Le Pays de Cocagne des « kyara »

Le sommet des mascottes « yuru kyara »

Culture

L’écosystème japonais abrite un nombre étonnant d’espèces de mascottes publicitaires ou promotionnelles, appelées yuru kyara. Fin novembre 2012 s’est tenu à Hanyû, dans la préfecture de Saitama, un grand sommet national, qui a vu la concentration de plus de 200 mascottes, accompagnées de centaines de milliers de fans, et d’un reporter occidental qui a essayé de comprendre ce que tout ça pouvait bien vouloir dire.

Dans certains pays, une règle non écrite interdit aux mignonnes mascottes de s’éloigner de leurs territoires naturels, à savoir les stades et les parcs de loisirs. Mais pas au Japon, où ces créatures de mousse s’égayent en liberté, où pas une ville n’est trop petite, pas un produit de consommation trop générique, pas une campagne promotionnelle trop confidentielle pour se passer d’une mascotte originale spécialement crée pour l’occasion.

Ces mascottes promotionnelles sont appelées gotôchi kyara (mascottes locales) ou yuru kyara, terme inventé par l’illustrateur Miura Jun, à partir de la combinaison de deux mots, kyara pour « personnage, caractère » et yuru qui signifie « en liberté, errant, fantomatique ». Il faut bien dire que ce nom, qui exprime tout à fait l’impression définitivement barrée qui se dégage du provincialisme de ces mascottes, leur va comme une combinaison en peluche.

Les 24 et 25 novembre 2012, plus de 250 yuru kyara venant de tout le Japon se sont regroupés à Hanyû, dans la préfecture de Saitama, pour le « Sommet des Yuru Kyara ». L’événement a attiré pas moins de 300 000 visiteurs en apparence sains d’esprit dans cette localité de la lointaine banlieue de Tokyo. J’ai donc moi aussi fait le déplacement pour me faire une idée de ce que signifiait toute cette effervescence.

Il faut avouer que se trouver en compagnie de quelques centaines de mascottes toutes plus bizarres les unes que les autres errant en liberté dans un parc est une expérience assez dérangeante pour le néophyte. Toutes ces couleurs, tous ces sourires (je veux dire, au moins sur les mascottes possédant une bouche), tous ces personnages aux formes d’animaux, de fruits ou de légumes (ou de combinaison infernale des trois), chacun d’eux convaincu d’être plus mignon que leur voisin, il y a de quoi avoir peur.

Le parc était équipé de stands qui présentaient les produits de leur région d’origine, vantés par chacune des mascottes en question. Il y avait aussi deux scènes où les mascottes attendaient leur tour pour être présentées à leurs fans et s’agiter en rythme au son de leur chanson attitrée. Le reste du temps, les mascottes vaquaient en toute liberté dans le parc, accompagnées de leur assistant, dévoués à la distribution de cartes de visite de la mascotte, carte de visite souvent d’un design très élaboré.

Au bout d’un moment, je me suis rendu compte que j’avais une gênante tendance à tourner autour des mascottes les plus bizarres, peut-être parce qu’au dessus d’un certain seuil de concentration, le degré de « kawaïtude » des mascottes « normales » semble s’annuler mutuellement.

Ma première rencontre avec Chitchai Ossan.

Chitchai Ossan vient d’Amagasaki, préfecture de Hyôgo, fut l’une de mes premières rencontres, et l’une des plus déconcertantes. Son nom le désigne comme « le p’tit père », mais un coup d’œil sur sa fiche de présentation vous apprend quelques détails : ce serait plutôt le « p’tit — à ventre rond, bourré au saké, chauve et débraillé — père ». Son assistant me dit qu’il tire son origine du fait que la ville d’Amagasaki est habitée par de nombreux p’tits pères pas très différents de ce modèle, et tous très gentils. Bon. On attire le touriste comme on peut, hein…

Melon Kuma prend son élan avant de sauter sur sa cible, sous l’œil de son assistante.

Un autre personnage qui a fait l’impasse sur le « kawaii » fut pour moi le Melon Kuma, un ours d’apparence très féroce avec un crâne de la forme, de la couleur et de la texture d’un melon. Il vient de Yûbari, à Hokkaidô, localité célèbre pour ses cultures de melons, et souvent visitée par des ours qui apprécient beaucoup les melons. La mascotte elle-même est assez effrayante, mais est accompagnée d’une assistante charmante pour deux, en la personne d’une adorable vieille dame, elle aussi affublée d’une tête en forme de melon.

J’ai eu plus de mal avec Goo-Goo le Hambearger. Pour moi, avec les bras écartés et ce que j’identifiais comme des traces de pneus sur le corps, cet ours devait faire partie d’une campagne de prévention de la sécurité routière. Pas du tout. En fait, cette mascotte a été créée par une association de la préfecture de Shizuoka pour promouvoir la consommation de hamburgers. Bref, ce n’étaient pas des traces de pneus mais les marques du grill sur la viande. Enfin, je veux bien les croire…

Peccary est une sorte de croisement improbable entre un renard et un cochon fumé. Il vient du Musée des Arts d’Amérique centrale et du Sud de Bizen, dans la préfecture de Okayama. Il était accompagné du conservateur du musée, en costume historique. Pour ma part, cette mascotte a gagné haut la main le prix du bipède le plus horrible du week-end.

