Sous le feuillage des arbres géants du Japon

Les géants de la forêt sous la neige

Culture

Dans le paysage en neige, les arbres géants imposent leur présence. Observez leur auguste image attendre le printemps avec sagesse, et vous sentirez certainement la débordante réserve de force vitale emmagasinée sous l’écorce.

Plus on se déplace vers le nord, plus les arbres à feuilles caduques laissent la place aux arbres à aiguilles persistantes. Leur forme végétative est plus adaptée pour se protéger des rigueurs de la neige et du froid. Et même eux, le cas n’est pas rare, peuvent perdre une branche maîtresse sous le poids de la neige. Quand c’est le tronc lui-même qui cède sous le poids, l’arbre y laisse la vie. On sent physiquement l’impatience avec laquelle ces êtres vivant attendent le printemps dans ces conditions extrêmes.

La région qui fait face à la mer du Japon, entre la région du Hokuriku et le Tôhoku, est l’une des plus enneigées du monde. Les arbres géants de ces régions sont quasiment impossibles d’accès en hiver, quand bien même il y aurait un hameau à proximité. La joie de les voir est évidemment d’autant plus grande. Contempler ces géants impassibles attendre la fonte des neiges et le retour du printemps est particulièrement émouvant.

Le Jiji-sugi du mont Haguro (Yamagata)

Espèce : cèdre du Japon (Cryptomeria japonica)
Localisation : Sanctuaire des Dewa sanzan – 7, Aza Touge, Touge, Haguro-machi, Tsuruoka-shi, Yamagata-ken 997-0211
Circonférence : 8,3 m, hauteur : 48,3 m, âge : 1 000 ans
Patrimoine naturel du Japon
Taille  ★★★
Vigueur  ★★★★
Forme  ★★★★
Branchage  ★★★
Majesté  ★★★★★

Le sentier vers le sanctuaire du mont Haguro se prolonge sur environ 2 kilomètres à partir de la porte de Zuishinmon. De part et d’autre des 2 446 marches de pierre, des sugi (cyprès du Japon, appelés aussi cryptomères) vieux de 300 à 600 ans vous accompagnent. Ils sont plus de 400, et l’atmosphère qui règne sous leur canope est très mystérieuse. Ici, il fait sombre même en plein jour. Le sentier dans sa totalité est protégé comme bien naturel national, et ce paysage est l’une des images emblématiques de la nature japonaise. Il est de plus en plus regardé comme un espace sacré, peut-être sous l’influence de la récente mode spiritualiste.

Dix minutes environ à monter dans la forêt de sugi, c’est juste le temps qu’il faut pour que vos pieds se fassent au chemin et que vous commenciez à vous sentir suffisamment à l’aise pour admirer un peu l’espace autour de vous. Soudain, une pagode à cinq étages semble jouer à cache-cache derrière les arbres. On la dit construite par Taira no Masakado (903 ?-940), et aujourd’hui, elle est classée au répertoire des trésors nationaux. Et à deux pas de la pagode, comme un huissier chargé d’introduire les visiteurs, un énorme sugi se tient droit et solennel : c’est le Jiji-sugi du mont Haguro. Vous le reconnaîtrez tout de suite, il se démarque de tous ceux de ses environs par sa taille et sa circonférence. Impossible de regarder ce géant qui perce les cieux sans ressentir une émotion devant cette profusion de masse.

On dit que jadis, un second sugi, encore plus grand, montait la garde auprès du sanctuaire du mont Haguro. À l’époque d’Edo, on les appelait « grand-père sugi » et « grand-mère sugi ». Nul doute qu’ils formaient alors un magnifique couple.

Mais en 1902, un typhon a abattu la grand-mère. On dit que le Jiji-sugi (jiji est une autre façon d’appeler un grand-père) fut tellement inconsolable d’avoir perdu sa moitié qu’on l’entendit gémir trois jours et trois nuits. Le survivant fut classé monument naturel national et prit officiellement le nom de Jiji-sugi à ce moment-là. Une autre hypothèse affirme l'inverse : le grand-père a été abattu et la grand-mère le pleura trois jours et trois nuits. Aucun moyen de savoir actuellement la vérité.

La forêt de grands cyprès du mont Haguro est un spectacle extraordinaire tout au long des quatre saisons, mais, si je peux recommander une période de l’année, ce serait l’hiver. C’est au sein des rudes conditions de la nature hivernale, dans le silence absolu, que le grand sugi se montre dans toute son admirable austérité.

Et puis, je voudrais vous faire partager un petit secret qui multiplie le plaisir de la découverte lors de la montée du long escalier vers le mont Haguro : des motifs sont creusés dans la pierre même des marches. Des motifs de bon augure : cruchon et coupe à saké, lotus, etc. Amusez-vous à les chercher pendant que vous montez. Il y en a 33 au total, et on dit que pour celui qui les trouve tous, tous ses souhaits seront exaucés.

Le Koyasu-ichô d’Ichônoki (Aomori)

Espèce : ginkgo (ginkgo biloba)
Localisation : 19, Ichônoki, Shichinohe-machi, Kamikita-gun, Aomori-ken 039-2561
Circonférence : 12,1 m, hauteur : 25 m, âge : 700 ans
Patrimoine naturel de la préfecture d’Aomori
Taille  ★★★★
Vigueur  ★★★★★
Forme  ★★★★★
Branchage  ★★★★
Majesté  ★★★★

De toutes les variétés d’arbres que l’on trouve le long des rues dans les villes japonaises, cerisiers, camphriers, zelkova, etc. l’espèce la plus couramment plantée est, paraît-il, le ginkgo biloba. Outre sa grande résistance aux gaz d’échappement et à la casse de ses branches, une autre raison de cette prédilection pour le ginkgo biloba est certainement ses feuilles caduques, offrant un spectacle différent à chaque saison de l’année. Même s’il va sans dire que c’est à l’automne, au moment où ses feuilles sont d’un jaune éblouissant, que sa beauté atteint son sommet.

