La culture pop nippone se mondialise

Connaissez-vous la mangaka Anno Moyoco ?

Culture

Une exposition vient de retracer plus de vingt ans de carrière de la mangaka Anno Moyoco, célèbre pour plusieurs séries telles Hataraki Man ou Sakuran. L’exposition Strip ! s’est terminée le 26 septembre 2016.

Une scénographie qui met l’accent sur les récits

Du 1er au 26 septembre dernier, l’exposition Anno Moyoco Strip ! marquait l’inauguration du nouveau Parco Museum, depuis son déménagement de Shibuya à Ikebukuro. C’était la première exposition réellement conséquente consacrée à l’artiste puisqu’elle englobait vingt ans de création picturale. L’exposition ne présentait pas seulement de splendides originaux très travaillés, planches de tête ou scènes les plus célèbres extraites de Happy mania, Hataraki man, Sakuran, Chocola et Vanilla, Ochibi-san et tant d’autres ; le concept de l’exposition, qui permettait de lire les ouvrages eux-mêmes, a ravi les fans.

Par exemple, il était possible de lire une œuvre presque « légendaire » de l’auteur : la seconde partie de Sakuran, qui n’a jamais été publiée en volume après une seule publication en magazine.

La partie de l’exposition consacrée à sa série actuellement en cours, Bikachô shinshi kaikoroku (Souvenirs de quelques messieurs libidineux) mettait bien en valeur l’atmosphère particulière et l’histoire de cette œuvre : au début du XXe siècle, à Paris, un récit d’amour et d’ambition centré autour d’une jolie prostituée, Colette, de son amant de cœur, Léon, et des messieurs qui visitent les maisons closes pour y assouvir leurs perversions.

Bikachô shinshi kaikoroku, l’histoire d’une prostituée et de messieurs libidineux dans le Paris du début du XXe siècle.

Dans la partie consacrée à Happy mania (éd. Shôdensha), l’un des premiers grands succès de Anno Moyoco, les hommes dont l’héroïne Shigeta Kayoko tombe amoureuse sont présentés sous la forme d’un catalogue, chacun avec ses caractéristiques principales, à savoir : leur nom, le lieu et l’opportunité de leur rencontre, la profession et l’orientation sexuelle. Leur relation avec Shigeta est chaque fois résumée en quelques cases. Il y en a plus d’une dizaine, et néanmoins ils sont tous d’un type très différent, pas un ne ressemble à un autre. Or, et c’est là que ça devient amusant, le lecteur peut reconnaître dans chacun d’eux quelqu’un qui lui ressemble.

La section Happy mania : un catalogue de tous les hommes dont Shigeta tombe amoureuse au cours de la série.

Les femmes aussi adorent ces femmes

Les femmes « belles et fortes » sont nombreuses dans les mangas de Anno Moyoco. Ce sont des fonceuses, rapides dans n’importe quelle décision, aussi bien en amour que dans leur travail. Quand elles sont seules, elles sont souvent découragées par des détails insignifiants, pleurnicheuses, mais dès que quelqu’un les regarde, elles redeviennent volontaires, dynamiques, voire téméraires. Elles ne sont pas seulement fortes, elles sont « cool » mêmes dans leurs faiblesses. C’est certainement cet aspect qui fait que de nombreuses lectrices se reconnaissent en elles.

Le personnage principal de Hataraki man (Les bosseurs, éd. Kôdansha), qui a même été adapté en série TV, est une jeune femme de 28 ans qui travaille comme rédactrice pour un hebdomadaire. Elle se donne tellement à son travail qu’elle en oublie le goût d’avoir un amoureux, et même celui d’être une femme. Elle peut se confronter à ses collègues de travail et ses supérieurs, comme elle peut trouver du réconfort grâce à eux. Ses erreurs la démoralisent complètement, mais l’enthousiasme et l’intense sensation d’accomplissement sont au rendez-vous à chaque succès professionnel. Sans compter ses problèmes de relation avec son amoureux. Le personnage est tellement vrai que ses lectrices, qui partagent les mêmes soucis, lui ont fait une succès extraordinaire.

La partie consacrée à Hataraki man : un grand panneau et quantités de planches originales. Pour chaque personnage de la série, l’auteur a fixé très précisément l’ensemble de tout ce que contient son sac.

