Sous le feuillage des arbres géants du Japon

Sous les cerisiers géants en fleurs

Culture

Environ 80 % des cerisiers au Japon appartiennent aujourd’hui au « Somei Yoshino », une variété créée à l’époque moderne et de diffusion très récente. Le plus vieux a environ 130 ans. Or, dans le pays, on trouve des cerisiers bien plus âgés, des géants de plusieurs siècles. Les mots s’avèrent incapables de décrire la beauté de ces géants quand arrive la saison de leur pleine floraison.

Les Japonais et les cerisiers

Jadis, les Japonais fixaient le changement des saisons à la floraison des arbres ou à l’arrivée des oiseaux migrateurs. Cela leur servait à planifier les travaux agricoles. Parmi ces signes saisonniers, le cerisier, dont la date de floraison varie quelque peu d’une année sur l’autre, était l’indicateur naturel le plus subtil de l’évolution de la température. Sa floraison prenant place avant la montée des feuilles, le cerisier était le parfait indicateur du moment propice au repiquage des rizières.

C’est pour cette raison que dans tout le Japon vous trouverez de nombreux cerisiers qui portent le nom de Tanemaki-zakura (« le cerisier des semailles ») ou Taue-zakura (« le cerisier du repiquage »). Aujourd’hui encore, même si les végétaux sont de moins en moins utilisés comme indicateurs agronomiques, ces cerisiers sont l’objet d’un grand respect de la part des habitants. À l’origine, on pensait qu’une divinité habitait le cerisier. La coutume du hanami, c’est-à-dire la coutume de pique-niquer sous un cerisier en fleur, tire son origine de cette croyance : c’était un rite par lequel les habitants d’un village offraient un banquet, à manger et à boire, à la divinité des rizières qui descendait de la montagne à cette occasion, afin qu’il assure une abondante récolte.

Depuis les temps anciens, le cerisier est également associé symboliquement à la mort. Si nous voyons dans la plupart des cimetières du pays des cerisiers fleurir, puis perdre leurs pétales, c’est parce que ces arbres ont été plantés comme stèle funéraire. Un grand nombre de tombes se trouvent disposées au pied des cerisiers séculaires. À toutes les époques, de nombreux Japonais ont désiré dormir de leur dernier sommeil sous la protection d’un cerisier. Laissons-nous inviter par ces géants en pleine floraison pour mettre un pied dans le royaume du mystère.

Le Taki-zakura de Miharu (Fukushima)

Espèce : shidare-zakura (Cerasus spachiana f. spachiana)
Localisation : 296, Aza Sakurakubo, Ôaza Taki, Miharu-machi, Tamura-gun, Fukushima-ken 963-7714
Circonférence : 7,9 m, hauteur : 19 m, âge : 1 000 ans
Patrimoine naturel du Japon
Taille  ★★★★★
Vigueur  ★★★★
Forme  ★★★★★
Branchage  ★★★★
Majesté  ★★★★★

Cette commune de la préfecture de Fukushima tire sa fierté de sa particularité exceptionnelle : les pruniers, les pêchers et les cerisiers y fleurissent tous en même temps. Ce phénomène simultané lui aurait valu son nom de Miharu, c’est-à-dire « les trois printemps ». Son plus beau cerisier est d’ailleurs célèbre dans tout le pays. Le Taki-zakura est en effet l’un des trois cerisiers les plus connus du Japon, avec l’Usuzumi-zakura de Gifu et le Jindai-zakura de Yamanashi. Il est aussi le plus grand cerisier de la variété shidare-zakura (cerisier pleureur) du Japon.

C’est effectivement parce que ses branches retombent dans toutes les directions comme un saule pleureur, avec ses fleurs rose pâle formant de grandioses cascades qu’on lui a donné le nom de Taki-zakura, « le cerisier-cascade ». 200 000 touristes font le déplacement chaque année de tout le pays pour le voir fleurir, à la mi-avril. Une illumination spéciale le met en valeur de nuit pendant la période de la floraison... une figure fantasmagorique bien différente de celle du plein jour s’offre alors à nos yeux.

Comme l’indique le nom du lieu-dit où se trouve le Taki-zakura, Sakurakubo « le bas-fond du cerisier », le géant se trouve dans un creux du terrain. Protégé des vents violents, bien drainé, il profite au maximum des rayons du soleil. Ses racines sont également favorisées par les apports nutritionnels des rizières environnantes. Bref, l’emplacement idéal pour un cerisier. Un chemin permet à ses admirateurs d’en faire le tour complet, et de face, on pénètre sous ses branches, pour profiter pleinement de sa splendeur.

En 2002, un typhon lui a cassé l’un de ses branches maîtresses, puis en 2005, c’est le poids de la neige accumulée qui lui a coûté un certain nombre de branches. Par bonheur, sa forme générale n’en a pas vraiment souffert, et aujourd’hui, sa silhouette est toujours aussi gracieuse.

On compte jusqu’à 10 000 cerisiers sur le territoire de la commune de Miharu, toutes variétés confondues. La variété shidare-zakura est particulièrement bien représentée puisqu’on en compte près de 2 000, qui, si l’on en croit la rumeur, seraient les rejetons du Taki-zakura. En 1990, les shidare-zakura de Miharu – le Taki-zakura en faisant bien évidemment partie – ont été inscrits sur la liste des 100 plus beaux lieux du Japon pour leurs cerisiers. C’est donc la ville entière qui a gagné une célébrité nationale à cette occasion. Regrettons seulement le fait que certains circuits touristiques quittent encore la ville juste après s’être arrêtés devant le Taki-zakura. Ils ne savent pas ce qu’ils perdent !

