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Les cantines scolaires japonaises : former le goût des nouvelles générations

Société Vie quotidienne

Les cantines scolaires japonaises n’ont pas pour seule ambition de servir aux enfants des repas nourrissants et appétissants ; elles s’efforcent aussi de développer chez les jeunes des habitudes alimentaires saines dont ils profiteront toute leur vie. Un rédacteur américain de nippon.com a rendu visite à l’école primaire Hirayama de Hino, dans la banlieue ouest de Tokyo, pour en savoir plus sur les repas servis dans les cantines scolaires japonaises.

Quand j’étais enfant, aux Etats-Unis, les déjeuners que je prenais à l’école étaient très simples et répétitifs — ils se résumaient à une assiette de frites accompagnées d’un hamburger à base d’une sorte ou une autre de viande. A l’époque, je trouvais ces repas plutôt à mon goût. Mais je me rappelle aussi qu’en dehors des pommes de terre, le « légume » qu’on nous servait le plus souvent était le tomato ketchup.

Il y a dix ans, je suis venu au Japon pour enseigner l’anglais dans un collège de la préfecture de Nagano. J’ai constaté que les repas servis dans la cantine de l’établissement étaient beaucoup plus variés et équilibrés que ceux de mon enfance. Pendant les trois années que j’ai passé à Nagano, j’ai mangé tous les jours le même déjeuner que mes élèves et c’est ainsi que j’ai découvert la culture culinaire japonaise.

Ma fille aînée est actuellement à l’école primaire et je me sens rassuré à l’idée qu’elle ait droit chaque jour à un déjeuner qui est bon pour sa santé. Quand je rentre à la maison, il m’arrive de lui demander ce qu’elle a mangé à midi, une question que mes parents ne m’ont jamais posée quand j’avais son âge. La description qu’elle me donne de son repas et de l’assortiment incroyable de mets dont il se composait me fait parfois penser au menu d’un restaurant haut de gamme. Les plats sont inscrits sur une feuille que le chef nutritionniste de l’école remet à chaque élève et qui comporte aussi toutes sortes d’informations utiles sur la nourriture et l’importance des habitudes alimentaires saines.

En parlant avec ma fille, je me suis souvenu de mon passage à Nagano et j’ai eu envie de voir comment on préparait les repas dans les cantines scolaires japonaises. Je me demandais en particulier en quoi consistait exactement le travail du chef nutritionniste.

Pour en savoir plus, je suis allé avec plusieurs collègues visiter l’école primaire Hirayama de Hino, dans la banlieue ouest de Tokyo, une école qui est réputée pour la qualité des repas qu’on y sert aux enfants.

Un système d’une grande souplesse

La ville de Hino, où se trouve l’école primaire Hirayama, est à tout juste 40 minutes en train de la gare de Shinjuku. Mais elle est environnée de champs de légumes et située à proximité des collines de Tama qui bordent la limite ouest de Tokyo.

Nous entrons dans le nouveau bâtiment flambant neuf de l’école où nous sommes accueillis par Igarashi Toshiko, la directrice. Elle nous apprend notamment que l’école est très ancienne puisque sa fondation remonte à l’époque Meiji (1868-1912). Mme Igarashi nous conduit ensuite dans une zone située à l’extérieur des cuisines, où l’on s’affaire pour le repas de midi depuis 8 heures du matin.


La cuisine de l’école est séparée du couloir par une cloison de verre qui permet aux élèves de se faire une idée sur le menu du jour en cours de préparation.

Une cloison de verre sépare les cuisines du couloir, de façon à ce que les élèves qui l’empruntent puissent se faire une idée du repas du jour et voir comment on le prépare. Aujourd’hui au menu, il y a du riz aux légumes (gomoku gohan), du thon frit avec une sauce épicée sucrée, un bouillon à base de poisson (sumashi jiru), de la roquette (komatsuna) avec une sauce composée de sésame de sel et de sucre (goma-ae), le tout accompagné de la petite bouteille de lait servie systématiquement à chaque repas. Ce menu illustre bien les efforts des établissements scolaires pour familiariser le plus possible les élèves avec la cuisine japonaise traditionnelle.

