Quand gourmandise rime avec plaisir

Découvrons le Japon l’eau à la bouche avec le journaliste gastronomique Michael Booth

Gastronomie Culture

L’auteur et journaliste britannique Michael Booth est connu pour son amour du Japon et de la cuisine japonaise, une passion qu’il partage dans ses livres tels que Sushi and Beyond: What the Japanese Know About Cooking, publié en 2010. Nous l’avons rencontré lors de son énième passage dans l’Archipel. Assis à une table d’izakaya à Tokyo, il nous a raconté quelques anecdotes sur la gastronomie nippone, ses voyages et bien plus encore.

Michael Booth Michael BOOTH

Auteur, journaliste et présentateur britannique. Ses critiques gastronomiques et touristiques, récompensées par de nombreux prix, portent principalement sur le Japon, la France et les pays nordiques. Il écrit pour des journaux tels que The Guardian, The Independent, The Independent on Sunday (édition dominicale), The Times, The Daily Telegraph ou le magazine culinaire américain Condé Nast Traveler. Il est également l’auteur de Sushi and Beyond: What the Japanese Know About Cooking et de The Almost Nearly Perfect People: Behind the Myth of the Scandinavian Utopia. Site web : www.michael-booth.com

Le livre de Michael Booth, Sushi and Beyond: What the Japanese Know About Cooking, d’abord publié en anglais en 2010, est devenu un best-seller au Japon suite à sa traduction en deux volumes en 2013 et 2014. Ce carnet de route se concentre sur ses propres voyages au Japon avec sa femme et ses deux jeunes fils, un ouvrage qui a trouvé écho auprès des Japonais puisqu’il a été adapté en manga et en une série de dessins animés de 24 épisodes de 20 minutes diffusés sur les chaînes nationales et internationales de NHK ainsi que sur Netflix Japan. Assis à une table d’izakaya dans le quartier d’Akasaka à Tokyo, il nous a expliqué comment il a appris à connaître le Japon par sa gastronomie.

Un amour pour la nourriture japonaise et les voyages dans l’Archipel

——Quelle est l’anecdote la plus marquante vécue lors de vos recherches pour votre livre Sushi and Beyond ?

MICHAEL BOOTH   Je me souviens avoir déjeuné avec des lutteurs de sumô, une expérience formidable. Ce qui est génial lorsqu’on voyage avec des enfants, c’est d’abord de voir le monde à travers leurs yeux, et aussi de provoquer des réactions différentes, justement parce que vous êtes avec des enfants. Avoir vu un rikishi (lutteur de sumô) jouer avec mes enfants dans l’écurie de sumô est un souvenir inoubliable. Et avoir pu déjeuner avec eux était fascinant : nous avons vu ce qu’ils mangeaient, du ragoût chanko-nabe et du « SPAM », une sorte de jambon en boîte de conserve. Une nourriture plutôt saine, mais dans des quantités énormes.

——Quel est le plat le plus mémorable et le plus exotique que vous ayez dégusté pendant ce voyage ?

BOOTH   Je me souviens que nous sommes allés à Okinawa à la fin du voyage, et j’ai eu l’occasion de goûter des algues appelées umibudô, ou « raisins de mer ». C’était la première fois. J’ai été vraiment très surpris. Ce souvenir est resté gravé en moi et m’a donné envie d’en savoir encore plus. Je viens de terminer un autre livre pour lequel nous avons fait le même voyage, mais dans l’autre sens. Je suis retourné sur place, où j’ai fait des recherches sur l’umibudô – les lieux de production, etc. La peau de tofu « yuba » est également un mets incroyable et unique que j’adore. Et bien sûr, parmi les incontournables, j’aime beaucoup le miso, le saké et le katsuobushi (des copeaux de bonite séchée). J’ai aussi goûté des arêtes d’unagi (anguille).

——Vous avez vraiment goûté toutes les spécialités, alors ?

BOOTH   Pour être honnête, il y a certains plats que je ne tiens pas particulièrement à déguster une deuxième fois. J’ai à plusieurs reprises essayé le nattô, le soja fermenté, mais il ne compte pas parmi mes plats favoris. Pas plus que l’igname râpée yamaimo ou le mozuku (des algues brunes en filaments).