Le cerisier de Yoshitaka (Chiba)

Espèce : yamazakura (Cerasus jamasakura)
Localisation : 930, Yoshitaka, Inzai-shi, Chiba-ken 270-1603
Circonférence : 6,85 m, hauteur : 10,6 m, âge : plus de 300 ans (selon la ville d’Inzai)
Patrimoine naturel de la la ville d’Inzai
Taille  ★★★★
Vigueur  ★★★★★
Forme  ★★★★
Branchage  ★★★★★
Majesté  ★★★

La variété Edo higan (var. spachiana forma ascendens) domine la catégorie des plus grands cerisiers du Japon. Mais celui de Yoshitaka est de la variété yamazakura (cerisier des montagnes) qui peut aussi devenir un splendide géant avec une longévité incroyable : certains atteignent les 1 000 ans, tout comme les Edo higan.

Le Yoshitaka a pris racine dans la région Hokusô de la préfecture de Chiba. Il n'a encore que 300 ans environ, et déploie toute la vitalité de sa jeunesse. Sa tête se couvre d’une ravissante couronne rose pâle, à peu près une semaine plus tard que les Somei Yoshino des environs. Les yamazakura voient leurs feuilles apparaître presque en même temps que leurs fleurs, il faut donc être à l’affût pour ne pas rater les deux jours que dure le plus beau moment de sa floraison. Il est tellement difficile de le surprendre au meilleur moment que certains le surnomment « le cerisier miracle ». De nombreux photographes font même le déplacement tous les jours pour ne pas le manquer.

Le Yoshitaka n’a pour ainsi dire pas de tronc, ses grosses branches se divisent directement des racines de façon très équilibrée, ce qui lui vaut de conserver sa forme demi-sphérique parfaite et son apparence de petite colline rose à la floraison. Il a grandi tout seul au milieu des champs, et profite de tout le soleil disponible pour étendre ses branches sans avoir à défendre sa place contre les rivaux. Sa magnificence colorée possède une grâce et une profondeur que vous ne trouverez pas chez les Somei Yoshino.

Le contraste avec les fleurs de colza à ses alentours est également de toute beauté, et son isolement permet de l’admirer sous tous les angles. Un chemin de promenade a été aménagé autour à la distance adéquate pour le voir en entier, et la limitation des voitures à la saison des fleurs permet de garder les abords bien entretenus. On peut à l'avenir compter sur ce géant pour attirer plus d’attention sur la beauté des yamazakura.

Le Daigo-zakura (Okayama)

 

Espèce : Edo higan (Cerasus spachiana var. spachiana forma ascendens)
Localisation : 2277, Bessho, Maniwa-shi, Okayama-ken 719-3157
Circonférence : 7,6 m, hauteur : 18 m, âge : 700 ans
Patrimoine naturel de la préfecture d’Okayama
Taille  ★★★★
Vigueur  ★★★
Forme  ★★★★
Branchage  ★★★
Majesté  ★★★★★

Le Daigo-zakura se trouve dans un hameau haut perché à la limite entre Ochiai et Katsuyama, dans le district de Bessho. C’est une région de très grandes richesses naturelles, avec des monts où les erythronium poussent à l’état sauvage, à proximité de la cascade Shiodaki d’une hauteur de 41 mètres. Plusieurs autres cerisiers célèbres poussent également dans cette région, tel un véritable pays des cerisiers. À 30 minutes en voiture du centre du bourg d’Ochiai, en montant le long chemin pentu vers le hameau de Kichinenji, on voit une petite colline qui semble faite pour lui : c’est là que se niche le Daigo-zakura.

Le Daigo-zakura apparaît dans toute sa majesté sereine au sommet de la colline. Sa façon de regarder de haut les monts du Chûgoku n’est pas sans fierté. Admettons-le, c’est un arbre qui sait ménager l’effet de son entrée en scène, sûr de sa prestance et de sa grâce. Selon l’hypothèse la plus généralement admise, ce géant de la variété Edo higan serait âgé de 700 ans. Mais dans le pays, certains prétendent qu’il aurait même 1 000 ans. Les habitants l’appellent affectueusement le « Grand cerisier ».

Son nom de Daigo-zakura est un hommage à l’empereur Go-Daigo, qui, au XIVe siècle, en route pour son exil à Oki, se serait arrêté pour l’admirer. La bonne réputation du cerisier se serait alors rapidement répandue, attirant un grand nombre d’admirateurs de tout le pays à la saison des fleurs.

Sa plus belle saison a lieu autour du 10 avril. Il y a tellement de visiteurs que ceux-ci doivent respecter les sens uniques sur les sentiers qui mènent et reviennent du hameau pendant cette période pour éviter les embouteillages. Chapeau bas ! Les illuminations nocturnes sont une invitation à un voyage dans une autre dimension. Je vous conseille la nuit si vous désirez admirer dans le calme un spectacle fantasmagorique.

Le Daigo-zakura est l’ange gardien de la région et bénéficie du respect absolu de tous les habitants. Aucun aménagement superflu ne vient briser sa tranquillité, son environnement naturel est préservé autant que faire se peut. Sans contexte l’un des plus admirables cerisiers de l’ouest du Japon.

(D’après un article en japonais du 21 février 2017. Texte et photos : Takahashi Hiroshi)

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