Les nombreuses facettes des relations entre le Japon et la Chine

Une entreprise qui réussit dans le secteur de la distribution chinoise

Politique

Ito-Yokado, très importante société de distribution au Japon, obtient des résultats positifs en Chine depuis 1997, insistant sur un business model « ancré dans le régional ». M. Saegusa Tomihiro qui tient le commandement de l’activité du groupe en Chine raconte les difficultés expérimentées par les entreprises japonaises à l’étranger et les perspectives dans un marché chinois qui se développe à grande vitesse.

Saegusa Tomihiro SAEGUSA Tomihiro

Directeur général de Ito-Yokado, représentant général en Chine. Né en 1949 dans la préfecture de Kanagawa. Diplômé de l’Université Meiji, il entre dans la société Ito-Yokado en 1976. En 1996, il est l’un des membres du premier projet d’expansion de l’entreprise en Chine. En 1997, il est envoyé par la maison mère à Chengdu pour gérer le premier magasin en Chine. En 2011, il est nommé au conseil des directeurs et directeur du bureau en Chine. Puis, en mars 2012, représentant général en Chine. En 2008, il était le seul étranger sur 30 personnes récompensées par le gouvernement chinois pour leur aide à la réforme et à l’ouverture du secteur de la distribution. En octobre 2012, il est devenu le premier Japonais nommé membre du conseil d’administration de la Fédération des chaînes de distribution chinoises.

« Pour développer une activité de commerce de détail en Chine, il faut avoir une volonté forte et de la suite dans les idées. En effet il faut persévérer 20 voire 30 ans avant d’obtenir le soutien des locaux. Sans cela, jamais votre entreprise ne parviendra à implanter ses racines suffisamment profond pour perdurer. »

Ces paroles sont de M. Saegusa Tomihiro (64 ans), représentant général en Chine de Ito-Yokado, le géant japonais du commerce de détail. Depuis que le groupe a reçu l’autorisation du gouvernement chinois d’implanter des magasins à travers la Chine, en avril 1996, devenant ainsi le premier groupe étranger de commerce de détail autorisé à se développer dans ce pays, les magasins du groupe se sont multipliés dans la région de Chengdu dans le Sichuan et autour de Pékin. Ce sont 8 magasins dans la région de Pékin, et 6 autres dans la région de Chengdu y compris le magasin de Wenjiang ouvert dernièrement en janvier 2014 qui sont gérés par le groupe Ito-Yokado. M. Saegusa se consacre à l’activité du groupe dans ce pays depuis 18 ans.

À l’époque, en novembre 1997, le premier magasin Ito-Yokado en Chine a ouvert à Chunxi, un quartier de Chengdu. Cette ouverture avait été rendue possible grâce à l’enthousiasme du maire de Chengdu de l’époque. Six mois plus tard, le premier magasin à Pékin ouvrait dans le quartier de Shilipu. M. Saegusa, qui a déjà participé sur place à l’implantation du premier magasin, fut rapidement confié au projet de développement commercial à Chengdu. Depuis lors, son concept d’entreprise enraciné dans le tissu local a connu de grands succès, en particulier à Chengdu : en 2012, les 5 magasins de la région de Chengdu ont réalisé un chiffre d’affaires annuel total de 53,5 milliards de yens.

Reconnu par les autorités chinoises

Quand il s’agit de se déployer en Chine, il faut d’abord voir qu’une méthode fondamentalement différente est requise pour les industries de service et de vente au détail, par rapport au secteur des industries de fabrication, qui sont pour leur part confrontées au coût de production. Pour M. Saegusa : « L’attitude à adopter est de se fixer là où on a décidé de s’implanter et ne pas se laisser tourner la tête par des éléments comme les coûts de personnel, le montant des actions ou le prix du loyer ». Bien sûr, les premières années ont été émaillées de tâtonnements. En 18 ans, les épreuves ont été nombreuses : épidémies, catastrophes naturelles, etc… et même les manifestations anti-japonaises.

L’alerte au SRAS, la pneumonie atypique qui a explosé en Chine en 2003, particulièrement dans la région de Pékin, a été surmontée grâce à un contrôle sanitaire strict et une réponse immédiate. En mai 2008, le tremblement de terre de magnitude 7,9 dans le Sichuan a secoué Chengdu. À cette époque, M. Saegusa était le président des trois magasins de Chengdu.

