La hausse de la TVA et la politique économique d’Abe Shinzô

Politique Économie

Le moment est-il bien choisi pour relever le taux de la TVA ?

Le 1e octobre 2013, le cabinet du Premier ministre Abe Shinzô a décidé que le gouvernement procèderait à une hausse — la première depuis 1997 — du taux de la taxe sur la consommation. Celle-ci devrait passer de 5 % à 8 % le 1e avril 2014, conformément à ce qui était prévu. Dans les lignes qui suivent, je vais proposer une interprétation politique de cette décision.

Ces derniers temps, le Premier ministre a déclaré à plusieurs reprises qu’il entendait réfléchir soigneusement avant de prendre une décision à propos de la hausse de la TVA et qu’il tiendrait compte de l’impact de cette mesure sur l’économie, et en particulier la déflation. À la fin du mois d’août, il a organisé une série de réunions d’experts pour étudier les conséquences d’une hausse de la TVA à 8 %. Du coup, les Japonais ont commencé à se demander si le Premier ministre allait revenir sur le calendrier du relèvement de la taxe sur la consommation, d’autant que plusieurs conseillers politiques de M. Abe affichaient publiquement des réticences vis-à-vis de ladite hausse.

Pourquoi Abe Shinzô a-t-il finalement décidé de porter la TVA à 8 % ? La raison principale, c’est, bien entendu, les bons chiffres de l’économie japonaise. Le 9 septembre, on a appris qu’en 2013 le produit intérieur brut (PIB) japonais avait augmenté à un rythme annuel de 3,8 %. Le retour de la croissance économique est allé de pair avec une diminution de l’inquiétude concernant les effets négatifs d’une éventuelle hausse de la TVA sur l’économie.

Les raisons politiques de la hausse de la TVA

Mais la décision du Premier ministre japonais était également motivée par des raisons d’ordre politique. La première, c’est les perturbations qu’aurait provoquées un revirement à propos de la TVA dans l’ordre du jour de la session de la Diète qui débutera en octobre 2013. En effet, pour modifier le calendrier du relèvement de la TVA, le gouvernement devait faire adopter au préalable une nouvelle loi par la Diète. M. Abe doit déjà soumettre au parlement un certain nombre de textes de loi importants, et en particulier trois d’entre eux. Le premier a pour objectif de renforcer la compétitivité industrielle du Japon, le second de libéraliser le secteur de l’électricité et le troisième de créer une version japonaise du Conseil de sécurité nationale (NSC) des États-Unis. Si un projet de loi pour modifier le calendrier du relèvement de la taxe sur la consommation était venu s’ajouter au programme déjà très chargé de la Diète, il aurait fallu beaucoup de temps pour le faire adopter, ce qui risquait de compromettre le passage d’autres textes législatifs.

La seconde raison, c’est la position adoptée par le passé par le Parti libéral démocrate (PLD) sur ce point. Le PLD s’est en effet engagé à augmenter la TVA à l’occasion de plusieurs consultations électorales à savoir les élections générales de 2009, l’élection à la Chambre des Conseillers de 2010 et les élections générales de 2012. Il a également soutenu la loi concernant le relèvement de la taxe sur la consommation en août 2012. Si Abe Shinzô était revenu sur les décisions du Parti libéral démocrate, l’intégrité politique de ce parti aurait été sujette à caution et le PLD aurait perdu sa crédibilité auprès du public au même titre que le gouvernement de M. Abe.

La troisième raison, c’est que les effets négatifs sur l’économie du relèvement de la taxe sur la consommation permettront au gouvernement de prendre plus facilement de nouvelles mesures économiques. Le jour même où le gouvernement de M. Abe a opté pour l’augmentation du taux de la TVA, il a aussi décidé de mettre en œuvre un certain nombre de mesures destinées à compenser l’impact négatif de cette hausse sur l’économie.

Les mesures envisagées par Abe Shinzô sont de trois types. En premier lieu, le gouvernement se propose de réunir, d’ici le mois de décembre, cinq mille milliards de yens qu’il entend injecter dans une nouvelle rallonge budgétaire. En second lieu, il va accorder des crédits d’impôt notamment en ce qui concerne les investissements productifs et les travaux de renforcement des édifices contre les séismes. En troisième lieu, il versera des indemnités de compensation aux ménages les plus modestes et aux acquéreurs de logements neufs.

Par ailleurs, le Premier ministre Abe Shinzô a affirmé que son gouvernement souhaitait supprimer l’impôt temporaire auquel les sociétés ont été soumises pour financer la reconstruction de la région frappée par la catastrophe du 11 mars 2011. Il semble très probable qu’il décidera de le faire et que le taux effectif de cette taxe passera de 38 % à 35,6 %. (À noter que les crédits d’impôt, les indemnités pour les revenus modestes et l’achat de logements neufs, et la suppression de l’impôt temporaire sur les sociétés seront financés par les cinq mille milliards de yens de la relance budgétaire.)

Toutes ces mesures devraient atténuer les effets négatifs de la hausse du taux de la TVA sur l’économie japonaise. Les crédits d’impôt et les dépenses de construction, qui seront certainement au programme des mesures économiques du mois de décembre 2013, permettront par ailleurs aux élus du PLD de retrouver la confiance de leurs électeurs dans leur circonscription respective. Le relèvement de la TVA est un fait acquis. Comme je l’ai expliqué plus haut, revenir sur le calendrier en cours aurait fait perdre au gouvernement de M. Abe et au PLD le crédit dont ils jouissent auprès du public. Le Premier ministre a donc bien fait de s’en tenir aux décisions déjà prises et de recourir à des paiements de transfert.

Le calendrier de la Diète

Maintenant qu’il a décidé de respecter le calendrier du relèvement de la TVA et d’agir en faveur d’une diminution de l’impôt sur les sociétés, le Premier ministre Abe Shinzô va pouvoir commencer à prendre d’autres mesures pour stimuler l’économie japonaise.

L’une de ces mesures consistera à réduire le taux effectif de l’impôt sur les sociétés. Abe Shinzô souhaite vivement abaisser ce taux, y compris après la suppression de l’impôt temporaire sur les sociétés. Il s’est exprimé à ce sujet au cours d’une conférence de presse où il a expliqué sa décision de relever le taux de la TVA comme prévu. Une autre mesure concerne non plus la politique fiscale mais la stratégie de croissance du gouvernement. Le 1e octobre 2013, le Bureau de la Relance économique du Japon a par ailleurs présenté un ensemble d’objectifs à court terme qui incluent non seulement les crédits d’impôt déjà mentionnés  mais aussi la création de zones de croissance économique nationales et le renforcement de la gouvernance des entreprises et de la compétitivité de l’agriculture japonaise. Reste à savoir si le Premier ministre aura assez de poids pour imposer la dérèglementation qui doit aller de pair avec ces mesures. On peut aussi se demander s’il réussira à faire adopter au cours de la prochaine session de la Diète toutes les lois dont il a besoin pour que ces mesures soient effectives. Il ne faut en effet pas oublier que le gouvernement a beaucoup de mal à contrôler le calendrier et le programme de la Diète, comme je l’ai déjà expliqué.

(D’après un texte original en anglais du 1e octobre 2013)

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