Les robots japonais sur la piste de l’homme

Pourquoi les chercheurs japonais fabriquent-ils des robots humanoïdes ?

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Les robots japonais ont une excellente réputation dans le monde entier. Tout particulièrement les « robots humanoïdes », domaine sur lequel le Japon possède une nette longueur d’avance. Figure de premier plan, le professeur Takanishi Atsuo de l’Université Waseda nous parle des derniers progrès et du potentiel des robots humanoïdes.


Takanishi Atsuo
Né en 1956 dans le département Fukuoka. Docteur en technologie. Professeur de technologie de la machine globale, faculté de la création, des sciences et de technologie de l’Université Waseda, directeur du laboratoire des humanoïdes.

— La recherche en robot humanoïde est assez ancienne au Japon, n’est-ce pas ?

Takanishi Atsuo C’est mon maître et ancien directeur de recherche, le professeur Katô Ichirô(*1), qui a initié les recherches sur le robot humanoïde. Dans le même temps, de grands courants industriels se développaient, allant des débuts de l’informatique à l’automatisation des machines. C’est dans ce contexte qu’aux États-Unis est apparue une catégorie de machines appelées « robots industriels » qui fonctionnaient dans les usines. Leur succès fut tel que le mot « robot » s’est popularisé avec le sens de « robot industriel », et de moins en moins avec le sens de « robot humanoïde », alors même qu’originellement le mot « robot » désignait en fait uniquement celui-ci.(*2) Le professeur Katô a donc choisi de rajouter l’adjectif « humanoïde » pour qualifier ses recherches.

Néanmoins, au début, le mot « robot » lui-même évoquait des histoires de science-fiction, et on croyait qu’il s’agissait de fabriquer des machines sans intérêt, du charabia incohérent scientifiquement. De ce fait, il lui était très difficile d’obtenir des crédits pour ses recherches. Il nous reste des documents de cette époque dans lesquels le professeur Katô demande des crédits en évitant soigneusement d’écrire le mot « robot », en parlant de recherches sur une « main artificielle », ou une « jambe artificielle ».

L’objectif, c’est « l’homme ». Et comme je pense qu’on ne l’atteindra jamais, c’est un thème de recherche inépuisable.

— Pourquoi les chercheurs japonais fabriquent-ils des robots humanoïdes ?

Takanishi  Le plus grand problème de la recherche sur le robot humanoïde, ou son destin peut-être, est que l’objectif final est parfaitement clair : c’est l’homme. Il doit marcher naturellement, ou même courir, puis il sera capable de prouesses physiques comme un champion des jeux olympiques ou de la coupe du monde. D’un autre côté il apprendra les langues et il parlera couramment, il inventera l’écriture grâce à son cerveau développé… L’objectif, c’est l’extraordinaire humanité. Avec le robot, plus on copie l’homme, plus le but à atteindre s’éloigne indéfiniment. C’est pour cela qu’on ne peut s’arrêter une fois qu’on a commencé.

Ce qui ne l’empêche pas d’avoir déjà évolué. WABOT-1, le premier robot humanoïde complet du professeur Katô, marchait, mais il mettait 45 secondes pour faire un pas et n’avançait que de 10 cm à chaque pas. Maintenant, vous avez des robots bipèdes qui courent ! Le robot KOBIAN de notre laboratoire marche quasiment à la vitesse d’un homme, avec moins d’une seconde par pas, et une amplitude de 40 cm. On peut dire que c’est le premier robot qui marche vraiment comme un humain.

Grâce aux progrès de l’informatique, les robots ont par exemple acquis des fonctions de traitement d’image, qui leurs permettent d’être maintenant hautement fonctionnels au niveau de l’intercommunication avec les humains.

KOBAIN-R, un robot humanoïde bipède. Il possède la bipédie, mais également diverses expressions (voir « galerie » en bas). Sur la photo, il exprime la surprise.

WAS-2RII est un robot humanoïde qui joue du saxophone. « Il contrôle le volume sonore par le mouvement vertical de sa lèvre supérieure et il module le son en hauteur par celui de sa lèvre inférieure. » (dixit M. Takanishi)

— Les différences de religion ou de structure sociale entre le Japon et les pays occidentaux ont-elles une influence sur l’attitude ou les tendances de la recherche en robotique ?

Takanishi  L’année dernière, je suis allé aux Pays-Bas et en Allemagne pour donner des conférences. L’organisateur m’avait recommandé de consacrer la moitié de mon temps de parole aux questions de technologie, et la moitié pour discuter de « pourquoi au Japon seulement y a-t-il autant de robots humanoïdes ? ». J’ai ressenti une résistance fondamentale contre la conception de machines automatiques sur le modèle humain, une influence profonde du christianisme, qui « interdit de fabriquer un humain car cela est l’acte de Dieu ».