« Chengdu faisait partie d’une région qui n’avait connu que peu de tremblements de terre jusque-là, aussi le système n'était pas bien préparé à la gestion de crise grave. Là, j’ai pu profiter de mon expérience au Japon. J’ai d’abord fait évacuer les clients en toute sécurité, et j’ai ordonné aux employés : “Faites l’inventaire des dégâts, on ouvre demain”. »

Chaque printemps, M. Saegusa prend le temps de dialoguer avec le staff chinois de Chengdu en admirant les fleurs de cerisier. (Photo : Seven & I Holdings)

Après s’être assuré qu’il était en mesure de garantir la sécurité aux clients, M. Saegusa a pris la décision d’ouvrir tous ses magasins dès le lendemain. En même temps, il a demandé aux employés de la division marchandises de libérer les stocks d’eau, de riz et de nouilles instantanées (râmen) pour les distribuer en camion. Une action qui s’impose quand on a la conviction qu’une entreprise de distribution de biens a une responsabilité sociale toute particulière quand la région se trouve en état d’urgence. 

« Grâce à ces efforts consentis au moment d’une catastrophe majeure comme un tremblement de terre, une entreprise japonaise comme Ito-Yokado a gagné la confiance de la communauté locale. Quelques jours après la réouverture, qui a eu lieu dès le lendemain de tremblement de terre, les dirigeants du Parti communiste et les autorités de Chengdu sont visités le magasin et nous ont exprimé leur gratitude pour notre action rapide après le tremblement de terre. Et alors que la plupart des autres magasins de détail étaient dans l’impossibilité d’opérer, les clients sont tous venus chez nous, et là, tous nos employés se sont mobilisés pour répondre à leurs besoins. »

En décembre de la même année, M. Saegusa fut le seul étranger figurant parmi 30 personnalités récompensées par le gouvernement chinois pour leur contribution à la réforme et à l’ouverture du secteur de la distribution en Chine.

« C’est très facile à expliquer. D’abord parce que j’ai géré cette société pendant plus de 10 ans sans bouger de la région, nous avons scrupuleusement payé nos impôts, et nous avons contribué au développement de la communauté. C’est la moindre des choses, pourrait-on dire, mais ces choses étaient difficiles à accomplir à cette époque en Chine. »

Les actions anti-japonaises en Chine… « comme prévu »

Bien qu’il ait développé l’entreprise « en contact étroit avec la communauté », et su gagner la confiance des gens du lieu, M. Saegusa se trouve en première ligne dès que se dressent des manifestations anti-japonaises. Comme il raconte : « J'ai connu plusieurs mouvements anti-japonais, mais de cela aussi nous avons appris des choses très importantes.

En Chine, politique et économie vont de pair. Il n’est pas possible de se cantonner à l’action économique quand les problèmes politiques apparaissent en surface. Si le gouvernement central agite les drapeaux, le gouvernement local suit, il n’a pas le choix. Et on me dit de prendre mon mal en patience, en encaissant les attaques mêmes les plus directes.

Toute entreprise japonaise qui veut faire des affaires en Chine doit s’attendre à subir les effets des mouvements anti-japonais, c’est essentiel. Le gouvernement central fait souffler le vent ou tomber la pluie, cela fait partie des choses à prévoir. Si on ne se sent pas prêt à supporter, inutile d’espérer pouvoir pérenniser une activité en Chine. Et pour cela, réduire les risques au minimum, ne pas susciter les remous parmi les employés est essentiel. »

En 2012, pendant les manifestations anti-japonaises qui se sont soulevées lors de la nationalisation des îles Senkaku au Japon, M. Saegusa a réuni tous les employés et l’encadrement de chacun de ses magasins et s’est adressé à eux de façon très claire : « Certes, Ito-Yokado est un investissement japonais, mais nous ne prélevons pas les bénéfices pour les ramener au Japon. Les produits sont achetés sur le marché local. L’argent gagné contribue à l’enrichissement de nos employés et de la région. Les opportunités de travailler se multiplient. Se laisser enchaîner par les questions politiques ne permet pas d’ouvrir l’avenir. Nous faisons de notre mieux dans la mesure de nos moyens, en tant qu’entreprise privée. »

Les employés chinois sont sensibles au fait que le leader japonais fasse preuve de fermeté en toutes circonstances, et répondent en protégeant le magasin. Au plus fort des campagnes anti-japonaises, certains employés étaient violemment insultés par les clients, mais peu de personnel a quitté les magasins du fait de cette agitation anti-japonaise.

