Montrons aux Chinois le vrai visage du Japon

Culture

Depuis la sortie en 2011 de Zhiri (Connaître le Japon), chaque numéro de ce mensuel chinois s’est vendu à au moins 50 000 exemplaires. L’homme qui est à l’origine de cette réussite est Mao Danqing, professeur d’université, écrivain célèbre et personnalité des médias en Chine comme au Japon.

Mao Danqing MAO Danqing

Écrivain. Professeur à l’Université internationale de Kobe. Né à Pékin en 1962. Après avoir travaillé à l’Institut de philosophie de l’Académie chinoise des sciences sociales (ACSS), M. Mao est venu au Japon pour continuer ses études à l’Université de Mie. Zhiri (Connaître le Japon), une revue mensuelle d’initiation à la culture japonaise, s’adresse depuis 2011 aux lecteurs chinois.

Le professeur Mao Danqing, qui s’est donné pour mission de « montrer le vrai visage du Japon », est un blogueur populaire en Chine, son pays natal. Sur Weibo, le Twitter chinois, il a plus de 600 000 abonnés. Avec M. Mao, qui est un proche ami de l’écrivain Mo Yan, lauréat du Prix Nobel de Littérature, nous avons parlé de son affection pour le Japon et de sa volonté de présenter la culture de ce pays aux jeunes lecteurs chinois. M. Mao nous raconte sa lutte contre les idées erronées qui circulent en Chine à propos du Japon.

La première revue chinoise dédiée au Japon

MAO DANQING  Notre but et de présenter le vrai Japon à nos lecteurs. Nous avons commencé à Pékin en 2011 — au moment même de la montée des tensions consécutive à la collision entre un bateau de pêche chinois et un garde-côtes japonais à proximité des îles Senkaku. En fait, c’est le climat de méfiance et d’hystérie qui m’a donné l’idée. Je me suis dis que le besoin d’une revue attrayante et factuelle, visant à présenter aux lecteurs chinois un autre côté du Japon, différent de celui auquel les avaient habitués les médias chinois, se faisait sentir. Lorsque j’en ai parlé au jeune chinois qui est aujourd’hui notre rédacteur en chef, l’idée l’a enthousiasmé. C’est comme cela que tout a commencé. Il n’a jamais étudié le japonais, mais c’est un immense fan de Murakami Haruki. Nous avons été boire un verre et nous nous sommes tout de suite entendus. Notre revue est la première revue chinoise consacrée exclusivement au Japon et à la culture japonaise.

——Je crois savoir que les quelque dix numéros que vous avez publiés à ce jour se sont tous vendus à 50 000 exemplaires au minimum, et certains deux fois plus. Ce sont des chiffres impressionnants pour une toute jeune revue consacrée à un sujet aussi pointu.

MAO  Notre rédacteur en chef habite en plein cœur de Pékin. Il se trouve donc en parfaite position pour savoir ce que recherchent les lecteurs chinois. Il a vu de près le déroulement des manifestations anti-japonaises. Mon travail à moi consiste à dénicher des ressources et des informations ici au Japon. Mais notre ambition ne se limite pas à procurer de la distraction aux lecteurs chinois.

Consommer de la culture japonaise

Chaque numéro de la revue est construit autour d’un sujet unique. Parmi ceux que nous avons traités jusqu’ici, on peut mentionner la Restauration de Meiji, les uniformes, les chats, les voies ferrées, les monstres et la mode. À ce jour, c’est le numéro sur les chats qui s’est le mieux vendu, avec un tirage de 100 000 exemplaires. M. Mao nous dit qu’il passe des heures à fouiller dans les rayons des librairies à chaque fois que son rédacteur en chef vient au Japon. Il ajoute qu’ils sont rarement en désaccord sur ce qui mérite de figurer dans les colonnes de la revue. « L’idée est de présenter le Japon tel qu’il est », répète-t-il. « Vous ne sortirez jamais une bonne revue si vous perdez votre temps à ergoter sur chaque détail. »

Le dernier numéro est consacré au zen. L’objectif principal, nous dit M. Mao, est de parler des « valeurs universelles et d’une conscience partagée par tous les hommes », mais il admet qu’il y a aussi un autre message derrière le choix de ce sujet : « Tous les pays ont besoin d’un endroit comme les temples zen, un espace de tranquillité et de réflexion ouvert à tout le monde », dit-il.

——Les sondages suggèrent régulièrement que la méfiance et l’animosité ne font que s’aggraver entre la Chine et le Japon ? Quelle opinion les jeunes Chinois d’aujourd’hui se font-ils de la culture Japonaise ?