De nos jours, l’Europe aussi accorde des fonds pour des programmes de recherche concernant des robots humanoïdes destinés à servir d’outils. Mais dès qu’il s’agit de robots de taille humaine, qui marchent sur deux jambes comme des humains, techniquement cela reste difficile en Europe. Sur ces sujets, à l’Université Waseda, nous recevons des demandes de collaboration des pays occidentaux.

(*1) ^ Katô Ichirô (1925-1994). Professeur à l’Université Waseda. Avec le groupe scientifique transdisciplinaire, il créa le premier robot humanoïde du monde, WABOT-1.

(*2) ^ Selon M. Takanishi, le mot « robot » est apparu pour la première fois en 1920 dans la pièce de théâtre « R.U.R (Rossum’s Universal Robots) » de Karel Čapek, dramaturge tchèque. En tchèque et en allemand, « ouvrier » et « esclave » se disent « roboter », qui est à l’origine du mot « robot ». Actuellement la tendance est à appeler « robot » une machine autonome créée à l’imitation de la forme ou de la structure humaine, autrement dit le « robot humanoïde » (Humanoid Robot en anglais). Selon les statistiques de la JARA (Japan Robot Association), le nombre de robots industriels en fonctionnement au Japon est d’environ 286 000, soit 27% de la « population » mondiale des robots (1 035 000). Le Japon est le pays le plus « peuplé » du monde en robots.

 

Je voudrais faire progresser la robotique humanoïde jusqu’à un niveau où elle devienne réellement utile.

— Quel est l’objectif de la recherche sur les robots humanoïdes au Japon ? Quelle est votre vision de la portée sociale de l’activité des robots humanoïdes, et quels sont les problèmes que vous rencontrez ?

Takanishi  Voilà déjà presque un demi-siècle que le professeur Katô a initié la recherche en robotique humanoïde, mais à mon avis, nous ne sommes pas encore arrivé au point où la société les utilise au vrai sens du terme. Au contraire des sciences qui s’attachent à découvrir ce que nous ne savons pas, l’ingénierie a pour vocation de mettre au point les moyens qui servent au bonheur de l’humanité. Dans ce sens, en tant que l’un des continuateurs de la pensée du professeur Katô, je pense qu’il faut que le développement des robots humanoïdes atteigne un niveau où ils serviront réellement à quelque chose, et c’est dans ce sens que, à part nos recherches sur les robots bipèdes, nous faisons des efforts pour développer des technologies réellement utiles dans le monde.


En haut : Simulateur évaluateur de suture. l’évaluation est présentée sur l’écran de l’ordinateur.
En bas : La machine rend possible l’entraînement à la pratique de l’endoscopie.

Par exemple, il est maintenant prouvé que les technologies développées pour les robots humanoïdes peuvent trouver des applications pour l’amélioration et l’entraînement des personnels soignants. C’est pour cela que depuis plusieurs années, nous travaillons en partenariat avec une société de Kyôto qui développe divers simulateurs d’entraînement médical. L’un de ces simulateurs est tellement performant que certains le surnomment « la main de dieu » : c’est un « simulateur évaluateur de suture », qui permet d’évaluer de combien la technique de suture d’un chirurgien se rapproche de l’excellence. C’est un système équipé de capteurs qui donne une note de 0 à 100. Il est produit et commercialisé depuis deux ans.

Autre exemple, dans le cas des opérations sous anesthésie générale, le patient ne respire plus tout seul, il faut donc pratiquer une intubation par la bouche et la trachée, ce qui présente des difficultés. Pour l’entraînement à cet acte, au Japon comme dans le reste du monde on utilise des mannequins, mais cela ne permet pas de vérifier si la force employée a été trop grande et risque d’endommager les cordes vocales. En fin de compte, on est satisfait si le tube est parvenu jusqu’aux poumons. Pour améliorer cela, il nous a été demandé de voir s’il n’était pas possible de concevoir un appareil qui évaluerait la dextérité, comme en chirurgie. Nous avons commencé à le développer en collaboration, et il sera probablement mis en vente dans le courant de cette année. Des machines d’entraînement du même type existent également en dentaire.

Mon espoir est que ces machines médicales deviennent les premières applications des technologies de la robotique humanoïde réellement utiles à grande échelle.

La recherche en robotique est sur la piste de l’homme. Par accumulation, elle permettra le développement de technologies nouvelles.