Mettre l’accent sur la formation

Actuellement, plus de 25 000 personnes sont employées en Chine par l’ensemble du groupe à Chengdu et Pékin, qu’ils soient sous contrat avec la société Ito-Yokado en Chine ou avec chacun des magasins. Dans les premiers temps, tout a été mis en œuvre pour la formation des employés, à commencer par la politesse à la japonaise, s’incliner devant le client, etc.

Cérémonie d'ouverture de la fête sportive Ito-Yokado à Chengdu. C'est un grand événement qui implique 20 000 personnes. (Photo : Seven & I Holdings)

Il a fallu du temps pour inculquer le concept « d’hospitalité » (omotenashi) que l’on doit au client, mais nous avons formé notre personnel selon ces principes. Afin d’accroître le sentiment d’unité des employés, à Chengdu Ito-Yokado organise en outre la fête du sport, à laquelle participent tous les employés et les vendeurs depuis 2011. « C’est en créant diverses occasions comme celle-ci que nous amenons chacun de nos employés à s’améliorer pour lui-même ».

Les employés chinois formés par Ito-Yokado sont souvent approchés par des sociétés européennes ou américaines, qui savent reconnaître leurs hautes compétences. Et pourtant, le taux de départ d’employés avec ancienneté reste stable depuis plusieurs années : « Parce que les entreprises européennes et américaines n’hésitent pas à licencier dès que les résultats ne sont pas aussi bons que prévus. Or, un employé intelligent sait qu’il n’a aucun intérêt à se laisser hameçonner par une promesse de salaire plus élevé, si c’est pour se retrouver licencié dans un an. Aussi la plupart refuse ce genre de propositions ».

Récemment, le gouvernement chinois a instauré plusieurs nouveaux jours fériés, le 3 septembre comme « jour de commémoration de la victoire de la guerre contre les Japonais », et le 13 décembre comme « jour de condoléances nationales » de l’incident de Nankin. Il est fort possible que ces commémorations créent de nouveaux mouvements de boycott de produits japonais, mais M. Saegusa est confiant : avec l’aide de ses employés chinois, il saura faire face à ces vents contraires.

« La Chine + 1 » et la couverture médiatique « tendancieuse » 

Les manifestations anti-japonaises qui se sont développées parallèlement à la question de la souveraineté des îles Senkaku ont conduit de nombreuses entreprises manufacturières japonaises possédant des unités de production en Chine à développer le concept de « La Chine + 1 ». 

Ce principe consiste à éviter de concentrer tous ses investissements industriels en Chine, où le risque de manifestations anti-japonaises et la hausse des coûts de main-d’œuvre sont une réalité, et de développer parallèlement d’autres bases de production, principalement en Asie du Sud-Est. Les médias japonais véhiculent facilement l’image d’une « Chine, pays de tous les dangers », « s’allier avec la Chine ne peut conduire qu’à s’en mordre les doigts », et insistent facilement sur les aspects négatifs : ralentissement de la croissance chinoise. Pour M. Saegusa, cela revient à semer une atmosphère de crise.

« Le risque n’est pas inhérent à la Chine, il existe dans le monde entier. Certes, la situation chinoise est spécifique, du fait de la combinaison d’une forme économique capitaliste et d’une forme politique de contrôle du Parti communiste.

C'est pourquoi quand j’entends des groupes de distribution qui s’imaginent ouvrir des succursales en Chine et déclarent vouloir couvrir d’un seul coup l’ensemble du territoire, je me dis qu’ils se font des illusions.

