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Le pays où les plaques d’égout sont un art urbain

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Il n’est pas rare de découvrir en se baladant au Japon, au détour d’un quartier touristique ou d’une galerie commerciale, une plaque d’égout d’un design original, représentant de façon très graphique un personnage connu du lieu où un paysage emblématique de la région. Certains fans vont même jusqu’à prendre des photos de ces plaques à travers tout le pays. Depuis 2016, plus de 200 plaques d’égout les plus remarquables sont devenues des cartes à collectionner et connaissent un succès incroyable.

Au Japon et nulle part ailleurs

On dit que les premières plaques d’égout conçues avec ce type de design sont apparues à l’occasion de l’Exposition Internationale des Océans organisée par la préfecture d’Okinawa en 1975-76. À l’époque, la révolution consistait à faire des plaques d’égout aux motifs de petits poissons, au lieu d’un motif géométrique standard. Aujourd’hui, les plaques d’égout sont devenus un support pour la publicité locale, et on compte 1 700 municipalités dans tout le Japon à avoir créé leurs propres designs.

« Dans les pays étrangers, la plupart des plaques d’égout sont strictement fonctionnelles et neutres. Il n’y a qu’au Japon qu’elles se sont développées avec une telle profusion de designs originaux, au point de devenir un symbole d’identité culturelle locale. On dirait des œuvres d’art de 60 cm de diamètres dispersées aux quatre coins du pays. Je crois que c’est une spécificité culturelle dont nous pouvons être fiers », déclare Yamada Hideto, de la Plateforme de Relations Publiques des Égouts (GKP).

Une plaque d’égout représentant Kiki à Katsushika, l’arrondissement de Tokyo où se trouve le fabricant de la célèbre peluche.

Cela fait environ une dizaine d’années que l’on voit de plus en plus de passionnés, qui voyagent à travers tout le pays pour admirer et prendre en photo les plaques d’égout locales les plus rares ou les plus originales. On les appelle des « manholers », du mot « manhole » signifiant bouche d’égout en anglais et en japonais. Plus récemment, grâce aux réseaux sociaux, l’art des plaques d’égout japonaises se diffuse même à l’étranger, et on commence à voir les premiers « chasseurs de plaques d’égout » parmi les touristes étrangers qui visitent le Japon.

Séléction des douze plus belles plaques d’égout

Voici une sélection de douze plaques d’égout, parmi celles qui ont fait l’objet d’une édition en cartes de collection.

1. Ville de Sapporo (Hokkaidô)

Les saumons, que les Aïnous appellent le « poisson-dieu », remontent la rivière Toyohiragawa à Sapporo à la saison du frai. Si la pollution les avait faits disparaître un certain temps, l’amélioration de la qualité de l’eau grâce à un système d’égout performant a permis de les voir revenir. Ils sont environ 2000 saumons à remonter la rivière chaque année. La plaque représente deux saumons remontant la Toyohiragawa, et un autre symbole de la ville de Sapporo : la tour de l’horloge.

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2. Ville d’Aomori (préfecture d’Aomori)

Le festival des Nebuta d’Aomori se tient tous les ans début août. Le motif représente des danseurs devant un char décoré d’un samouraï géant.

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3. Arrondissement de Katsushika (Tokyo)

La mondialement célèbre peluche-mascotte Kiki (Monchichi). L’arrondissement de Katsushika, d’où est originaire le fabricant original, Sekiguchi, a même créé un Parc Monchichi, lieu culte pour les fans, qui se font bien entendu un plaisir de monter dans le bus aux couleurs de Monchichi. Cette plaque d’égout existe en dix exemplaires, installés dans l’arrondissement, en particulier devant la gare de Shin-Koiwa, depuis 2017.

4. Ville d’Ojiya (Niigata)

Les splendides carpes Nishikigoi, appelées aussi « les joyaux nageants », sont originaires d’Ojiya. On en compte aujourd’hui 100 espèces de toutes les couleurs, dont les fans se comptent par milliers dans le monde entier. Depuis le tremblement de terre qui causa de lourds dégâts dans la préfecture de Niigata en 2004, la ville en a fait le symbole de sa reconstruction.

