Retour sur le Festival international du cinéma de Tokyo 2014

Culture Cinéma

Cet automne, de magnifiques affiches ont fleuri sur les murs de la station de métro Roppongi, à Tokyo. Impossible de ne pas les remarquer, à moins d’être en train de courir pour arriver à l’heure à son travail. Ces étonnantes images monochromes au style épuré avaient été spécialement conçues par le graphiste Sano Kenjirô pour le 27e Festival international du cinéma de Tokyo (TIFF) qui s’est déroulé dans la capitale japonaise, du 23 au 31 octobre 2014. Ce sont indéniablement les plus belles affiches que l’on ait vues depuis longtemps. Mais les propos qu’elles véhiculaient n’étaient pas tout à fait à la hauteur. « Ah ! Le jour où l’on verra Tokyo rivaliser avec Cannes, Venise et Berlin ! » « Ne l’oublions pas ! Notre pays a donné naissance à des réalisateurs qui figurent parmi les plus respectés du monde » affirmaient-elles. Dans un message sur Twitter, Matsue Tetsuaki – le réalisateur (né en 1977) de Flasback Memories 3D. – a réagi vivement en disant qu’il trouvait « honteux » qu’un pays puisse s’attribuer les mérites d’un individu. Et il n’a pas été le seul à y trouver à redire puisque son texte a été retweeté plus de 3 000 fois.

Le Festival de Tokyo a-t-il changé de direction ?

On ne saurait certes juger un festival de cinéma uniquement d’après une publicité, mais il n’en reste pas moins que, cette année, il y avait quelque chose qui clochait dans le Festival de Tokyo. Le TIFF, l’événement cinématographique le plus important de la capitale japonaise, fêtera son 30e anniversaire l’année prochaine, en 2015. Créé en 1985, il a d’abord eu lieu tous les deux ans avant de devenir une manifestation annuelle à partir de 1991. Et voilà que tout à coup, il s’avise de vouloir être « cool », ou plus exactement de s’inscrire dans le mouvement « Cool Japan », comme le précise lui-même à plusieurs reprises le dépliant du festival. Shiina Yasushi, le directeur général du TIFF, a déclaré que le Festival de Tokyo devait « encourager de façon proactive une coopération efficace avec des programmes de qualité dans le cadre des initiatives “Cool Japan’’ ». C’est dans ce contexte que le TIFF a engagé un « producteur délégué », en la personne de l’incontournable Akimoto Yasushi, le producteur d’AKB48, un groupe pop fondé en 2005 et constitué d’une centaine de filles de 13 à 23 ans (ou plus), qui connaît un succès sans précédent.

Bien que la nature exacte de la tâche qui lui a été confiée soit relativement floue, il semble que c’est Akimoto Yasushi qui a poussé les organisateurs du TIFF à programmer davantage de films d’animation, avec notamment une rétrospective du réalisateur Anno Hideaki (né en 1966), auteur de la fameuse série animée Neon Genesis Evangelion. Le nouveau « producteur délégué » du TIFF a peut-être aussi contribué au dédoublement des locaux du festival qui s’est déroulé non seulement à Roppongi Hills, comme jusque-là, mais aussi au nouveau multiplexe cinématographique Toho de Nihonbashi et au théâtre Kabukiza de Ginza. Ce changement a permis de multiplier par deux le nombre des projections par rapport à 2013. Le 27e Festival de Tokyo comprenait par ailleurs une « réunion au sommet » de cosplay – une activité qui consiste à se costumer en personnage de fiction – et un spectacle de kabuki. Et il comportait même un volet gastronomique baptisé « Tokyo Cinema Cuisine » et constitué de menus spécialement étudiés pour l’occasion par cinq chefs japonais qui étaient proposés sur place aux amateurs de cinéma par de petites camionnettes. Toutes ces initiatives n’ont malheureusement pas remplacé les bons films et beaucoup de cinéphiles ont eu le sentiment qu’il s’agissait de distractions futiles.

Les points forts du TIFF 2014

Miyazawa Rie au moment où elle a reçu le Prix de la meilleure actrice que lui a décerné le jury du 27e Festival de Tokyo pour son interprétation du personnage de Rika dans Kami no tsuki du réalisateur Yoshida Daihachi. (Photo : Jiji Press)

Les organisateurs du TIFF 2014 ont toutefois le mérite d’avoir programmé une œuvre japonaise de haute volée dans la catégorie des « films en compétition ». Il s’agit de Kami no tsuki (Pale Moon / Lune de papier) du réalisateur Yoshida Daihachi (né en 1963) dont le film Kirishima, bukatsu yamerutteyo (The Kirishima Thing / L’affaire Kirishima) avait obtenu l’oscar japonais du meilleur film en 2012. Kami no tsuki est une adaptation du roman éponyme publié en 2012 par l’écrivain Kakuta Mitsuyo (née en 1967). Il relate l’histoire de Rika, une employée de banque de 41 ans interprétée par Miyazawa Rie, qui commence à mener la grande vie avec de l’argent qu’elle détourne pour satisfaire son jeune amant. Le film est très bien joué et sa réalisation d’une grande élégance. Mais on peut lui reprocher son manque d’envergure. L’intrigue n’est pas particulièrement passionnante et on cherche en vain l’ingéniosité formelle dont Yoshida Daihachi avait fait preuve dans Kirishima. Kami no tsuki n’en a pas moins remporté le Prix du public et le Prix de la meilleure actrice, qui a été attribué à Miyazawa Rie.

