L'histoire du whisky japonais

Le whisky « Made in Japan » devenu un label de classe mondiale

Culture

L’époque héroïque de Taketsuru Masataka ne pouvait s’arrêter à simplement produire un whisky « Made in Japan », il fallait que celui-ci fût le meilleur du monde. Deux générations furent nécessaires pour en arriver là, mais l’esprit du grand pionnier flotte encore sur les alambics…

Suite de la deuxième partie : La naissance du whisky « Made in Japan »

L’engouement pour le whisky au Japon qui a commencé après-guerre n’a duré qu’un quart de siècle. Après une longue période de stagnation, le marché a enfin trouvé le chemin de la croissance en 2009 avec le boum des long drinks à base de whisky (« Highball »). Les ventes de whisky progressent pour la cinquième année consécutive en 2013. La campagne publicitaire lancée par Suntory pour les Highballs a su faire de nouveau apprécier le whisky aux jeunes générations.

Le Single Malt Hakushu, né à la distillerie du même nom fut également un succès, grâce une image portée par « l’odeur fraîche de la forêt ». M. Ono Takeshi, directeur de la distillerie de Hakushu, explique :

« Tous les âges de la marque ont des caractères différents qui peuvent être représentés par des symboles végétaux : une feuille jaune pour le whisky jeune, une feuille verte pour le 12 ans d’âge, un fruit à maturité pour le 18 ans d’âge, une confiture épaisse pour le 25 ans d’âge. Et chacun est associé au cycle des saisons de la forêt. »

(À gauche) M. Ono Takeshi directeur de la distillerie Hakushu. (À droite) Single Malt Suntory, Hakushu 25 ans.

Suntory a repensé sa production de zéro

M. Ono a rejoint Suntory en 1989. Dans un contexte très défavorable, il a pris les rênes de la production, en tant qu’ingénieur et master blender.

Le moût fermente avec dégagement de mousse.

Aux alentours de 1990, Suntory a décidé de repenser la production et la création des whiskies en introduisant une attitude scientifique. Jusqu’alors, on en était encore à confier les décisions essentielles à l’intuition et à l’expérience de l’ingénieur. 

« Il s’agissait par exemple d’étudier de façon scientifique à quel point du développement de la levure la production de goût umami est optimale. Car la levure se développe en passant par diverses phases : croissance, maturation, vieillissement. Où bien concernant l’épaisseur de la mousse que l’on laisse se produire au début de la fermentation, on a remarqué qu’une couche épaisse de mousse produisait une plus importante quantité d’umami. On a également étudié le transfert d’un acide aminé dans le moût, etc. Toutes les analyses possibles ont été menées. »

« L’époque où le marché croissait tout seul était révolue, nous avions conscience qu’il fallait faire quelque chose, créer de meilleurs produits. Notre single malt Yamazaki a été lancé dès 1984, mais l’étape suivante consistait à produire des bases de malts plus individualisées. Et le moment était venu aussi de renouveler notre approche commercialisation. »

Car, comme le dit M. Ono : « Il ne suffit pas de refaire la même chose que ce qui a marché une fois pour obtenir le même whisky. » La pression atmosphérique, l’hygrométrie… toutes ces conditions environnementales changent et influent sur le brassage, la fermentation.

« Accumuler le savoir-faire pour optimiser le réglage des processus en finesse prend énormément de temps. Ce site a été créé il y a 33 ans, et avec le temps nous avons relevé le niveau », dit M. Ono en faisant retour sur le passé.

La première étape de la fabrication d’un whisky de malt s’appelle le maltage, et consiste à faire germer l’orge puis à le fumer à la tourbe. Ensuite, l’orge germée (le malt) est concassée et mouillée d’eau chaude pour produire le moût. C’est la deuxième étape. Le moût est alors transféré dans une cuve à fermentation avec addition de levure pour obtenir le wash. Au bout de 70 heures de fermentation, le wash titre entre 6° et 7° d’alcool.

(À gauche) Le mélange du malt broyé avec de l’eau chaude pour obtenir le moût s’appelle le brassage. (À droite) Fermentation du moût à la distillerie Hakushu.

La quatrième étape est la double distillation, c’est à dire que le wash passe deux fois à l’alambic (ou pot still). La base de distillation ainsi obtenue (appelée aussi new pot) est un alcool incolore titrant environ 70°. Le degré d’alcool est légèrement abaissé par adjonction d’une petite quantité d'eau, puis le whisky est conservé et mûri au moins 3 ans en fût. 3 ans est un minimum pour avoir le droit d’être appelé whisky, mais on peut le laisser beaucoup plus : 5 ans, 10 ans, 15 ans…

(À gauche) Différentes formes de pot still de la distillerie Hakushu. (À droite) Cuve de brassage de la distillerie Hakushu.

