être une décision dangereuse. Car autoriser le gouvernement du pays à faire des interventions majeures dans le contenu des manuels scolaires reviendrait en réalité à augmenter les dangers qu’une certaine partie des hommes ou des regroupements politiques au Japon ne modifie les manuels scolaires d’histoire dans une optique nationaliste.

L’existence de ce « piège » a été véritablement mise à jour par le mouvement mené par « l’Association pour la création de nouveaux manuels d’histoire » apparu dans la seconde moitié des années 1990 ou les violents conflits sur les manuels qui ont eu lieu en 2001.

Toutefois, cette nouvelle méthode d’application libérale pour les manuels scolaires formée jusqu’aux années 1990 a été capable de passer sous la barrière de ces violents mouvements politiques et a donc fait preuve de sa solidité. A l’heure actuelle, au Japon, il n’y a pratiquement aucune possibilité pour que des mouvements en vue d’une modification drastique de ce système ou de ces usages parviennent à acquérir une force suffisante à cet effet.

Mais le secteur de l’enseignement émet aujourd’hui des regrets pour ce qui est des manuels d’histoire eux-mêmes. La séparation entre histoire du Japon et histoire mondiale est-elle vraiment appropriée aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation ? L’enseignement de l’histoire doit-il se borner à être la mémorisation de connaissances sans intérêt ? Viendra bientôt la période de révision des Directives d’enseignement qui a lieu une fois tous les dix ans et il est à espérer qu’à ce moment-là les débats actuels soient dûment pris en compte.

(D'après un original en japonais)

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