MAO  La culture japonaise répond à un appétit de connaissance des Chinois. Je crois que nous assistons à l’avènement d’une nouvelle ère en Chine, dans laquelle il sera vraiment important de consommer de la culture japonaise. Dans les librairies de Pékin et de Shanghai, les romans japonais occupent environ 70 à 80 % des rayons consacrés à la littérature étrangères. Les livres qui viennent du Japon sont de loin les plus populaires. Et pas seulement les romans ; cela vaut aussi pour la mode et les revues féminines. Malgré le litige à propos des îles Senkaku, il est indéniable que les jeunes et les universitaires chinois s’intéressent plus que jamais au Japon.

Nous avons sorti notre premier numéro à peine trois mois après la collision du bateau de pêche. Les gens pensaient que nous étions fous ! Mais nous avons réussi à en faire un succès, grâce à tous ceux qui nous soutiennent. Quand on s’intéresse aux relations sino-japonaises, on doit les aborder sous tous les angles, pas sous un seul.

Le séisme de Kobe vu de l’intérieur

Sorti de l’Université de Pékin en 1985 avec un diplôme en langues de l’Asie de l’Est, M. Mao a occupé pendant deux ans un poste d’élite en tant qu’assistant à l’Institut de philosophie de l’ACSS. Il est venu au Japon en 1987 pour effectuer des études à l’Université de Mie. Il avait alors 25 ans. Très vite, il trouva un emploi comme marchand de poissons. « J’étais plutôt fauché », se souvient-il. « Et je savais bien qu’il fallait que je fasse quelque chose ! » Tournant le dos à son passé dans l’élite, M. Mao a rejoint les rangs des travailleurs ordinaires. Il quitta la poissonnerie pour une société commerciale et, quelques années plus tard, il gagnait très bien sa vie.

M. Mao s’est servi de l’argent dont il disposait pour faire le tour du Japon. Sortir de sa tour d’ivoire s’avéra une expérience enrichissante, l’occasion d’un contact direct, mettant à contribution tous les organes des sens, avec les paysages du Japon. De ces voyages naquit Nippon mushi no me kikô (Voir le Japon avec les yeux d’un insecte), une suite d’essais décrivant sa découverte du « vrai Japon ». Publié en 1998, le livre obtenait un prix dès l’année suivante.

Les écrits de M. Mao vont bien au-delà des confins habituels du monde de la littérature japonaise. Plutôt que de formuler d’en haut des grandes déclarations sur les mœurs et les idiosyncrasies du Japon et de ses habitants, son travail dépeint la vie quotidienne des gens ordinaires. M. Mao présente la culture et la nature japonaise telles qu’il les trouve.

——Vous étiez à Kobe en 1995, lors du séisme de Hanshin Awaji, et vous avez donné des descriptions très émouvantes de ce que vous avez vu.

MAO  La maison où j’habitais a été endommagée par le tremblement de terre. La ville était ravagée par les incendies, mais la circulation était paralysée et les voitures de pompiers restaient bloquées. En plus, il n’y avait pas d’eau. Je me rappelle avoir vu un homme debout à côté d’une maison en feu, qui criait désespérément que sa fille était restée coincée à l’intérieur. Ce sont des scènes qui m’ont marqué pour le restant de mes jours. Même quand les pompiers arrivaient sur les lieux, faute d’eau ils ne pouvaient rien faire. L’homme a fini par ressortir en tenant dans ses bras le corps sans vie de sa fille. Les pompiers étaient alignés devant la maison. L’homme avait regardé mourir sa propre fille. On aurait pu s’attendre à ce qu’il soit furieux.

Mais au lieu de pousser des cris, il s’est profondément incliné et a remercié les pompiers d’avoir tenté de sauver sa fille. « Je vous remercie de la part de ma fille », a-t-il dit, puis il s’est calmement éloigné. L’étonnement était général. Mes yeux se sont remplis de larmes. Voilà le véritable esprit japonais de solidité et d’endurance, me suis-je dit.

Faire passer le message

MAO  Je pense que le sens de la résistance et du défi est définitivement inscrit dans le caractère japonais. Dans certains cas, peut-être même un peu trop. L’envers de la médaille, c’est qu’il arrive que les Japonais aient du mal à s’exprimer clairement ou à défendre leurs propres positions. Lorsqu’il s’agit de la culture japonaise, j’ai en réserve une poignée de mots clefs qui me plaisent et qui reviennent sans cesse. L’« artisanat » en fait partie. Les Japonais aiment à se concentrer complètement sur quelque chose. Leur goût de la perfection exige des critères élevés. Il y a aussi le mot « rituel ». Les festivals illustrent bien cela. Les gens participent tous les ans à la même activité.

Prises ensemble, ces qualités constituent l’essence de la continuité. Mais la continuité et le conservatisme n’incitent pas à s’exprimer vigoureusement et à défendre ses positions. Le monde change à toute vitesse et, pour suivre la cadence, il est essentiel de savoir faire bouger les choses. Pour cela, il faut être capable de s’exprimer.

——Pensez-vous que cette tendance constitue un handicap pour les japonais en termes de communication transculturelle ?

