Le Japon et l’écologie

Un regard sur une table japonaise originale

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Dans ses écrits et ses conférences, M. Uotsuka Jin’nosuke, chercheur en culture alimentaire, explique comment « vivre sans créer de déchets », une technique qu’il a mis au point tout au long de nombreuses années de pratique. Son mode de vie est un cri lancé à la société de sur-consommation, et fait remonter à la surface la question : « Qu’est-ce que la vraie richesse ? »

Il est réellement possible d’utiliser les aliments sans laisser de déchet ?


UOTSUKA Jin’nosuke
Né en 1956. Après des études d’agronomie, il fut gérant d’un magasin de motos pendant dix-huit mois, puis d’une brocante pendant dix ans. Devenu chercheur en culture alimentaire, il s’attache à promouvoir un usage original des denrées alimentaires qui conduit à une alimentation sans gaspillage. Il est l’auteur de nombreux ouvrages aux titres évocateurs : « Restructuration dans la cuisine : la méthode Uotsuka », « Laisser pourrir la nourriture dans le frigo, sport national japonais » ou « Écoute la voix de la nourriture ! ».

Depuis le tremblement de terre du 11 mars 2011, l’idée d’un mode de vie frugal et économe génère un grand intérêt au sein de la population. De plus en plus de gens s’intéressent à l’idée de gérer des réserves de nourriture pour eux et leur famille à partir de produits qui se conservent. Ce concept est précisément au centre de la pratique que M. Uotsuka développe depuis des années. Cette tendance récente n’a rien pour l’étonner. Au contraire, pour lui, tout cela aurait dû être engagé bien avant.

Dans ses ouvrages « Restructuration dans la cuisine : la méthode Uotsuka » ou « Laisser pourrir la nourriture dans le frigo, sport national japonais », M. Uotsuka fait l’apologie d’une utilisation rationnelle et efficace des denrées alimentaires, sans perte, sans déchet, sans acheter au-dessus de ses besoins. Après des études universitaires en agronomie et tout en gérant un magasin de brocante, M. Uotsuka a écrit plusieurs livres sur les petites techniques alimentaires ingénieuses. Ses livres ont connu un grand succès. Son style de vie frugal, son look de barbu à cheveux longs le font souvent passer pour un « hippie attardé », ou un « mystique de l’écologie ». Pourtant, son style de vie est loin d’être particulièrement stoïque.

« Je ne suis pas de ces prétentieux qui veulent montrer leur capacité de résistance à la douleur. J’utilise juste les objets jusqu’à la fin de leur vie, j’achète les denrées alimentaires en quantité quand elles sont bon marché, je profite de toutes les possibilités de conservation et je m’efforce de tout utiliser sans rien perdre. En fait, c’est par plaisir que je pratique ce style de vie », déclare M. Uotsuka avec le sourire.

Et en effet, sa vie n’a rien de celle de l’ermite cloîtré au fin fond de la montagne. Sa maison se trouve dans un quartier résidentiel au centre de Tokyo. Mais à peine fait-on un pas à l’intérieur, on y trouve une ambiance d’autrefois, l’atmosphère des maisons d’avant-guerre, avec ampoules à incandescence, table basse, horloge à remontoir… Autrefois, les Japonais avaient le génie de trouver des astuces pour palier au manque d’objets de la vie quotidienne. Depuis le séisme du 11 mars, nombreux sont les gens qui éprouvent une sensation de vanité devant l’abondance factice de la société de consommation. Dans la situation nouvelle créée par le séisme, le style de vie pratiqué par M. Uotsuka apparaît comme un modèle à la portée de tous.

« Je ne prétends pas imposer ma façon de vivre à quiconque. Je dis simplement : “voilà comment je fais”. Peut-on décemment dire que l’on a une vie riche quand on laisse pourrir dans le frigo ce qu’on n’a pas réussi à manger parce qu’on a acheté n’importe comment ? Manger du fast food parce que c’est rapide et pas cher, cela a l’air raisonnable, mais est-ce bon pour la santé ? Mon souhait est que ce que je dis dans mes livres soit une occasion de réfléchir à nos habitudes alimentaires. »

Manger, c’est vivre

Il y a dix-sept ans, le livre « Restructuration dans la cuisine : la méthode Uotsuka » avait beaucoup fait parler de lui à cause de son sous-titre : « Manger pour 9000 yens par personne et par mois ». Un budget alimentation de 9000 yens seulement avait fait l’effet d’une énorme surprise pour les Japonais à l’époque de l’effondrement de la bulle spéculative. Le sujet avait fait tache d’huile et le livre de M. Uotsuka était devenu un best-seller.

M. Uotsuka explique : « Pour tous les légumes à racine, carotte, rhizome de lotus, bardane (salsifis), radis blanc, comme pour le potiron, coupez vos restes en fines tranches et laissez-les sécher sur un panier ou un treillis au soleil. Au bout d’une semaine, quand ils ont perdu toute leur eau, mettez-les dans un bocal. Vous pouvez les conserver ainsi six bons mois sans souci. Il suffit de les faire tremper dans l’eau une nuit pour en faire une délicieuse soupe miso. »

C’est un bon exemple d’une vraie richesse d’habitude alimentaire qui ne génère ni déchets inutiles, ni surcoût. La seule chose qu’il ne faut pas économiser, c’est son temps.

« De cette façon, il y a toujours des réserves de nourriture à la maison. Je peux rester un mois entier à travailler à la maison sans sortir faire les courses, et sans me priver de manger ! Alors puisque la question des réserves de vivres est devenu un sujet d’actualité depuis le séisme, ce mode de vie, pratiqué quotidiennement, évitera à tout le monde de paniquer en cas d’urgence. »

Pour le petit déjeuner, il dispose plus de dix petits plats variés sur la table. Il est grand amateur de sashimi et ne se prive pas de boire du saké. En revanche, il ne mange presque jamais au restaurant. Il fait la cuisine lui-même, y compris le bentô pour son épouse qui est employée. Il n’a pas la climatisation. En été, il aère avec un ventilateur ou son éventail, et l’hiver, il se chauffe au charbon de bois dans l’âtre central. « Je n’ai absolument pas la sensation de vivre de façon incommode », dit-il… et ce n’est pas de l’orgueil !

Cela fait plus de vingt ans que M. Uotsuka tient le journal de ses habitudes alimentaires. Il y consigne tout : de la liste des courses aux fiches recettes journalières. On y suit également au fil des ans l’évolution des prix des denrées alimentaires au Japon.

« Le menu quotidien donne une bonne vision de l’évolution de la société, en plus d’une trace de mes préférences culinaires personnelles. Ce journal représente une sorte de mémoire sociale et personnelle. Quand j’avais quatorze ans, j’ai eu un accident et j’ai perdu la vue à l’œil gauche. J’ai eu de la chance de ne pas mourir. Cela m’a fait réfléchir et je me suis demandé : « Qu’est-ce que vivre ? Comment doit-on vivre ? » Il m’a semblé que la base, c’était que pour vivre, il fallait manger. Manger, c’est vivre. Et dans le même temps, vivre chaque jour signifie s’approcher peu à peu de sa mort. Pour vivre sa vie le plus pleinement possible, il faut donc être attentif à son alimentation. J’ai l’impression que le moment est venu pour le Japon de donner une nouvelle direction à son désir de consommation : de l’infiniment grand vers l’infiniment petit. »

 

(Texte : Sakurai Shin. Photos : Kawamoto Seiya)

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