Vivre à Fukushima — un an après le séisme

Hiroki, le saké de Fukushima

Culture Vie quotidienne

Les jizake, sakés de terroir, sont très à la mode aujourd'hui au Japon, et Hiroki, produit par un petit producteur de la préfecture de Fukushima, est l'un de ceux qui ont joué un rôle essentiel dans cet engouement. L'histoire de cette petite entreprise, qui a failli définitivement fermer ses portes pour renaître grâce à son saké de terroir capable d'enchanter les amateurs de ce breuvage, apporte du réconfort aux habitants de Fukushima.

Le saké « Hiroki ». Toute la production 2012 est déjà vendue.

Tous les amateurs de saké japonais connaissent Hiroki (飛露喜), un saké non filtré, non pasteurisé, non dilué, un produit unique qui permet de goûter le saké tel qu'il a été brassé, sans aucun traitement. Grâce à son goût fruité, proche du vin blanc, il a séduit un public qui n'était pas au départ friand de saké. Les difficultés de conservation engendrées par ce procédé unique expliquent aussi qu'il est devenu un saké mythique que l'on ne trouve que chez de rares marchands de saké spécialisés en jizake.

La maison Hiroki (廣木, le nom de la famille fondatrice s'écrit avec une graphie différente), qui le produit dans la petite ville d'Aizu-Bange, à l'ouest du plateau d'Aizu dans la préfecture de Fukushima, brasse du saké depuis le milieu de l'époque d'Edo. Mais avant que son PDG actuel, Hiroki Kenji, ne la reprenne, elle était sur le point de mettre la clé sous la porte.

Un nouveau départ, à la recherche du saké idéal

Jusqu'au milieu des années 1990, le saké produit par les grandes maisons était la norme, et les petites marques de sakés de terroir n'étaient pas recherchées comme elles le sont aujourd'hui. Les « tôji », les maîtres-brasseurs qui jouent un rôle essentiel dans la fabrication du saké, vieillissaient, et l'industrie traversait une grave crise. Hiroki Kenji ne se sentait pas certain de vouloir poursuivre la tradition familiale. Il se lança dans des études universitaires sans aucun rapport avec elle, à l'issue desquelles il trouva un emploi dans une grande société où il resta trois ans.

« Je suis revenu au pays poussé par le désir de brasser au moins une fois mon propre saké, puisque j'étais le fils aîné d'une famille de brasseurs. Le tôji qui travaillait chez nous depuis que j'étais enfant a pris sa retraite peu de temps après, puis mon père est mort subitement. Je m'étais lancé dans cette aventure en ignorant tout des méthodes de fabrication du saké, et de la manière dont on le commercialisait, avec l'idée que si cela ne marchait pas, je pourrais toujours retrouver mon ancien métier. Je suivais d'ailleurs des cours du soir pour passer le diplôme de conseiller fiscal, c'est dire ! »

Il avait presque décidé d'abandonner lorsqu'il a été contacté par un réalisateur du bureau de Fukushima de NHK, la chaîne publique de télévison japonaise, qui préparait une émission pour montrer du point de vue des producteurs de saké la région d'Aizu célèbre pour son riz et son saké.

Le saké non filtré, non pasteurisé, non dilué

Hiroki Kenji, PDG de Hiroki

 « Les gens de NHK nous ont choisi après avoir appelé tous les brasseurs de la préfecture, parce que notre maison était celle qui allait le plus mal. Je ne m'en souviens pas très bien, mais à ce qu'il paraît, je leur aurais dit : " nous n'avons plus de tôji, mon père est mort l'année dernière, et j'ai presque envie de mettre le feu à la maison", ce qui leur a paru pathétique. Je me suis demandé si c'était vraiment une bonne idée de montrer notre triste situation à la télévision, mais j'ai décidé d'accepter en pensant que lorsque mon fils, qui avait alors deux ans, serait adulte, le reportage de la NHK lui prouverait que son père, descendant d'une lignée de brasseurs, l'avait été lui-même. »

Après la diffusion de l'émission, un négociant de Tokyo spécialisé en jizake, a appelé Hiroki pour lui faire savoir que si la maison Hiroki était déterminée à produire du bon saké, il pouvait compter sur son soutien. Sa réaction, après avoir goûté les échantillons que Hiroki Kenji s'était empressé de lui envoyer fut sévère : « Votre saké n'est pas à la hauteur. Vous devez redoubler d'effort si vous voulez que mes clients s'attachent à votre marque. »