Nikka crée le meilleur single malt du monde

M. Sakuma Tadashi, master blender de Nikka (à gauche)

Au même moment, dans les années 1980, le rival de Suntory, Nikka, travaillait dans une direction similaire, derrière le slogan « Créons un whisky qui surpassera le monde entier ». Car avec la réduction des taxes aux alcools importés, le marché était globalement morose et les fabricants japonais savaient qu’ils se trouvaient dorénavant en concurrence directe avec les meilleurs whiskies étrangers.

M. Sakuma Tadashi, master blender chez Nikka depuis 1982 et qui a commencé sa carrière à Yoichi se souvient :

« Tous les techniciens du site se sont réunis et ont procédé à des essais sur tout : les matières premières, les levures, la futaille, tout a été remis en question, de la germination à la distillation. Toute l’entreprise s’est soudée autour du projet de devenir les meilleurs du monde. »

Ce n’est que 20 ans plus tard que cet effort se trouva récompensé. En 2008, le Single Malt Yoichi 1987 est élu Meilleur Single Malt du Monde aux World Whisky Award (WWA). C’était la première fois qu’un fabricant japonais obtenait le Prix du meilleur whisky du monde dans la catégorie des Single Malt. (Le monde reconnaît la noblesse du whisky « Made in Japan »)

M. Sakuma en est très fier :

« Nous avons obtenu exactement ce que nous avions visé, et ce n’était pas une coïncidence. D’autres prix ont suivi pour le prouver, et tous sont dû à l’amélioration technique à laquelle nous avions procédé dans ces années-là. »

En 1968, Taketsuru Masataka, le fondateur de Nikka, avait fait le récit de sa vie pour le journal Nihon Keizai Shimbun, dans la chronique « Mon Curriculum Vitae ». Parlant de son expérience de stagiaire à la distillerie du Glenlivet en Écosse en 1918, il écrivait : « Aujourd’hui encore, cette odeur incomparable qui suinte de la force de la tradition… Cette odeur, il n’est vraiment pas facile de la recréer… » Quel chemin parcouru depuis lors, quand on pense à la reconnaissance mondiale dont s’enorgueillit le whisky japonais !

Contraste entre Nikka et Suntory

Ces dernières années, les grands whiskies de Suntory et de Nikka sont devenus des habitués des labels de « Meilleur Whisky du Monde », « Hibiki » pour le blend et « Yamazaki » pour le Single malt chez Suntory, « Taketsuru » en Pure malt chez Nikka. Mais il est intéressant de prendre la mesure de la nuance entre les deux fabricants, nuance dans l’idéal de ce qu’est un grand whisky qui est en fait une bonne façon de mesurer la différence entre les whiskies japonais et les Scotch whiskies.

L’idéal recherché par Nikka est une extension du Scotch authentique. C’est ce qu’affirme M. Sakuma de Nikka, quand il dit :

« Nous ne faisons pas de différence entre notre whisky et le Scotch. De même nous n’avons aucune volonté de souligner une identité de whisky japonais par notre production. Parce que nous le fabriquons avec les mêmes mots, le même langage si je puis dire. La seule différence que vous pourrez trouver tient à une différence d’accent tout au plus. Par exemple, alignez 100 verres de Scotch et de Whisky Nikka. Vous ne parviendrez pas à distinguer lesquels sont Made in Japan.»

En revanche, chez Suntory, on affirme : « Il y a une différence de personnalité entre notre whisky et le Scotch whisky ». Ce qui est une affirmation naturelle pour une société leader de l’industrie, qui a assis sa place de n°1 en part de marché en élaborant des produits qui correspondent au goût de la cuisine japonaise.

M. Ono, directeur de la distillerie Hakushu chez Suntory, explique :

« Le Scotch whisky est une boisson née du climat de l’Écosse. Alors que dans notre esprit, le whisky japonais est façonné par les quatre saisons du Japon. Comparé au Scotch, la spécificité du whisky japonais est apportée par un climat plus doux, qui lui fait mieux profiter du vieillissement. En outre, la préférence pour l’équilibre et la souplesse, esthétique à l’origine poussée par le goût japonais, est aujourd’hui appréciée dans le monde entier. »

(Reportage : Ishii Masato, nippon.com. Photographies : Yamada Shinji.)

whisky