Séléction des douze plus belles plaques d’égout (2e partie)

5. Ville de Katsuyama (Fukui)

Katsuyama est célèbre pour les fossiles de dinosaures. Le musée des dinosaures de la préfecture de Fukui est un établissement touristique très populaire. Une plaque d’égout a été dessinée à l’effigie du Fukui Raptor, un dinosaure carnivore dont un exemplaire complet du squelette a pour la première fois été reconstitué au Japon.

6. Ville de Fuji (Shizuoka)

Les vagues blanches d’écumes de la baie de Suruga, dansent devant le mont Fuji, inscrit au patrimoine mondial. Le motif est inspiré d’une estampe de Hokusaï (Trente-six vues du mont Fuji). On trouve cette plaque d’égout en divers endroits de la ville, et le sommet du mont Fuji indique le sens des eaux souterraines.

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7. Ville d’Iga (Mie)

Iga, le village ninja, cœur de la culture ninja. Le design de cette plaque réunit les ninja d’Iga de réputation mondiale, ainsi que le pin et le faisan, les deux emblèmes traditionnels de la ville d’Iga.

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8. Ville de Kusatsu (Shiga)

Design inspiré par une estampe de Utagawa Hiroshige : Kusatsu, 52e ville étape de la route du Tôkaidô. La prospérité de la ville tenait à sa localisation au carrefour des routes du Tôkaidô et de Nakasendô. La ville conserve toujours la suite qu’occupaient alors les daimyô et nobles de passage, la plus grande du Japon.

Séléction des douze plus belles plaques d’égout (3e partie)

9. Ville d’Osaka (Osaka)

C’est Toyotomi Hideyoshi qui a fait d’Osaka la métropole économique qu’elle est restée depuis. Il en a également fait une ville de canaux. Le réseau originel des égouts, qui fut créé à l’époque de la construction du château d’Osaka et de la ville basse est partiellement encore en service aujourd’hui. Les fleurs de cerisiers, emblème de la ville, apportent une touche de couleur.

10. Ville d’Ikaruga (Nara)

La ville d’Ikaruga date du VIe siècle, pendant la période Asuka, qui fut aussi l’époque de la fondation du temple Hôryûji par le prince Shôtoku. L’héritage historique de la ville est remarquable, en particulier avec sa pagode à cinq étages, l’une des « trois tours d’Ikaruga ». Sur cette plaque, la rivière Tatsuta est représentée avec la pagode, ainsi que les feuilles d’automne, le pin noir et les fleurs de camélia d’automne, que de nombreux poètes ont chanté.

11. Ville de Takamatsu (Kagawa)

Cette plaque d’égout à Takamatsu représente l’île de Yashima, joyau de la mer intérieure de Seto. La scène représente la légende selon laquelle, en 1185, lors de la bataille de Yashima, Nasu no Yoichi, du clan des Minamoto, parvint à atteindre au loin le centre d’un éventail attaché au mât du navire du clan des Taira.

12. Ville d’Isahaya (Nagasaki)

Le pont de pierre d’Isahaya, dit le « pont lunettes », premier monument à avoir été classé « bien culturel important ». Alors que ce pont surplombe la Honmyôgawa qui connaissait de fréquentes inondations à l’époque d’Edo, il reste encore aujourd’hui un symbole de la ville. Au pied du pont fleurissent les iris d’Isahaya.

Quand les égouts séduisent les touristes

Yamada Hideto, l’inventeur des cartes de collection sur les plaques d’égout, se surnomme lui-même « l’apôtre des égouts ».

« De nombreuses personnes ont une image négative des réseaux d’eaux usées : C’est sombre, c’est sale et ça pue. Les égouts sont en réalité une infrastructure indispensable à la distribution de l’eau courante dans les villes, en soutien direct de la vie des habitants. C’est pour valoriser l’image des égouts et renforcer l’intérêt pour ces infrastructures méconnues que j’ai pensé à développer des cartes de collection sur les plaques d’égout. »

Ainsi explique M. Yamada de la GKP, une organisation de relations publiques créée par une convention nationale des municipalités, des entreprises de gestion des réseaux d’eaux usées, et de médias, sous l’égide du ministère des Transports. Mis à part la diffusion d’informations relatives aux réseaux des égouts de tout le pays, divers projets ont été initiés : édition de cartes de collection sur les designs de plaques d’égout, événements promotionnels et ventes de produits dérivés.