Sakuran (éd. Kôdansha) se passe à l’époque d’Edo et décrit la vie des courtisanes du Yoshiwara, le quartier des plaisirs. La série a connu un très grand succès, au point d’être adapté au cinéma par Mika Ninagawa. Elle raconte l’ascension de Kiyoha, qui deviendra la courtisane la plus recherchée de Yoshiwara grâce à sa capacité à emballer les jeunes fortunés d’Edo, non seulement par sa beauté mais par sa force de caractère, et sa capacité à se montrer tendre et chatte le cas échéant. Les « mangas d’époque » destinés aux femmes ont un genre peu courant. On est d’abord époustouflé par le trait du moindre motif de kimonos, des coiffures et des accessoires, jusqu’aux décors des rues d’Edo, dont la précision est renversante. En outre, la verve du langage d’Edo est remarquable : des rivalités et perfidies entre courtisanes, aux joutes de langage avec les clients. Tout cet univers de beauté au revers duquel les sentiments personnels ne peuvent pas s’exprimer apparaît d’une incroyable proximité, au point d’en ressentir soi-même la tristesse. Et plus que tout : l’énergie avec laquelle ces femmes vivent.

L’espace consacré à Sakuran rappelle les devantures foraines où s’exposaient les courtisanes de Yoshiwara. Comme les vraies courtisanes à l’époque, les originaux de la série sont exposés derrière des grilles.

Toute l’atmosphère d’une époque dans la précision d’un dessin

Anno Moyoco est née en 1971 à Tokyo. Ayant décidé de devenir mangaka à l’âge d’à peine 10 ans, elle n’a plus cessé de dessiner depuis lors. L’extrême exigence de l’artiste se ressent tout particulièrement dans la sensibilité aux modes de tous les personnages, qui s’exprime dans le détail avec lequel sont représentés les moindres vêtements et accessoires qu’ils portent. La thématique des univers de la mode est d’ailleurs fortement présente dans ses différentes séries, et, par exemple dans les séries dont nous avons parlé, les moindres personnages et les moindres scènes portent en eux dans tous leurs détails les tendances d’une époque.

Cette variété dans les genres couverts est une autre caractéristique de Anno Moyoco. Chocola et Vanilla (titre original : Sugar Sugar Rune) raconte l’histoire de deux sorcières envoyées dans le monde des humains, publiée dans le magazine « shôjo manga » Nakayoshi (Kôdansha). De son côté, Ochibi-san exprime le sentiment de la nature et le passage des saisons dans une petite ville ancienne. La série a été publiée dans l’édition du dimanche du journal Asahi, et continue aujourd’hui dans l’hebdomadaire d’informations AERA (éd. Asahi Shimbun). Ces deux séries ont connu une adaptation animée pour les enfants.

Magazines pour femmes, magazines pour hommes, magazines manga pour petites filles (« shôjo manga »), quotidiens, hebdomadaires d’informations… bien peu de mangaka sont capables de mener une carrière sur une telle variété de médias. Certaines de ses séries échappent même à toute tentative de classement, comme Kantoku fuyukitodoki (Manque de surveillance, éd. Shôdensha) dans laquelle elle décrit sa vie quotidienne auprès de son mari, le réalisateur Anno Hideaki, ou des essais illustrés sur le thème de sa passion culinaire, Kuiiji (Gourmandise acharnée, éd. Bungei Shunjû).

Chocola et Vanilla se passe dans l’univers des sorcières. (© Anno Moyoco/Cork)

Une suspension dans les publications pour développer de nouvelles idées

Avec Ochibi-san, Anno Moyoco renouvelle entièrement son style.

Alors qu’elle avait suivi une carrière ininterrompue depuis ses débuts, en 2008 Anno Moyoco a dû arrêter toutes ses séries en cours, sauf Ochibi-san, pour raison de santé. Elle comptait déjà à l’époque plusieurs séries en prépublication à son actif, montrant une énergie comparable à celle de ses héroïnes, et c’était sans doute trop. Dessiner uniquement Ochibi-san, une série très douce, lui a permis de retrouver peu à peu la santé, et ainsi de revenir sur le devant de la scène avec Bikachô shinshi kaikoroku en 2013.

Quels mangas dessinera-t-elle, maintenant qu’elle a pu recharger ses batteries ? Les années passant, l’expérience enrichit sans aucun doute la réflexion. Nous sommes impatients de découvrir de nouvelles séries insoupçonnées.

(Photo de titre : [de gauche à droite] l’affiche de l’exposition Strip !, Happy mania, Hataraki man et Sakuran. © Anno Moyoco/Cork. Texte : Ushijima Bifue. Photos : Nippon.com)

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