La modernité de l’esthétique traditionnelle

Des broderies palestiniennes sur les ceintures de kimono

Culture

Une entrepreneuse culturelle japonaise, fascinée par les broderies traditionnelles palestiniennes aux motifs si colorés, est en train d’en diffuser l’appréciation parmi le public japonais en les adaptant sur des obi, les larges ceintures de kimono. Derrière cela, il y a également l’idée de former de nouvelles brodeuses et aider à la création d’emplois pour les femmes qui vivent dans les zones de conflit.

Un objet d’art unique au monde

En mai de cette année, une présentation de obi (ceintures de kimono) décorés de broderies palestiniennes a eu lieu à la résidence de l’ambassadeur (chef de la mission générale permanente) de Palestine au Japon, dans le quartier de Gotanda à Tokyo. Ce type d’événement a pour but de promouvoir les échanges culturels avec des pays ou des territoires encore peu familiers des Japonais, comme l’explique Yamamoto Maki, présidente de International Culture Exchange Japan (ICEJ).

Combiner les motifs des vêtements traditionnels palestiniens pour les adapter sur des ceintures de kimono est pour le moins original, et pourtant, aucune dissonance, aucun désaccord n’est perceptible. Comme le dit une dame allemande : « Les couleurs sont légères et s’harmonisent bien avec le kimono. Ce sont des œuvres uniques de grande valeur. »

Ces broderies sont toutes réalisées à la main par des artisanes locales. Chacune demande cinq à six mois de travail. Actuellement, seules sept ceintures de kimono ont été réalisées. Le prix dépend des couleurs et de la complexité du design, mais commence à environ 200 000 yens. Les pièces ne sont fabriquées qu’à réception d’une commande ferme. En ce moment, la commande d’une patronne de restaurant traditionnel de Kyoto est en cours de fabrication.

Pièce de broderie palestinienne retravaillée en obi. Les motifs traditionnels des vêtements palestiniens ont été combinés entre eux pour s’harmoniser avec l’esthétique du kimono, puis la pièce a été réalisée par une brodeuse de la banlieue de Ramallah, en Cisjordanie. Remarquable précision du point de croix.

Sympathie pour un peuple qui préserve sa culture au milieu du conflit

Depuis sa rencontre avec Maali Siam, épouse du chef de la mission de Palestine à Tokyo, Mme Yamamoto a participé à de nombreux événements de charité pour la Palestine. En approfondissant leurs liens d’amitié, l’intérêt de Mme Yamamoto pour la région natale de Mme Siam a grandi. Elle l’a visitée une première fois en 2013, au cours d’un voyage parrainé par l’Autorité palestinienne.

Au cours de son séjour, elle a visité Jérusalem, la Cisjordanie et Bethléem, et a découvert une nature riche, des villes actives, une cuisine très attentive au goût des saisons et une vie quotidienne d’une variété inconnue au Japon. Mme Yamamoto, qui maîtrise la danse traditionnelle japonaise et la cérémonie du thé, porte souvent le kimono dans la vie quotidienne. Elle est tombée sous le charme des broderies palestiniennes colorées.

« Chaque motif, qu’il s’agisse d’animaux ou de végétaux proches de la vie quotidienne des agriculteurs et des éleveurs, possède son histoire. Et c’est tellement beau, c’est empreint d’une telle chaleur que seule la broderie à la main peut procurer que j’en suis tombée amoureuse au premier regard. »

Mme Yamamoto a également vu la réalité des zones de conflit. Elle s’est par exemple rendue à Bil’in, un village de Cisjordanie occidentale. Des manifestations de protestation contre la politique d’occupation d’Israël ont lieu chaque semaine, dans ce village cerné par les colonies juives.

« J’ai entendu un sifflement, c’était une grenade lacrymogène, lancée par un char israélien, et j’ai respiré ce gaz. J’ai vraiment eu peur d’assister à un affrontement. Les journalistes locaux, les yeux rouges et pleurants, continuaient à faire leur reportage. Et en dehors de cela, dès qu’on s’éloigne du lieu de la manifestation, le peuple poursuit sa vie dans le calme. Quand j’ai vu les Palestiniens maintenir une richesse culturelle si forte malgré la situation de l’occupation, je me suis dit que j’avais envie de faire quelque chose avec eux.