Comme le dit M. Yamada : « Les égouts sont une infrastructure indispensable, mais restent discrets. La seule partie du réseau souterrain visible, et même très familière à tout un chacun, c’est la plaque d’égout. Celle-ci peut donc jouer le rôle de “visage” du réseau des eaux usées. Cela m’a donné une idée. »

Lors du « Sommet Saitama 2017 de la plaque d’égout », à Kawagoe (Saitama), en janvier 2017. Les participants ont pu découvrir 58 designs originaux existants actuellement dans la préfecture.

En réalité, la plaque d’égout est le couvercle qui ferme le trou (manhole) par lequel les agents des égouts entrent et sortent pour inspecter et travailler dans les réseaux. Depuis les années 1960, les designs des plaques d’égout sont différents en fonction des autorités qui ont la charge du réseau local. Il en existe une multitude de styles.

« Les plaques à motifs géométriques ont pour fonction d’éviter de déraper. Mais très vite, les motifs géométriques en relief ont laissé la place à des motifs plus originaux et illustratifs, comme le pont Bay Bridge de Yokohama ou le château d’Osaka. Des couleurs émaillées vives sont également apparues, créant des motifs jolis à voir, amusants et de plus en plus nombreux », ajoute M. Yamada.

Depuis 2014, le GKP organise deux fois par an un « sommet de la plaque d’égout », en coopération avec tous les acteurs impliqués dans la gestion des eaux usées et des réseaux d’égout. L’un des effets les plus immédiatement visible a été l’intérêt des médias de couvrir cette tendance.

Le recto à gauche, le verso à droite. Un système de rangement et de classement permet de trouver plaisir à consulter sa collection.

C’est dans ce contexte qu’en avril 2016, M. Yamada, fort d’une expérience dans l’industrie du jouet dans le passé, a eu l’idée d’élargir l’intérêt pour les designs de plaques d’égout en distribuant les premières cartes de collection. C’est le souvenir de son intérêt, quand il était enfant, à collectionner les cartes et les autocollants, qui l’a inspiré.

Chaque carte présente au recto une photo de plaque d’égout, et des informations de base sur la localité où cette plaque est utilisée. Au verso, une explication sur le design, les symboles représentés et leur origine. Les cartes sont gratuites, et sont disponibles dans les mairies, les centres de service des eaux ou les offices du tourisme les plus proches des plaques en question, à raison d’un seul lieu de mise à disposition par carte. Autrement dit, pour collectionner les cartes, un seul moyen : se rendre sur place, ce qui est l’objectif n°1 de la campagne. Les cartes permettent plusieurs types de classement, par région, par thème ou par catégorie de plaques, ce qui multiplie l’intérêt d’en faire la collection.

Les municipalités participantes ont fait état de certaines demandes spécifiques, mais la présentation des cartes a été uniformisée pour que l’idée de collection reste cohérente et l’intérêt des fans augmente. En particulier, les informations ne portant pas sur la plaque d’égout elle-même n’y ont pas leur place.

Les régions sont connectées

Avec 52 nouveaux designs intégrés à la collection en août 2017, ce sont maintenant 222 plaques différentes qui possèdent leur carte. Un million d’unités ont été imprimées au total. 191 municipalités participent. De nouvelles cartes devraient s’ajouter trois fois par an.

60 % des personnes qui viennent prendre une carte sont des visiteurs venant d’une autre préfecture. Les personnes âgées qui affectionnent les balades en ville, et les jeunes femmes, constituent semble-t-il le cœur du public. Les municipalités en profitent pour remettre à chaque visiteur demandant une carte de la plaque d’égout locale, une carte de la ville ainsi qu’un lien vers une application numérique donnant d’autres informations. Cela devient donc un outil important de la promotion et de la revitalisation locale.

Environ 3 000 « manholers » se sont retrouvés au « Sommet Saitama 2017 de la plaque d’égout ».

La ville de Tsukuba (Ibaraki), cible également les touristes étrangers avec une version en anglais. En chatouillant l’instinct de collectionneur des visiteurs et des touristes, les designs des plaques d’égout, qui se sont développés originellement de façon totalement spontanée et indépendante dans chaque municipalité, sont donc en passe de devenir une forme de culture spécifiquement japonaise sous les yeux du monde entier.