Kawaguchi Yoshie, la nutritionniste en chef de l’école, passe un moment avec nous. Le travail de coupe et de préparation des aliments qui débute tôt le matin a pris fin. Les quatre hommes qui assistent Mme Kawaguchi nous rejoignent. Chaque jour, ils doivent faire à manger pour plus de 500 personnes, puis nettoyer la cuisine et discuter du menu du lendemain.


Mme Kawaguchi, la nutritionniste en chef de l’école, goûte le bouillon pour être sûre qu’il a bon goût.

La première chose que je demande à Mme Kawaguchi, ce sont les règles et les contraintes dont elle doit tenir compte quand elle prépare ses menus. Elle m’explique que le nombre de calories par repas a été fixé à 650 par la commission de l’Education et que le coût de chaque repas a été limité à 282 yens par la municipalité de Hino. Sa tâche consiste donc à trouver des plats qui respectent les exigences des autorités, mais soient aussi bien équilibrés du point de vue de la diététique et plaisent aux élèves.

Les pourcentages de calories et de protéines contenues dans chaque repas sont indiqués sur une feuille remise aux élèves où figurent les menus des deux semaines qui suivent ainsi que des informations notamment sur les habitudes alimentaires saines. Mme Kawaguchi doit faire un rapport détaillé sur les repas servis dans l’école à la commission de l’Education.


Un des cuisiniers de l’école vérifie la température à cœur du thon frit pour s’assurer qu’il est bien cuit.

Il existe aussi des règles très strictes concernant l’hygiène, à en juger ne serait-ce que par les masques et les vêtements que portent ceux qui travaillent dans les cuisines. L’accès des cuisines est interdit à toute personne dépourvue d’une autorisation. Les installations des cantines de toutes les écoles japonaises sont soumises à des inspections régulières pour vérifier que les normes sanitaires sont bien respectées et tous les légumes doivent cuits de façon à éviter le développement de la bactérie E. coli.

Mais ce qui m’impressionne le plus en écoutant les explications de Mme Kawaguchi sur le fonctionnement de la cantine de l’école, c’est qu’en fait les établissements scolaires jouissent d’une marge de manœuvre considérable pour la conception des repas, du moment qu’ils respectent les exigences en matière de nutrition et d’hygiène. Cette liberté s’étend à l’approvisionnement. C’est ainsi que l’école primaire Hirayama a décidé d’acheter 25 % des légumes qu’elle utilise à des producteurs locaux, de façon à disposer de produits de première fraîcheur et à resserrer les liens entre l’école et la communauté locale.

Bien entendu, les élèves des écoles primaires ne sont pas toujours enchantés par les légumes qu’ils trouvent dans leur assiette. D’après Mme Kawaguchi, les carottes et les poivrons n’ont pas vraiment la cote. Une des stratégies pour faire manger aux enfants ce genre de légume consiste à les couper très fin, de façon à ce que les enfants ne se rendent pas compte de leur présence. Et elle a parfaitement réussi dans le cas du « pilaf arc-en-ciel », un des plats favoris des élèves de l’école Hirayama, bien qu’il contienne et des carottes et des poivrons.

D’après le personnel des cuisines, ce que les élèves préfèrent par-dessus tout, c’est le riz au curry à la japonaise. Pourtant le goût de ce plat est différent en fonction de la personne qui le prépare et de l’approvisionnement. Chacun des quatre cuisiniers qui officient dans la cuisine a une façon bien à lui de procéder et les ingrédients utilisés varient avec les saisons et les légumes qui sont propres à chacune.

Du fait de la créativité et de l’originalité qui président à leur conception et à leur réalisation, les repas servis dans les cantines scolaires japonaises n’ont pas grand chose à voir avec une production de masse dépourvue de goût.