Yamamoto Maki

L’année suivante, Mme Yamamoto a quitté sa carrière pour un fabricant de cosmétiques chez qui elle travaillait depuis dix ans. Elle a alors fondé l’ICEJ, une société active dans les échanges culturels internationaux. La production et la commercialisation de broderies palestiniennes fait partie de ses toutes premières activités.

« La situation palestinienne est grave. L’aide des organisations internationales, gouvernementales et non gouvernementales est fondamentale, mais pour ma part, je veux agir au niveau de l’entrepreneur individuel, en contact direct avec les travailleurs sur place. »

Unir l’artisanat palestinien avec l’artisanat japonais

Mme Yamamoto a choisi de créer un partenariat d’affaires avec Inash al Usra, une organisation à but non lucratif pour la formation des femmes palestiniennes, qui produit des broderies de grande qualité depuis plus de 50 ans. Les brodeuses sont des villageoises dont l’association soutient l’indépendance économique.

Une brodeuse pour Inash al Usra, dans la banlieue ouest de Ramallah (Photo avec l’aimable autorisation de l’ICEJ)

Mme Yamamoto, qui s’est rendue plus de dix fois en Palestine au cours des quatre dernières années, a elle-même visité les villages alentour où vivent les brodeuses.

« Je leur ai montré comment porter le kimono et comment nouer le obi. Elles ont été enthousiastes pour participer à ce projet. Et j’espère que le fait de voir leur travail apprécié par des gens si loin de là leur apportera une nouvelle fierté pour leur travail et leur culture. »

Il lui est arrivé de se trouver en désaccord avec les gens de Inash al Usra concernant le processus de production.

« Il arrivait que le produit ne soit pas conforme à la commande. Au début, j’achetais quand même, en me disant qu’il n’y avait pas le choix. Puis je me suis dite que ce n’était pas la bonne façon de faire, ni pour eux, ni pour moi. Et je me suis décidée à devenir plus sévère sur le respect des engagements et les produits défectueux. Les consommateurs japonais, eux, sont exigeants et ne transigent pas sur la qualité. »

L’extérieur de la broderie palestinienne est en coton, cousue sur une doublure en soie de Nishijin (Kyoto) pour les obi par une couturière professionnelle de vêtements japonais.

« C’est l’exigence d’un produit aussi beau sur la face non visible que sur le devant qui permet, en mettant en valeur les qualités du travail des artisanes japonaises et palestiniennes, de réaliser une véritable œuvre de collaboration. »

Ueki Yoshimi, une couturière homologuée par l’État de premier niveau pour la confection des vêtements traditionnels japonais, réalise la finition du fukuro-obi (ceinture doublée). « Pour moi, la Palestine était le nom d’une zone de guerre. J’ai été émue d’apprendre que c’est également un endroit qui possède un riche artisanat, déclare celle-ci », déclare-t-elle. (Photo avec l’aimable autorisation de Matsukawa Chôseijo)

Maali Siam et Takaoka Toyoko, habilleuse de kimono

Soutenir l'indépendance économique des femmes

Mme Yamamoto a également en projet de promouvoir la formation professionnelle de jeunes brodeuses en Palestine. L’âge moyen des brodeuses ne cesse d’augmenter, et celles-ci ont de graves difficultés à trouver des jeunes sur place pour prendre la relève. Mme Yamamoto a donc décidé d’offrir un débouché aux jeunes brodeuses, en leur achetant à elles aussi des produits, moins chers, pour commencer. Elle pense ainsi préserver l’héritage culturel et favoriser la transmission d’une génération à l’autre, tout en soutenant l’indépendance économique des femmes palestiniennes.

En effet, l’évolution des styles de vie fait diminuer le nombre de Palestiniennes détentrices de cet art, tout comme le nombre de femmes qui portent le kimono diminue au Japon. Or, pour Mme Yamamoto, il est important que les savoir-faire traditionnels continuent à se transmettre activement.

« En mariant les différentes traditions culturelles, une nouvelle valeur est créée. Je suis heureuse de poursuivre la création d’œuvres de réelle beauté, tout en favorisant l’intérêt des Japonais à la Palestine à travers ces broderies de ceintures de kimono. »

C’est comme une ceinture qui relie le Japon et la Palestine. Ainsi les regards des femmes voient beaucoup plus loin que leurs mains qui s’activent sur la broderie.

(D’après un reportage réalisé par Watanabe Maho, Nippon.com. Photos : Suzuki Aiko)

Page Facebook de l’ICEJ

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