——Vos voyages ont-ils forgé une admiration particulière pour certains chefs ?

BOOTH   J’ai eu la chance d’aller chez Sushi Jirô dans le quartier de Ginza, à Tokyo. Malheureusement pour moi, c’étaient les meilleurs sushis que j’aie jamais mangés ! Les prix sont ridiculement élevés et il est pour ainsi dire impossible d’obtenir une réservation, mais c’était une expérience incroyable. Jirô était très strict quand il faisait les sushis, il n’a pas dit un mot, mais après, il s’est montré très agréable et bavard. Il sait très bien laisser vieillir le poisson, cela lui confère une saveur et une richesse incroyables, contrebalancées par un riz fortement vinaigré, ce que j’aime beaucoup. Je ne m’attendais pas à ce que ce mariage ait autant de force. C’était vraiment l’un de mes meilleurs repas au Japon.

De l’écriture à la gastronomie, puis retour à l’écriture

——Comment êtes-vous devenu auteur ?

BOOTH   Après avoir obtenu mon diplôme en littérature anglaise, j’ai travaillé à la télévision, mais j’ai détesté ça, alors j’ai filé à Bangkok où j’ai commencé à écrire pour un magazine en anglais. J’ai fini par retourner en Angleterre pour suivre un cours de troisième cycle en journalisme, après quoi je me suis installé à mon compte. Quand j’ai rencontré ma femme, qui est danoise, elle m’a en quelque sorte traîné à Copenhague, où l’une des premières missions que j’ai décrochées a été la rédaction du guide Time Out de la ville. J’étais en charge de la section « restaurant ». Je me suis rendu compte que je ne connaissais pas grand-chose à la gastronomie, et que je ne pouvais pas vraiment critiquer des chefs ou écrire sur eux sans rien savoir. C’est ce qui m’a amené à Paris pour suivre une formation de chef-cuisinier.

——Cuisinez-vous toujours ? Est-ce que vous cuisinez des plats japonais chez vous à Copenhague ?

BOOTH   On ne peut pas dire que je cuisine japonais mais j’utilise des ingrédients japonais, par exemple le miso pour faire mariner le poulet ou relever un ragoût. J’utilise aussi du saké et du mirin (assaisonnement sucré à base de saké) pour une marinade à l’ail, au gingembre et à la sauce de soja. J’aime le wasabi frais sur du carpaccio et le yuzu se marie à merveille avec le chocolat. Le parmesan, les graines de sésame et le ponzu (sauce soja aux jus d’agrumes acides) rendent n’importe quel plat délicieux. Je pourrais en mettre sur ma chaussure et la manger !

——Comment a été accueilli Sushi and Beyond par vos lecteurs et téléspectateurs japonais ?

BOOTH   Je n’ai pas écrit en pensant aux Japonais. Ce livre avait pour ambition, comme le suggère son titre, de faire découvrir la nourriture japonaise, par-delà les sushis, à mes lecteurs britanniques et américains. Un éditeur a décidé de le publier au Japon environ trois ans après sa parution en Grande-Bretagne, ce qui a été une grande surprise pour moi. Je pensais qu’il pourrait être tiré à un petit nombre d’exemplaires, mais il s’est très bien vendu au Japon. J’étais incroyablement reconnaissant et surpris.

Ensuite, proposition pour le moins inattendue, j’ai reçu un courriel du service d’animation de NHK. Ils étaient intéressés pour en faire une version animée. Les producteurs sont venus me rendre visite jusqu’au Danemark pour me persuader de leur sérieux. La série a été une énorme réussite. Je ne m’attendais pas à autant d’opportunités couronnées de succès.

L’une des cultures gastronomiques majeures dans le monde

——Parlez-nous de votre dernier voyage au Japon.

BOOTH  Mon prochain livre s’appellera The Meaning of Rice, c’est un nouveau voyage au fil d’une trentaine d’anecdotes sur la nourriture qui ont jalonné notre chemin. On y parle de tout, des plats à base d’insectes de Nagano, à une expédition en compagnie de pêcheurs à Hokkaidō en quête d’uni (oursin), en passant par la recherche des meilleures algues séchées du Japon, les Asakusa nori… J’ai également eu l’honneur d’être juge à la World Sushi Cup à Tokyo, une expérience quelque peu étrange. J’ai aussi rencontré un incroyable chef manchot, spécialisé dans les ramen. Il a perdu son bras dans une machine à malaxer la pâte pour confectionner les nouilles.

