Sous le feuillage des arbres géants du Japon

Quand les géants de la forêt attendent le printemps

Culture

Le printemps a beau être officiellement là, le froid est encore rude dans le nord. Et pourtant, les arbres se préparent déjà à accueillir le renouveau. Approchez-vous et regardez de près un arbre encore totalement dénudé : de petits bourgeons hivernaux sont déjà en train de gonfler à l’extrémité de ses branches.

Dès le pic de froid passé, les arbres entament une préparation au bourgeonnement et à la floraison. Et l’apparition simultanée des nouvelles pousses est imminente : comme si l’énergie vitale accumulée tout au long de l’hiver ne demandait qu’à se relâcher.

Pour survivre aux rigueurs de l’hiver, les arbres se sont débarrassés de leurs feuilles et sont entrés en hibernation dans leurs bourgeons d’hiver. Ces bourgeons d’hiver s’ouvrent au printemps et donneront les premières feuilles et fleurs.

Et puisque nous parlons des géants à feuilles caduques, à côté des zelkova et des gingko, n’oublions pas les katsura. Les bourgeons d’hiver du katsura donnent des fleurs rouge vif avant même que les premières feuilles ne sortent, comme s’ils s’habillaient de rouge pour attendre l’arrivée du printemps. Imaginons les adorables petites feuilles en forme de cœur du katsura dormant tout au fond des bourgeons d’hiver... Ils attendent le printemps avec une telle impatience !

Si le soleil de la journée se réchauffe peu à peu, les matins et les soirs sont encore bien froids. C’est en voyant de leurs yeux les arbres faire gonfler leurs bourgeons que les humains comprennent que le printemps tant espéré ne se fera plus attendre trop longtemps.

Le Senbon-katsura du Chôkai (Akita)

Espèce : katsura (Cercidiphyllum japonicum) Localisation : Kurisawa, Chôkai-machi, Yuri-Honjô-shi, Akita-ken 015-0503 Circonférence : 17,6 m, hauteur : 40 m, âge : 800 ans Patrimoine naturel de la préfecture d’
Akita Taille  ★★★★★
Vigueur  ★★★★★
Forme  ★★★★
Branchage  ★★★★
Majesté  ★★★★

Dans le sud de la préfecture d’Akita, dans le district de Yajima à Yuri-Honjô, il est une terre montagneuse au point que l’un de ses hameaux passe pour avoir été l’un des villages cachés des survivants du clan des Heike depuis le XIIe siècle. Sur le flanc de la montagne adossée au hameau de Kurisawa, où la nature est encore très préservée, se dresse un katsura célèbre, surnommé le Senbon-katsura (« Le katsura à mille branches »).

Les très vieux katsura ont souvent la forme d’une quantité de troncs indépendants agrégés, et dans tout le pays les spécimens appelés comme celui-ci « senbon-katsura » ne sont pas rares. Mais celui de Kurisawa est sans conteste l’un des plus impressionnants. Son tronc d’origine a disparu depuis longtemps, et ce sont les rejetons qui, en restant groupés, miment la présence du tronc principal. Son apparence, qui rappelle un troupeau de serpents lui vaut aussi le surnom de Jabami no Senbon-katsura, c’est-à-dire «  Le katsura à mille branches dévoré par les serpents ».

Je suis venu le voir à la mi-avril. C’était précisément le moment de l’ouverture des bourgeons, et sa cime commençait à se colorer de rouge. Les fleurs mâles en particulier sont d’un rouge profond tout à fait saisissant, et les feuilles ne s’ouvrant que plus tard, un peu comme pour les cerisiers, l’arbre a le temps de devenir entièrement rouge flamme. Quand l’arbre en question atteint les quarante mètres de hauteur, l’effet est d’une imposante majesté. Voir un katsura géant en pleine floraison est une expérience que l’on n’oubliera jamais. Expérience qui ne dure pas plus de deux jours, avant que les feuilles viennent à leur tour. De ce fait, c’est presqu’un rendez-vous, au cours duquel le katsura vous fera don d’un printemps unique.

Le Senbon-katsura du Chôkai a un tronc composite mesuré à 17,6 mètres de circonférence. C’est de fait l’un des trois plus gros katsura de tout le pays. Alors qu’il vivait au milieu de la forêt primaire, ses abords ont récemment été aménagés pour accueillir plus de visiteurs, sans doute en partie pour favoriser le développement de la commune. Le chemin d’accès est soigneusement pavé, et les environs ont été éclaircis pour faciliter les visites. C’est son apparition en 1989 sur la liste des « 100 arbres les plus célèbres du Japon » qui l’a rendu célèbre à travers le pays. Et de la colline où il se trouve, le panorama sur le mont Chôkai, surnommé le Fuji d’Akita, est superbe.

Le katsura géant de Wachi (Hyôgo)

Espèce : katsura (Cercidiphyllum japonicum) Localisation : 709, Wachi, Muraoka-ku, Kami-chô, Mikata-gun, Hyôgo-ken 667-1347 Circonférence : 15,53 m, hauteur : 39 m, âge : 1 000 ans Patrimoine naturel de la préfecture de Hyôgo
Taille  ★★★★
Vigueur  ★★★
Forme  ★★★★
Branchage  ★★
Majesté  ★★★★

Dans le nord de la préfecture de Hyôgo, plus précisément dans la commune de Kami-chô, dans le parc botanique du plateau de Tajima, se trouve un katsura femelle géant. Le katsura géant de Wachi, comme on l’appelle, est le symbole du parc, dont on dit même qu’il fut créé pour le protéger ainsi que la source qui apparaît à son pied.