Le rôle éducatif des cantines


Les élèves de Mr Takagi, qui sont en cours préparatoire, transportent le repas de midi depuis la cuisine jusque dans leur classe.

Mme Kawaguchi et ses collaborateurs insistent sur le fait que le rôle des cantines scolaires ne se limite pas à servir chaque jour un repas équilibré aux enfants. Les menus font aussi partie intégrante de l’éducation des élèves dans la mesure où ils les encouragent à acquérir des habitudes alimentaires saines et où ils leur transmettent certaines des caractéristiques les plus remarquables de la culture culinaire japonaise.

Il faut plus que jamais encourager les enfants japonais à faire des repas équilibrés maintenant que la restauration rapide et les supérettes ont fait leur apparition un peu partout dans le pays. Si le Japon n’a pas encore été trop touché par le phénomène des enfants obèses qui sévit dans un grand nombre de pays développés, c’est pour beaucoup grâce aux repas équilibrés servis dans les cantines scolaires de l’Archipel, des repas qui constituent près d’un tiers de l’alimentation des élèves.

Une autre préoccupation des responsables de l’école primaire Hirayama, c’est de mettre souvent des plats à base de riz au menu. Ce genre de repas a en effet le double mérite d’être excellent pour la santé et de contribuer au maintien d’une caractéristique importante de la culture alimentaire japonaise. Ce type de plat faisait partie de la cuisine familiale des générations précédentes mais aujourd’hui, c’est bien souvent par le biais de l’école que les enfants ont accès à la cuisine traditionnelle japonaise.

Un travail d’équipe

Je dois laisser Mme Kawaguchi et ses collaborateurs retourner aux cuisines car l’heure est venue de cuire le repas de midi, mais je continue à les observer à travers la cloison de verre. Chaque personne a une tâche bien déterminée à accomplir avec des énormes marmites en métal. Aujourd’hui, un des travaux les plus ardus, c’est la cuisson du thon, qui doit être frit. La chaleur prés des fourneaux est intense, mais il faut vérifier la température à cœur du poisson avec un thermomètre, pour des raisons de sécurité alimentaire.

Dans les cuisines de l’école, tout est gigantesque, même si la façon de procéder n’est pas très différente de celle d’une mère de famille, dans la mesure où elle fait appel aux mêmes sortes de produits et de condiments. Mais la taille du matériel de cuisine et la quantité des ingrédients n’en reste pas moins énorme, contrairement à ce qui se passe à la maison. Les cuisiniers sont astreints à un véritable travail physique et ils doivent manipuler des ustensiles géants qui font penser aux hélices du fameux film « Chérie, j’ai rétréci les gosses ».

Pour préparer le repas de midi de l’école, il faut non seulement de la force musculaire, mais aussi un esprit d’équipe et je suis impressionné de voir l’efficacité avec laquelle le personnel de la cuisine travaille ensemble. Cet esprit d’équipe est particulièrement manifeste quand vient le moment de servir les mets, une tâche très délicate car il faut tenir compte du nombre d’élèves de chaque classe et du fait que les enfants plus âgés ont droit à une portion plus grande que les plus jeunes. Les hommes chargés de ce travail répartissent tous les composants du repas entre les différents plats et contenants et ils finissent à peine quelques minutes avant l’arrivée des enfants chargés de transporter la nourriture de la cuisine dans les classes où les élèves prennent leur repas de midi.

La distribution des repas

La distribution des repas de midi se déroule d’une façon tout à fait particulière. Chaque jour des classes sont chargées, à tour de rôle, de transporter les repas depuis les cuisines jusque dans les salles de cours. Dans chaque classe une demi douzaine d’élèves doivent répartir tous les mets en portions égales entre leurs camarades. Outre qu’il est efficace, ce système qui est appliqué dans toutes les écoles du Japon a aussi le mérite de développer le sens des responsabilités chez les enfants.