MAO  Notre époque a son mot clef « diffusion ». La diffusion explosive de messages, par exemple. Je pense qu’elle fait défaut au Japon. Si vous prenez les jeunes Chinois, c’est tout le contraire. Ils réagissent à la vitesse de l’éclair, mais il leur manque de l’endurance. En Chine, les choses ont tendance à prendre un départ tonitruant, puis à tomber en panne et tourner court.

L’efficacité du « Cool Japan » soulève des doutes

Le professeur Mao enseigne l’environnement urbain et le tourisme à l’Université internationale de Kobe. Il participe aussi à divers projets et initiatives relevant d’organisations comme le ministère de la Terre, des Infrastructure, du Transport et du Tourisme ou d’entreprises actives dans le secteur du tourisme. L’expérience acquise dans le cadre de programmes mis en place par l’État pour la promotion du pays a suscité chez M. Mao un certain scepticisme quant au potentiel d’efficacité de la campagne officielle en faveur du « Cool Japan ».

——Dans un contexte international, multiculturel, la diplomatie culturelle joue plus que jamais un rôle important. Que pensez-vous des efforts entrepris par le Japon pour promouvoir les échanges internationaux et le tourisme ?

MAO  Je travaille depuis plusieurs années au ministère de la Terre, des Infrastructure, du Transport et du Tourisme. Franchement, il y a eu beaucoup de changements dans le personnel. Si l’on veut qu’ils aient un impact réel sur l’amélioration de l’image du pays, il faut que les professionnels de la culture soient impliqués à long terme. Ils ont à charge de former des experts qui travailleront en première ligne. La culture est quelque chose d’intangible. Si je vous chante une chanson, cela en soi ne constitue pas de la culture. C’est juste une allusion. À titre de comparaison, prenez l’impact durable et persistant qu’a sur vous la lecture d’un roman. Ça, c’est de la culture !

——Seriez vous d’accord avec moi pour dire que les politiques et la méthodologie officielles sont trop vagues ?

MAO  Tous les pays se servent de la culture pour améliorer leur image. Mais cela ne marche pas toujours. J’ai mes doutes en ce qui concerne cette histoire de « Cool Japan ». Je pense que c’est une erreur de croire que les dessins animés et les figurines pour collectionneurs obtiendront outre-mer la même popularité qu’au Japon. L’arrière-plan culturel diffère d’un peuple à l’autre. Apparemment, la version indienne du manga de base-ball Kyojin no Hoshi, Suraj: The Rising Star a connu un grand succès. Mais dans cette version, le base-ball a été remplacé par le cricket. Il ne suffit pas, pour y arriver, de modifier quelques lignes dans les dialogues ; c’est tout le scénario qui doit être remanié. Voilà le niveau de respect qu’il faut avoir pour l’autre culture. Vous devez insérer votre produit dans un certain contexte. Pensez-y sous ce jour. Disons que vous transposez une plante japonaise en Inde. Rien ne garantit qu’elle va pousser. Peut-être l’eau et le climat ne lui seront-ils pas favorables. Le gouvernement a réservé un gros budget pour son Cool Japan, mais quels résultats a-t-il obtenus ? La réputation ou l’image du Japon s’est-elle améliorée sur la scène internationale ? On est en droit de dire qu’à lui seul Murakami Haruki a fait davantage pour le profil du Japon que n’importe quel programme officiel. Et il n’a jamais eu le moindre soutien de l’État !

Pour la culture japonaise, les deux grandes percées commencent par un M : manga et Murakami. Je pense qu’il faut encore faire des efforts pour analyser les raisons de la popularité que son livre a rencontrée dans le monde entier. Voilà un exemple que la politique culturelle du japon devrait s’efforcer de suivre.

L’ère de la surcharge d’information

——On entend beaucoup parler de « ressources humaines globales », de nos jours. Mais à l’évidence, cela ne se résume pas à parler l’anglais. Quel genre de compétences va, selon vous, revêtir une importance particulière pour le Japon dans les années à venir ?

MAO  Avant de penser à quoi que ce soit de transculturel, vous devez savoir d’où vous venez. Il ne suffit pas d’étudier l’anglais pour devenir « globalisé ». Vous devez vous assurer que vous connaissez mieux que quiconque votre propre histoire et votre propre culture avant de chercher plus loin. Se doter d’une perspective globale n’est pas uniquement une affaire de langue : cela vient de l’intérieur.

L’information non plus ne suffit pas à faire de vous une personne globale. Nous sommes submergés d’informations et nous luttons pour ne pas sombrer. Le temps est venu de nous débarrasser du superflu et de nous protéger contre la surcharge d’information. Plutôt que de constamment céder à la tentation de la quête insatiable de l’information, il est important de préserver l’intégrité de notre identité,. Nous devons nous efforcer de comprendre notre propre culture. À long terme, c’est la meilleure façon de favoriser la formation d’une main d’œuvre globale.

Interview : Harano Jôji (directeur représentatif de la fondation Nippon Communications)

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