Quiconque découvre pour la première fois ce grand katsura, niché au fond d’un parc naturel forestier ne peut qu’être surpris en voyant où cet arbre a réussi à prendre racine. En effet, ses racines enjambent une source d’un mètre de large débitant 5 000 tonnes par jour d’une eau pure qui forme la source de la rivière Takasaka. Certes, les katsura apprécient les bords bien irrigués des cours d’eau, mais ce géant-ci a réussi à faire sienne toute la rivière…, il faut vraiment le voir pour le croire ! Comment, et selon quel processus a-t-il réussi à s’approprier cette source ? Nous pouvons imaginer toutes sortes de réponses, mais la vérité reste hors d’atteinte. Les katsura aiment l’eau, c’est un fait, mais peu réussissent un telle prouesse. C’est ce qui lui vaut sa réputation de grande valeur dans tout le pays. Avec ses racines directement en contact avec l’eau toute l’année, il est recouvert d’un profond velours de mousse verte. Voilà un katsura qui a vraiment l’air à son aise !

Le tronc principal est déjà manquant, ainsi que la plupart de ses troncs secondaires, mais il reste d’une hauteur impressionnante et son élan vital n’est absolument pas entamé. Le chemin qui mène à lui se termine par un petit comptoir qui permet aux promeneurs de boire « l’eau du katsura de 1 000 ans », sélectionnée par le ministère de l’Environnement comme l’une des « 100 meilleures eaux de l’ère Heisei ». De quoi ressentir les bienfaits de la nature.

Ma dernière visite date à l’époque où la neige environnante commençait à fondre. Le grand katsura s’éveillait de son sommeil d’hiver, juste avant l’éclosion de ses bourgeons. Baigné de soleil à foison, au milieu du murmure du ruisseau et de la tiédeur des rayons du soleil glissant entre les branches, j’ai passé là quelques heures d’une cure nature sans prix auprès de ce bon géant.

Au nord de la préfecture de Hyôgo se trouve une zone particulièrement riche en katsura géants, et y randonner à la saison de l’éclosion des bourgeons est une idée que je recommande sans hésitation. La beauté des fleurs de katsura gagnerait à être plus connue, car nous tombons à coup sûr sous leur charme.

Le grand Zelkova du sanctuaire Negoya (Yamanashi)

Espèce : cèdre du Japon (Cryptomeria japonica)
Localisation : 5336, Aza-Negoya, Egusa, Sudama-chô, Hokuto-shi, Yamanashi-ken 408-0103
Tagi (à gauche) Circonférence : 11,2 m, hauteur : 20 m, âge : 1 000 ans
Hatagi (à droite) Circonférence : 12 m, hauteur : 21 m, âge : 1 000 ans Patrimoine naturel du Japon
Taille  ★★★★★
Vigueur  ★★
Forme  ★★★
Branchage  ★★
Majesté  ★★★★

Les plus grands zelkova du Japon se trouvent souvent auprès de sanctuaires shintô célèbres. L’habitude d’en planter deux de chaque côté de la voie à l’approche d’un sanctuaire est très ancienne, afin que les pèlerins passent entre eux pour s’approcher du pavillon de prière. Dans la plupart des cas, ce couple de Zelkova est appelé « le mari et la femme ».

Néanmoins, il fait peu de doute que le sanctuaire de Negoya doit être le seul du pays à posséder un couple de zelkova de plus de dix mètres de circonférence chacun ! Celui qui se trouve sur la gauche quand on fait face au sanctuaire s’appelle Tagi (« l’arbre des rizières »), celui de droite est Hatagi (« l’arbre des champs »). Leur floraison est légèrement décalée, et on dit dans le pays que si Hatagi fleurit le premier la récolte de légumes sera bonne, alors que si c’est Tagi qui fleurit le premier, la moisson de riz sera bonne. Leurs racines ont enrobé des rochers autour d’eux avec le temps, tendant à confirmer que tous deux ont été plantés de main d’homme. Ce n’est pas un hasard si la préfecture de Yamanashi semble avoir connu un culte mégalithique dans un lointain passé. Cela a de quoi faire méditer.

Sur certaines photos de la fin des années 1920, on voit les deux zelkova arborer une magnifique canopée. Mais suite à un incendie en avril 1968, le tronc de Hatagi est devenu creux et son bel élan vital s’est tari. Le choc s’est communiqué à Tagi, dont le tronc s’est brisé et est lui aussi devenu creux. Il ne leur restait plus qu’une vingtaine de branches, et, jusqu’à il y a une vingtaine d’années, ils faisaient peine à voir.

Et pourtant, voilà qu’il y a une dizaine d’années, des soins intensifs leur ont été prodigués par des « médecins des arbres » : changement de la terre à leur pied, ajout de clôtures et de barrières afin de diminuer le damage du sol par les pas des visiteurs, modification de la structure du sol pour faciliter leur irrigation... Aujourd’hui, ils ont multiplié leurs branches et leurs feuilles, si bien que l’on ne les reconnaît plus. Le pire semble avoir été évité.

La route qui passe sur leurs racines, la route Obi-kaidô, était un axe important pour relier les pays de Shinshû et de Kôshû (respectivement les actuelles préfectures de Nagano et de Yamanashi). Autour du sanctuaire Negoya résonne encore l’influence du clan Takeda, et dans les montagnes en arrière plan des deux arbres se trouve un vestige d’un château datant de plus de cinq siècles. À l’époque de la splendeur des Takeda, les deux zelkova passaient pour avoir déjà 500 ans, et leur longévité était l’objet d’une vénération particulière. Il n’est pas impossible que le grand chef de guerre Takeda Shingen (1521-1573) ait prié pour la victoire devant eux.

(D’après un article en japonais du 21 février 2017. Texte et photos : Takahashi Hiroshi)

nature arbre saison