Le Koyasu-ichô se trouve dans le hameau d’Ichônoki, à peu près au centre de la commune de Shichinohe, dans la préfecture d’Aomori. Il se démarque de tous les autres arbres géants. Ajoutons que le nom du hameau où il est situé, signifiant « le ginkgo biloba », n'a pas été choisi par hasard.

C’est certainement la foudre qui, il y a quelques siècles, a étêté cet arbre. Qu’à cela ne tienne, de nouvelles branches sont reparties de la partie cassée, et il continue toujours à croître aujourd’hui. Son potentiel de croissance est tellement ahurissante que certaines de ses branches, après avoir touché le sol, ont pris racines par marcottage et ont développé un nouveau tronc, indépendant du tronc mère. Il possède également de nombreuses racines aériennes, suspendues aux branches. La plus grosse dépasse un mètre de long. D’autres ont déjà percé le sol et s’incorporent progressivement au tronc principal. Impossible de le regarder sans être impressionné par la furieuse force vitale de ce ginkgo biloba.

Les alentours, sur une grande superficie, sont sous statut de parc naturel rural. Un espace pour lui tout seul, en définitive, ce qui garantit une vue libre et dégagée dans toutes les directions pour l’admirer. À mi-novembre, quand ses feuilles sont jaunes, son immense couronne colorée s’élance dans le ciel. Puis elles tombent et forment un tapis d’or sur le sol. Ce spectacle à lui seul vaut également le détour.

L’hiver venu, une fois les feuilles tombées, il prend alors une toute autre allure. En été et à l’automne, la croissance est telle que l’on aperçoit uniquement une zone demie circulaire très dense, et ce n’est qu’en hiver qu’un ginkgo laisse voir sa forme véritable. Celle du Koyasu-ichô est particulièrement remarquable, de toute beauté. Les rides de son écorce sont également très expressives, et même sans ses feuilles, il garde toute sa force. C’est un arbre exceptionnel à tous points de vue, tellement impressionant que l'on vient de loin pour l'admirer.

Les sugi de Takamoridon (Kumamoto)

Espèce : cèdre du Japon (Cryptomeria japonica)
Localisation : 3341-1, Takamori, Takamori-machi, Aso-gun, Kumamoto-ken 869-1602
Circonférence : environ 10,46 m, hauteur : environ 38 m, âge : 400 ans
Patrimoine naturel du bourg de Takamori
Taille  ★★★
Vigueur  ★★★★★
Forme  ★★★★★
Branchage  ★★★★
Majesté  ★★★★★

Au pied de la majestueuse caldera, au sud-est, prenez la route nationale 265 qui monte vers le col de Takamori, puis bifurquez sur une petite route qui conduit au col Kuroiwa. Continuez un moment, jusqu’à une vaste exploitation d’élevage. Les bovins paissent dans la prairie en toute liberté. Les voir ainsi paisibles, parfaitement détendus dans ce paysage, met du baume à l’âme.

Descendez de voiture, passez la barrière et continuez à pied. Au bout d’un certain temps, sur la droite, on aperçoit une sorte de « forêt » très dense dans un vallon. Il s'agit des sugi de Takamoridon... qui ne sont que deux. Oui, deux arbres, qui, à eux seuls, produisent une canope de cette étendue et de cette densité.

Les deux sugi de Takamoridon sont plantés juste l’un à côté de l’autre. L’un est le mâle, l’autre la femelle. Tous les deux ont un port très particulier. Ils dégagent une telle atmosphère d’étrangeté qu’on peut être pris de gêne à rester trop longtemps à côté, disent certaines personnes. Et il y a certainement de quoi : nous sommes en effet à l’endroit même où Takamori Korenao, le maître du château de Takamori, et son vassal Mimori Nôin se sont entre-suicidés. Une stèle à leur mémoire se trouve d’ailleurs au pied des arbres.

À l’est, nous avons la femelle (à droite sur la photo). On aurait dit plusieurs arbres ayant fusionné leurs racines. Son apparence est éminemment féminine, pleine de douceur. À l’ouest, au contraire, le mâle, qui, même si sa circonférence est inférieure à sa partenaire, possède une multitude de branches partant dans tous les sens dès le troisième mètre, et qui couvrent une énorme surface. Il évoque une figure courroucée ou remplie de haine, de ressentiment contre le monde, comme si l’âme du maître du château, après son suicide, s’était incorporée en lui. Certaines de ses branches touchent le sol, et ont donné naissance à des troncs secondaires, dans une sorte d’obsession sans fin, renforçant l’atmosphère malsaine.

Il paraît incroyable que deux cyprès du Japon ayant poussé l’un à côté de l’autre, donc dans le même environnement, possèdent des physionomies aussi différentes. Bien sûr, il est impossible de connaître le passé de chacune de ces deux entités. Une telle dérive semble être un signe du destin.

Lors de la prise de cette photo, alors que le ciel était clair avec quelques nuages, une tempête de neige s'est subitement déclenchée. Le volcan du mont Aso est une zone où il neige assez souvent, certes, mais je dois dire que c’était tellement soudain que j’en ai été surpris.

(D’après un article en japonais du 23 janvier 2017. Texte et photos : Takahashi Hiroshi)

nature arbre saison