« À l'époque, toute la profession essayait de produire des sakés dont le goût était proche de ceux de Niigata, parce que le saké de cette région était à la mode. Je me suis dit que je n'avais aucun intérêt à me lancer dans une compétition autour d'un goût que des maîtres-brasseurs très expérimentés avaient mis des années à mettre au point. Je me suis rendu compte que je devais d'abord réfléchir à ce qui était mon goût idéal à moi. »

Hiroki Kenji a commencé alors à lire les mémoires de maîtres-brasseurs célèbres et à étudier les données des centres expérimentaux de fermentation. Il explique que cela lui a permis de prendre conscience de l'importance de la manière dont la matière première, le riz à saké, était traitée avant la fermentation.

« Je me suis particulièrement intéressé au temps de trempage du riz avant la cuisson à la vapeur. Dix secondes suffisent à changer le goût du saké. J'ai commencé à le chronométrer pour le contrôler. » Un an plus tard, il s'est dit en goûtant son saké juste avant qu'il soit pasteurisé et mis en bouteille qu'il avait réussi à faire un saké qu'il trouvait bon. Lorsqu'il en envoya plusieurs bouteilles au négociant qui l'avait conseillé, ce dernier lui en commanda quelques dizaines de bouteilles. Le même négociant organisa ensuite une dégustation à l'aveugle pour les amateurs qui le classèrent comme le meilleur. Les commandes se mirent à affluer. Le saké non filtré, non pasteurisé, non dilué, était né.

Le traitement du riz avant la fermentation est le plus important pour la brasserie Hiroki. Le temps de trempage du riz à saké avant la cuisson à la vapeur est mesurée à la seconde près.

« Je pense que cette idée de faire boire au grand public le saké "d'avant l'épreuve du feu", qui n'était pas autrefois considéré comme un produit, était la bonne. »

Hiroki Kenji a tiré de son manque d'expérience en matière de fabrication du saké l'audace de lancer un saké non filtré, non pasteurisé, non dilué, sans se préoccuper de ce qui était alors considéré comme normal par les professionnels du secteur. Parce qu'il n'avait de réseau de vente établi, il a commencé à travailler avec un négociant de Tokyo spécialisé en jisake. Ses faiblesses sont devenues les clés de son succès.

Un saké qui fait apprécier le terroir d'Aizu

La brasserie utilise essentiellement du riz à saké produit dans la préfecture de Fukushima.

Maintenant que son saké anonyme de Fukushima est devenu célèbre dans tout le Japon, Hiroki s'est fixé un nouveau but : créer un saké qui ait véritablement le goût d'Aizu.

« Pour moi, ce qui est important, et je pense que c'est une idée que les amateurs de vin n'auront aucun mal à comprendre, c'est de faire passer dans le saké le goût du terroir. Nous n'utilisons que du riz produit à Bange, la ville où se trouve notre brasserie, et à Kitakata, la ville voisine. »

Les produits agricoles de Fukushima ont souffert des conséquences de l'accident de la centrale de Fukushima-Daiichi, même lorsqu'ils viennent de régions qui ne sont pas affectées par la radioactivité. Hiroki Kenji continue cependant à ne se servir que de riz produit dans la préfecture de Fukushima.

« Ce que nous les brasseurs pouvons faire, c'est d'utiliser fièrement le riz local pour faire du saké apprécié dans tout le pays. Je ne le ferais pas si je n'étais pas absolument certain qu'il était sans risque, parce que cela a été vérifié au niveau de la ferme, de la préfecture, et à nouveau chez nous. Continuer à utiliser le riz local est ma façon d'apporter mon soutien à Fukushima. »

Après le tremblement de terre de l'est du Japon, la brasserie Hiroki a reçu la visite d'un habitant de Namie, la ville située à proximité de la centrale, qui avait dû quitter sa maison et s'était réfugié à Aizu-Bange. Ce visiteur était venu leur dire que le jour où il pourrait rentrer chez lui, il comptait célébrer cela en buvant du saké Hiroki.

« Cela m'a fait grand plaisir. Je ferai tout pour que notre saké soit digne de fêter de telles retrouvailles. »

(Photos : Uzawa Akihiko)

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