——Après toutes ces expériences au Japon, quel est votre plat local préféré ?

BOOTH  Puisque je vis en Europe, c’est toujours les choses introuvables là-bas que je préfère. Des aliments comme le tofu et le yuba. Les morceaux de poisson inaccessibles comme l’ankimo, le foie de lotte, ou le shirako, la laitance de poisson, notamment de morue. Et aussi la variété et la qualité des poissons. L’autre soir, j’ai dégusté un sushi d’amadai (Branchiostegus japonicus) à la vapeur fabuleux, je n’en croyais pas mes papilles ! Mais là où je vis, on ne trouve que de la morue et du saumon d’élevage.

Izakaya, lieux incontournables

——Que vous inspire les lieux de restauration comme l’ izakaya ?

BOOTH   L’izakaya est vraiment mon lieu de prédilection pour manger. J’aime la qualité, la variété et le fait que les ingrédients utilisés soient de saison, ainsi que l’imagination dont font preuve les chefs. Ils se débrouillent toujours pour créer des plats que vous n’avez jamais vus. À chaque fois, c’est une nouvelle expérience.

(Voir notre article lié : Les « izakaya », entre bar et bistro)

——Quelle place donneriez-vous à la gastronomie japonaise par rapport à celle des autres pays du monde entier ?

BOOTH   Je pense qu’il y a cinq grandes cuisines dans le monde : mexicaine, chinoise, française, italienne et japonaise. La cuisine japonaise est ma préférée. J’adore la cuisine française – j’ai suivi une formation comme chef au Cordon Bleu à Paris pendant un an, j’ai un grand respect pour la cuisine française. Mais la gastronomie nippone a cette diversité incroyable, régionale et saisonnière, et le souci de préparer un plat savoureux en tenant compte de ces critères. J’ai déjà écrit deux livres sur le Japon, et je pourrais facilement en écrire trois autres, sur un thème différent à chaque fois. Je viens d’aller dans la préfecture d’Ôita pour la première fois. La nourriture est incroyable, autant le poisson-globe fugu que les onsen tamago, les œufs bouillis dans les sources chaudes ! J’essaie toujours d’encourager les gens à s’aventurer plus loin lorsqu’ils viennent ici. Bien sûr, Tokyo est une ville incroyable et vous pouvez passer y un bon moment. Mais, et j’insiste sur ce point, d’autres endroits gagnent à être connus au Japon.

——Quels sont vos conseils pour les gourmands qui viennent visiter le Japon ?

BOOTH   Téléchargez l’application Google Translate, qui vous permettra de fréquenter des endroits comme cette izakaya en pointant simplement sur le menu ce que vous souhaitez. Cela semble banal, mais ces établissements sont très intimidants pour les étrangers car il n’y a pas de menu en anglais. Sinon, il vous faudra montrer du doigt la nourriture d’un autre client pour commander la même chose, et c’est beaucoup plus embarrassant. Je conseille également de se procurer un routeur Wi-Fi portatif pour avoir accès à internet n’importe quand. Vous pouvez ainsi marcher dans la rue et savoir ce que tel ou tel restaurant sert. Et ça, ça change tout.

——Avant de venir au Japon, vous avez lu le livre de l’expert culinaire Tsuji Shizuo. Pensez-vous que les gourmets devraient étudier la gastronomie japonaise avant leur arrivée ?

BOOTH   Ce n’est pas un voyage scolaire, alors non, je ne pense pas que cela soit nécessaire. Peut-être lire des articles en ligne, consulter des blogs et voir un peu ce qui se passe. Mais je ne pense pas qu’il faille à proprement parler étudier la gastronomie comme je l’ai fait. Par contre, on peut acheter mon livre, bien sûr !

(D’après un texte original en anglais du 31 mai 2017. Photo de titre : Michael Booth savoure une coupelle à l’izakaya Marushige, à Akasaka, à Tokyo. Entretien : Tim Hornyak Photos : Motono Katsuyoshi)

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