« C’est justement le moment pour un certain nombre de plaques devenues vieilles, d’être changée. De nouveaux designs, tirant parti des spécificités et des gloires locales vont donc apparaître un peu partout. Et les cartes de collection sur les plaques d’égout vont encore pouvoir se multiplier. J’espère vraiment qu’avec ces initiatives au moins un peu plus de gens puissent se sensibiliser au sujet des réseaux d’égoût », déclare M. Yamada.

La plaque d’égout : un objet très sophistiqué

L’eau sous pression jaillit d’une bouche d’égout.

Laissons un instant de côté la question de leur design et préoccupons-nous uniquement de leur aspect fonctionnel. Depuis quelques années, le Japon connaît une forte augmentation de pluies torrentielles. Il n’est pas rare que les sites d’actualités ou de vidéos présentent des images comme ci-dessus, de gerbes d’eau sous pression jaillissant par les bouches d’égout. Les passants et les habitants se montrent en général choqués de voir « des plaques d’égout éclater ». Or, elles n’éclatent pas, au contraire, c’est parce qu’elles fonctionnent parfaitement et judicieusement que les plaques d’égout laissent échapper l’eau quand la pression devient trop élevée.

Lorsque la pression à l’intérieur du canal sous-terrain devient trop forte, généralement sous l’effet de fortes pluies, la plaque est pourvue d’un système qui la fait se soulever d’un ou deux centimètres, afin de servir de soupape et de détendre la pression de l’air et de l’eau dans le réseau. La plaque retrouve sa position initiale dès que la pression baisse. C’est pour tester leur solidité et leur efficacité que les fabricants effectuent des tests, comme sur la photo.

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Une bouche d’égout ouverte montre qu’elle est solidaire d’un cadre circulaire par une charnière robuste. Une échelle qui y est également attachée empêche de tomber.

La position de l’échelle empêche de tomber, même en cas très improbable d’absence de la plaque.

La société Hinode Suidô est le leader japonais de bouches d’égout. Elle fournit environ 60 % du marché national. M. Shirai Masaaki, de l’usine de Tochigi, nous explique les caractéristiques d’une plaque d’égout japonaise.

« Une plaque plus légère est plus facile à ouvrir, ce qui facilite le travail des agents. Inversement, si la plaque est lourde, elle est plus solide et moins branlante. Comme le principe de la plaque est très simple et peu coûteux, la plupart des pays ont choisi l’option de la plaque lourde. Le Japon est l’un des seuls pays à avoir fait le choix inverse de plaques d’égout légères mais à fonctionnalités complexes. »

Les parois coniques dans l’épaisseur de la plaque assurent un centrage et une position parfaite à la plaque sur son cadre de réception par simple gravité. En cas de surpression à l’intérieur du canal, la plaque se soulève mais n’est pas projetée, et la plaque retrouve sa position initiale dès que la pression baisse.

La conséquence de ce choix normatif est que leur conception et leur fabrication requiert une technologie plus sophistiquée et des personnels hautement compétents, aussi bien lors de la fonte que du polissage. Pour éviter le vacillement des plaques, ce ne sont plus de simple plaque qui bouchent un trou, elles sont munies de crocs à l’intérieur qui assurent la parfaite jointure sur le cadre. Cela facilite également l’ouverture. Évidemment, pour cela, il faut que les cotes et l’usinage soient très précis. Il n’y a qu’au Japon que les plaques d’égout fonctionnent sans aucun boulon ni cliquet », s’enorgueillit M. Shirai.

Différentes étapes de la réalisation d’une plaque d’égoût, de son façonnage à la mise en couleur.

« De plus, cette forme est suffisamment robuste pour ne pas être déformée même sous la contrainte de 4 000 véhicules roulant dessus par jour. Je peux vous dire que les plaques d’égout japonaises sont les plus robustes du monde ! ».

M. Shirai (à gauche) et ses collègues de l’usine de Tochigi, posent derrière des plaques originales de la ville d’Ôtawara.

(Reportage et texte : Suzuki Naoto. Photos des douze plaques d’égout : GKP. Photos de l’usine Hinode Suidô: Miwa Norikatsu. Autres photos : Nippon.com)

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