Le Festival de Tokyo 2014 a aussi coïncidé avec le retour d’Okita Shûichi (né en 1977), qui avait obtenu le Prix spécial du jury du TIFF en 2011, pour Kitsutsuki to ame (The Woodsman and the Rain / Le bûcheron et la pluie). Il a présenté Taki o mini iku (Ecotherapy Getaway Holiday / Le voyage à la cascade), le dernier film de ce cinéaste, par ailleurs écrivain, scénariste et acteur. Le talent d’Okita Shûichi pour créer des ambiances paisibles et détendues a fait une fois de plus merveille. Taki o mini iku met en scène un groupe de sept femmes de 40 à 80 ans qui, au cours d’un voyage organisé, finissent par se retrouver perdues au milieu des bois. Les sept interprètes ont toutes été recrutées après une audition où aucune expérience d’acteur n’était exigée. Okita Shûichi a réussi à faire un film plein de vie et de charme en donnant la parole à une des catégories de la population de l’Archipel les plus mal représentées dans le cinéma japonais.

Dans un autre registre, les spectateurs du TIFF 2014 ont eu l’occasion de découvrir Hôyô (Walking with My Mother / L’embrassade), un documentaire de Sakaguchi Katsumi (né en 1955) particulièrement impressionnant. Le cinéaste y dresse un portrait intimiste de Suchie, sa mère âgée de 78 ans, qu’il a filmée durant quatre ans après qu’elle eut perdu sa fille et son mari. Ce film par moments d’une tristesse déchirante est aussi plein d’humour, en particulier les scènes où Suchie se trouve en compagnie de sa sœur cadette.

Le grand prix de la catégorie « Japan Cinema Splash » (La une du cinéma japonais) a été quant à lui attribué à Take Masaharu (né en 1967) pour sa tragi-comédie grunge intitulée Hyaku yen no koi (100 yen Love. Un amour à cent yens) qui a fait beaucoup rire le public. Andô Sakura interprète avec une grande maestria le personnage de Kazuko, une jeune paumée qui essaye de s’en sortir en devenant boxeur professionnel. Mais le plaisir des spectateurs a dû être quelque peu tempéré non seulement par la sinistre scène de viol que le cinéaste a traitée avec beaucoup de désinvolture, mais aussi par les failles ponctuelles de la mise en scène.

Le Festival de Tokyo a encore beaucoup de progrès à faire

Mais Hyaku yen no koi a surpassé de loin un grand nombre des autres films de la catégorie « Japan Cinema Splash » de cette édition du festival. Il n’y a certes pas grand intérêt à s’en prendre à des œuvres qui proviennent du cinéma indépendant à très petit budget comme le film incohérent Shiranai machi  (Unknown Town / Une ville inconnue) du réalisateur Ôuchi Shingo (né en 1980), ou l’interminable (160 minutes) Chokolietta de Kazama Shiori (né en 1966) ou encore le long métrage égocentrique et mal ficelé d’Ôta Shingo (né en 1985) intitulé Kaihôku (Fragile / Quartier libéré). Mais on peut se demander pourquoi un festival qui donne un aperçu aussi incomplet du cinéma japonais accorde autant d’importance à des œuvres si médiocres. 

L’ironie du sort a voulu que le BIFF – le Festival international du cinéma de Busan, en Corée du Sud, le concurrent le plus important du TIFF en Asie – propose une sélection de films japonais bien plus étoffée que celle du Festival de Tokyo. Le Festival de Busan 2014, qui s’est tenu du 2 au 11 octobre, a en effet présenté les films les plus récents de plusieurs cinéastes japonais, y compris Sono Sion (né en 1961), Kawase Naomi (née en 1969), Tsukamoto Shinya (né en 1960) et Ishii Yûya (né en 1983), des films qui étaient, semble-t-il, pour la plupart déjà sortis sur les écrans de l’Archipel. Par ailleurs, il faut signaler qu’en dépit des « réalisateurs prestigieux » qu’il mentionnait dans sa publicité, le 27e Festival de Tokyo, ne comportait pas de programme de films classiques japonais. Il est vrai, ne l’oublions pas, que le TIFF a fait discrètement passer à la trappe la catégorie des « Grands classiques du cinéma japonais » en 2009.

(D’après un article original en anglais du 20 novembre 2014. Photographie du titre : Le Japon traditionnel fait son apparition sur scène lors de la cérémonie d’ouverture du 27e Festival international du cinéma de Tokyo, qui s’est déroulée au Roppongi Hills Arena, le 23 octobre 2014. Jiji Press.)

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