Le plus simple est toujours le meilleur, c’est cette approche qui m’a attiré vers quelques autres mascottes. Et dans le genre simple, sans doute aucune n’a fait mieux que Konnyakun, mascotte de l’association qui fait la promotion du konnyaku — un ingrédient culinaire presque sans goût qui ressemble à une gelée. Franchement, on ne pouvait penser mieux qu’un coussin de sofa gris pour évoquer cette masse gélatineuse.

Dans le sens des aiguilles d’une montre : le trio des Saipon, Peccary, Konnyakun et Goo-Goo le Hambearger.

Mais que fait la police ? se demanderont peut-être certains. Ceux qui pensent que les autorités devraient promptement décréter l’extermination de ces bestioles apprendront avec tristesse que les forces d’auto-défense basées dans la préfecture de Saitama étaient représentées par le trio Saipon. J’ai réussi à repérer leur stand camouflé et j’ai pris quelques photos des trois. Leur message de présentation m’a appris que, bien que de nature très gentille, ils pouvaient terrasser un lion rien qu’en lui soufflant dessus quand ils étaient en colère. Je me le suis tenu pour dit et je me suis tenu à carreau.

Il ne m’a pas été très difficile de repérer les plus célèbres des mascottes : il suffisait de voir où s’agglutinaient le plus grand nombre de fans. Quand Hikonyan, de la préfecture de Shiga, a investi la scène, on a frisé l’émeute. Cette mascotte, créée pour fêter le 400e anniversaire du château de Hikone, est l’un des tout premiers yuru kyara superstar. Puis est arrivé Nishiko-kun, mascotte de Nishi-Kokubunji, un quartier de banlieue de Tokyo, l’étoile montante bien prête à se faire sa place au firmament des stars, déjà célèbre pour sa très seyante paire de jambes (humaines) en collants gris.

Hikonyan, la légende vivante sur scène (gauche), et Nishiko-kun pendant une pause (droite).

Et tout le monde connaît Sento-kun avec sa tête de petit bouddha et ses ramures de daim sur la tête, créé en 2008 pour fêter dignement le 1300e anniversaire de l’ancienne capitale de Nara. Sento-kun avait pourtant fait de piètres débuts, qualifié de kawaïkunai (pas mignon), la pire insulte qui puisse exister au Japon où seul ce qui est mignon et adorable a une raison d’être. Puis finalement, il a réussi à se faire une place dans le cœur de nombreux fans malgré (ou peut-être justement à cause de) ce manque de kawaïtude. Personnellement, j’étais prêt à le prendre de haut après avoir vu quelques photos. Mais je suis tombé sur lui par hasard et j’ai tout simplement craqué devant le petit bout de chou avec ses grands yeux ronds et son air de dire « zut alors, j’crois bien que j’ai des ramures sur la tête… ».

Qui peut résister au charme de Sento-kun ?


Attention, la star Barî-san passe !

Mais la star incontestable, élu kyara le plus populaire de l’année lors de cette convention, fut Barî-san, de Imabari, dans la préfecture de Ehime, un poussin géant avec une couronne en forme du Pont du détroit de Kurushima sur la tête. Je l’ai à peine entraperçu alors qu’il filait à une allure impressionnante pour rejoindre la scène. J’ai  peine eu le temps de déclencher à l’instinct mon appareil photo, avant de manquer me faire marcher dessus par les fans et les reporters.

Yama Daruma, ou la rencontre du yuru kyara et du cosplay…

Me remettant rapidement de ma rencontre un peu brutale avec la gloire, je suis tombé cette fois sur Yama Daruma, mascotte représentant, eh bien… oui, Madame Yamada Ruma, la dame dans le costume. Sauf erreur de ma part, elle était la seule fan de yuru kyara à être venue elle-même en mascotte, dans un costume rouge évoquant la forme des poupées poussah-daruma.

Au cours de cette journée, je suis tombé à plusieurs reprise sur Chitchai Ossan, et à chaque fois, la foule qui l’entourait était plus grande. La dernière fois que je l’ai vu, il était entouré de deux très belles jeunes femmes qui l’interviewaient. Car à la différence de la plupart des mascottes, Chitchai Ossan parle (malheureusement). Il avait déjà la grosse tête, et l’attention des média n’avait pas inversé la tendance, c’est clair. Je doute que ses cousins les p’tits pères de Amagasaki aient autant de succès…

Au retour, dans le train qui me ramenait à la maison, j’ai d’ailleurs eu l’occasion de voir de près l’un de ces p’tis pères, bien imbibé au saké, et je crois bien que j’ai préféré la version yuru kyara.

Chitchai Ossan entouré de belles jeunes femmes.

(Original en anglais et photographies de Michael Schauerte)














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