— Pouvez-vous nous raconter un résultat inattendu de la recherche sur les robots humanoïdes ?

Takanishi  Je travaillais depuis de longues années sur le robot bipède quand une idée m’est venue à l’esprit : Bon, maintenant, il marche à peu près, mais j’aimerais qu’il serve à quelque chose de plus utile. Et là, j’ai pensé à la chaise roulante, ou la chaise roulante électrique. Malheureusement, une chaise roulante ne peut pas monter ni descendre un escalier ou une grande marche. Les escaliers ont été conçus parce que les humains sont bipèdes, un cheval ou un quadrupède a du mal à monter un escalier. Alors, je me suis dit : si on remplaçait les roues de la chaise roulante par deux jambes, elle pourrait monter et descendre les escaliers. Ça m’a ouvert les yeux. J’en ai parlé à la société avec laquelle nous travaillons sur le simulateur de chirurgie dentaire, et nous avons engagé le développement d’un robot bipède qui porte un homme et est capable de monter et descendre, autrement dit une « chaise avec deux jambes ».

Le problème, c’était que le robot bipède, quand il portait un homme, manquait un peu de force pour marcher. Je me suis alors rappelé que les muscles humains sont attachés parallèlement au squelette, et c’est ce qui nous permet des mouvements extrêmement rapides, de déployer une grande force, et de faire bouger les objets avec une grande précision. En reproduisant cette structure, il était possible de limiter le poids du robot à 65 Kg batteries comprises, tout en supportant la charge d’un homme de 80 Kg et de marcher avec.

Un autre problème était le risque de chute pendant la marche, dû au poids et au centre de gravité qui changerait chaque fois qu’un humain différent utiliserait la chaise. Nous avons donc développé une technologie adaptée au robot qui lui évitait de tomber. Cette « chaise à deux jambes » fut présentée à Los Angeles en 2007 à l’occasion d’une exposition de robots. Pendant les quelques jours de la manifestation, 170 visiteurs l’ont testés, et il n’est pas tombé une seule fois.

Le point de vue de la robotique selon le professeur Katô, c’est que reproduire une fonction ou un mouvement humain, c’est précisément atteindre à la compréhension de l’humain. Dans les robots d’autrefois, vous aviez le tronc et les jambes qui sortaient directement du tronc. Or, si vous observez bien le corps humain, vous vous apercevez qu’entre les deux se trouve le bassin. Une fois que vous prenez conscience de cette structure et que vous introduisez la fonction du bassin dans le robot, vous parvenez à lui faire tendre le genou. La structure du corps humain est la donnée première, à partir de laquelle le système de la marche découle comme une conséquence. Le robot suit cette trace.

Pour fabriquer un robot humanoïde, je pars toujours de l’observation de l’humain. Et avec « la chaise à deux jambes », j’ai acquis une certitude : le jour où l’accumulation de recherches sur le corps humain sera suffisante pour fabriquer un robot qui sera utile à l’homme, alors il lui sera vraiment extraordinairement utile.

Propos recueillis par Harano Jôji, Directeur représentatif, Nippon Communications Foundation

Photographies : Matsuda Tadao

 

Tableau synoptique de l’histoire de la robotique (compilé par M. Takanishi)

époqueévénement
3e s. avant J-C Talos, l’homme de bronze, apparaît dans la mythologie grecque
Vers 25 avant J-C Apparition la théorie définissant tout outil ou machine comme une projection des organes humains sur le monde extérieur. Ainsi commence la technologie à l’imitation de l’homme.
1er s. Fabrication d’automatismes comme une porte automatique, par application du principe du siphon.
12e s. Perfectionnement des mécanismes d’horlogerie, conduisant à la mécanique de précision.
17e s. Automates anthropomorphes en Occident
Poupées mécaniques au Japon
19e s. Apparition de l’idée selon laquelle, s’il est possible de construire des mouvements d’horlogerie précis, il doit être possible de fabriquer un homme selon les mêmes principes.
Invention de la machine à vapeur, révolution industrielle
Création du mot « androïde », signifiant : machine à la ressemblance de l’homme
20e s. Invention de l’ordinateur
Dépôt du brevet d’un robot pour l’industrie (1954, États-Unis)
Création du premier robot humanoïde du monde : WABOT-1 (1973, Japon)
Forte expansion du marché du robot industriel → 1980, an 1 de l’ère du robot


Expression faciale de KOBIAN-R \"surprise\"


Expression faciale de KOBIAN-R \"neutre\"


Expression faciale de KOBIAN-R \"bonheur\"


Expression faciale de KOBIAN-R \"tristesse\"


Expression faciale de KOBIAN-R \"dégoût\"

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