Il faut se fixer à une région et obtenir le soutien du tissu social et des autorités. Dans un second temps seulement, penser aux autres régions. Car la forme de la relation que l’on peut espérer bâtir avec les gens de pouvoir sera spécifique à chaque région. Et si vous vous imaginez passer outre cette réalité, il vous sera très difficile de réussir en Chine. »

M. Saegusa cite l’exemple de Suntory dans le secteur de la bière comme un autre bon exemple de développement en Chine : « Après avoir consolidé leur objectif de 50% de part de marché sur Shanghaï, ils commencent à étendre leur activité dans une région différente ».

 Les consommateurs chinois veulent de nouvelles surprises en permanence

Et même si vous commencez à vous sentir installé dans votre communauté, il ne faut pas se satisfaire de votre situation. Le marché chinois mûrit à une vitesse vertigineuse. « Depuis 1996, le PIB a triplé. En 2013, il a été d’environ 1 million de milliards de yens, soit deux fois celui du Japon. Les prévisions donnent 1,5 millions de milliards pour 2020. Le revenu mensuel par ménage était de 2000-3000 yuans en 2008, mais les ménages gagnant plus de 10 000 yuans par mois représentaient déjà plus de 60% de la population de Chengdu en 2013. Le niveau de vie de la population augmente d’année en année à Chengdu et Pékin. »

Toutes les occasions d’organiser un projet et de le réaliser sont bonnes, comme cette « American Fair », à l’occasion de la visite en Chine de Michelle Obama, l’épouse du président des États-Unis. (Photo : Seven & I Holdings)

Dans les zones urbaines, les gens consomment de plus en plus pour se divertir, aller au concert, en voyage, et plus seulement pour les choses de la vie quotidienne.

La recherche d’un enrichissement psychologique et une satisfaction spirituelle plutôt qu’une simple accumulation d’objets est devenue une tendance forte. Fini l’époque où il suffisait que quelque chose soit bon marché pour que les ventes décollent. D’un autre côté, les produits hyper-luxe hyper-chers aussi sont dépassés. Cette évolution influe sur la façon de gérer une chaîne de distribution. Au cours de ces dernières années on a vu se multiplier dans toute la Chine les espaces de ventes sur des surfaces immenses, 50 000 m2, 100 000 m2… mais ils commencent à s’apercevoir que les objectifs ne sont pas atteints, les ventes ne suivent pas.

Ito-Yokado n’est pas épargné par cette nécessité de s’adapter à cette évolution rapide. Ainsi le magasin de Wangjing à Pékin qui avait ouvert en 2006 a fermé en avril 2014. D’un autre côté, le magasin de Wenjiang à Chengdu qui a ouvert en janvier dernier démarre très fort. « Nous avons conçu le magasin non pas comme un endroit pour vendre des produits mais comme un endroit où les consommateurs trouveront du plaisir à venir et à trouver de la nouveauté ». C’est ainsi que le nouveau magasin est équipé d’une salle de jeu et d’une salle de repos pour les enfants.

D'autre part, les points de vente de type supérettes sont en augmentation constante. L’enseigne Seven-Eleven, qui appartient comme Ito-Yokado au groupe Seven & I Holdings a déjà 158 magasins à Pékin, 81 à Chengdu, 52 à Tianjin, 74 à Shanghai, 25 à Qingdao et 4 Chongqing.

Pour produire de la nouveauté et de l'amusement, organiser des événements en phase avec la vie de la communauté est un bon moyen. Lors de la visite de Michelle Obama accompagnée de ses deux filles en Chine en mars 2014, une « American Fair » a rapidement été organisée, avec présentation de produits américains à Pékin et Chengdu. Le public a été conquis. « La réactivité est essentielle pour les projets d’événements. Il faut coller à la mode et à l’intérêt spontané des gens.

Si vous voyez les Chinois à travers le prisme de vos préjugés, “les Chinois sont ceci, les Chinois sont cela”, vous ne pouvez que vous tromper. Pensez globalement, et développez votre entreprise localement ! »

Décider des actions qui possèdent un impact direct sur la vie locale, chercher inlassablement le changement, le défi de Ito-Yokado en Chine se poursuit.

(Propos recueillis en japonais le 21 avril 2014 par Tsuchiya Hideo, membre du Conseil de rédaction de Nippon.com. Photographies de Kodera Kei)

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