Je me rends dans une classe de cours préparatoire pour voir de près comment les choses se passent. Les élèves chargés de distribuer les aliments sont adorables dans les blouses et les bonnets tout blancs qu’ils ont enfilés. Ils sont en trains de servir le bouillon, le riz, le thon et les autres mets. Cela fait plusieurs mois qu’ils font ce travail, depuis la rentrée du mois d’avril, et ils se débrouillent plutôt bien.

Aujourd’hui, la tâche la plus délicate, c’est de servir le bouillon, mais en dehors de quelques gouttes par-ci par-là, les bols des élèves se remplissent sans problème. Takagi Kenji, le professeur du cours préparatoire, reste aux côtés des enfants pendant toute l’opération, de manière à leur prêter main-forte si nécessaire. Pour la circonstance, il a revêtu un magnifique tablier à l’effigie de Mickey ! Une petite fille suggère d’une voix enjouée à sa camarade de lui servir une bonne portion.

Une fois que la nourriture est répartie, les élèves joignent les mains et s’écrient tous ensemble itadakimasu (Bon appétit !). Le moment est venu de se remplir l’estomac. J’en profite pour me rendre dans une classe d’élèves plus âgés, un étage plus haut.

La classe du « gaspillage zéro »


Mr Ichinose insiste pour que ses élèves, qui sont en cours moyen 2e année, finissent complètement leur repas.


Les élèves de cours moyen 2e année n’ont, comme d’habitude, pas laissé une miette de leur repas.

Je me retrouve dans la classe de cours moyen 2e année de Ichinose Hideomi, un homme à l’allure athlétique dont le solide appétit ne semble pas surprendre ses élèves. Quand les enfants ont fini de servir le repas, M. Ichinose m’explique qu’il insiste beaucoup sur le fait qu’il ne faut absolument pas gaspiller la nourriture servie pour le déjeuner. Il s’efforce aussi d’encourager les enfants à bien se tenir pendant le repas, ce qui au Japon implique non seulement de ne pas mettre les coudes sur la table et de se tenir bien droit, mais aussi de tenir ses baguettes correctement et d’alterner tout à tour les mets plutôt que d’avaler un plat d’un seul coup.

Je remarque qu’une fois que le repas est servi, certains élèves rivalisent pour finir les restes. Ils jouent à jankenpon (pierre-papier-ciseaux) pour décider qui aura droit à quoi. Je suis tenté un instant de me joindre à eux, car cela fait une éternité que j’ai avalé mon petit-déjeuner.

Je me contente de demander à M. Ichinose comment il fait pour que ses élèves ne gaspillent pas la moindre nourriture. Il me répond en m’expliquant, à moitié sur le ton de la plaisanterie, qu’il a décidé de montrer l’exemple en mangeant copieusement. Ses élèves l’ont suivi, petit à petit, et c’est ainsi qu’ils ont fini par jouer à jankenpon pour se partager les restes. M. Ichinose m’annonce avec fierté que dans sa classe on en est au « gaspillage zéro » de nourriture depuis le mois de mai.

Mon estomac réclame avec de plus en plus d’insistance quelque chose à manger. Je laisse M. Ichinose déguster son repas et descends l’escalier en direction du bureau de la directrice. J’ouvre la porte et constate avec soulagement qu’un repas a été placé à mon intention sur une table. Cela valait la peine d’attendre aussi longtemps ! Le déjeuner a certes été conçu pour les élèves de l’école, mais je le trouve tout à fait à mon goût, moi qui suis un adulte. Le thon est délicieux, les légumes croquants à souhait et le bouillon une vrai merveille.

Tandis que je prends le chemin du retour, mon seul regret est de ne pas pouvoir revenir dans la semaine pour goûter le curry aux légumes d’été qui est affiché au menu. Dommage qu’ils ne livrent pas !

 












(D’après le texte en anglais de Michael Schauerte. Photographies de Katô Takemi)

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