L’avenir des jeunes passe par le renforcement des liens entre le Japon et le monde arabe

Société Vie quotidienne Le japonais

« Gen d’Hiroshima » en arabe

Un livre tout neuf est arrivé du Caire. C’est la traduction en arabe du tome 1 de Gen d'Hiroshima, ce célèbre manga japonais qui traite de la tragédie de la bombe atomique larguée sur Hiroshima, du point de vue d’un jeune garçon survivant (en 10 tomes au total). La traduction en arabe vient d’être publiée en Égypte en janvier de cette année. Maher El-Sherbini, professeur au département de japonais de l’Université du Caire et mon vieil ami depuis 30 ans, en est le traducteur. Professeur diplômé de l’Université du Caire, il a également étudié à l’Université de Hiroshima, où il a obtenu un doctorat en études japonaises.

Le département de japonais de l’Université du Caire a été créé en 1974, avec l’aide du gouvernement japonais, dans le but de promouvoir la compréhension du Japon dans le monde arabe. Je trouve magnifique qu’à l’occasion du 40e anniversaire de ce département, ce chef-d’œuvre du manga japonais, et extraordinaire message de paix sous la tragédie de la bombe atomique soit mis à la disposition de la jeune génération arabe. Et j’espère que l’expérience japonaise de l’industrialisation et de la construction d’une société pacifique continue à être de mieux en mieux présentée dans le monde arabe.

Un département de japonais de très bonne réputation

Le département de japonais à l’Université du Caire produit plus de 20 diplômés chaque année. L’année dernière, le professeur Karam Khalil, chef du département, m’avait dit : « Ces dernières années, la popularité du département de langue japonaise est extrêmement élevée parmi les nouveaux étudiants. » Le nombre de candidatures pour s’inscrire dans son département est 20 fois supérieur aux capacités d’accueil.

Le professeur est lui-même diplômé de la première promotion du département. Il remarque une évolution dans les motivations des étudiants du département :
« À notre époque, on s’inscrivait en japonais parce que le Japon avait l’image d’un pays industrialisé, et qu’étudier la langue nous serait utile pour trouver du travail à la fin de nos études. Mais les étudiants d’aujourd’hui ont grandi avec les dessins animés japonais de la télé et se destinent plutôt aux domaines culturels. »

En 1979, j’ai étudié un an à l’Université du Caire, à l’époque ou le professeur Karam était lui-même étudiant en langue japonaise. À la fin de mes études, j’ai travaillé comme journaliste chargé du Moyen-Orient pour un journal japonais, et à partir de 1994 puis à trois reprises, j’ai été nommé au bureau du Caire. Toutes ces années, là-bas j’ai observé l’évolution du département de japonais de l’université.

Hélas, une fois leur diplôme de japonais en poche, il est très rare que les étudiants parviennent à trouver un emploi dans une entreprise nippone. Tout ce qu’ils peuvent obtenir, au mieux, c’est un travail de guide touristique en japonais. Or, depuis la révolution, la confusion de la situation politique et l’aggravation de l’insécurité, les voyages organisés en provenance de l’Archipel ont été supprimés, et les guides qui travaillaient en langue japonaise se retrouvent au chômage.

Les entreprises japonaises ne donnent pas leur chance aux diplômés égyptiens

J’entends des ressortissants japonais au Caire dire que de nouveaux diplômés qui parlent « assez bien » japonais ne sont pas forcément « efficaces » pour leurs entreprises. Pourtant, au Japon, les sociétés japonaises sont réputées pour cette culture de la formation des jeunes employés jusqu’à en faire des professionnels de très haute valeur. Cette façon de rejeter d’une formule sans appel les diplômés égyptiens du département de japonais n’est pas digne de la culture des entreprises nippones qui insistent au contraire sur la valeur de la formation des ressources humaines.

L’État japonais lui-même, qui a pourtant soutenu la création d’un outil d’enseignement de la langue japonaise hautement performant, ne donne pas aux diplômés la possibilité d’utiliser professionnellement leur acquis. Cette attitude me paraît pour le moins incohérente. J’ai entendu dire que de leur côté, des pays européens comme l’Allemagne ou la France, promeuvent l’enseignement de leur langue dans les pays arabes, et aident aussi des étudiants à venir poursuivres leurs études en Europe.

De jeunes arabes, possédant un intérêt pour Japon, ayant étudié la langue japonaise, devraient être un capital en ressources humaines de haute valeur, aussi bien pour le Japon que pour les pays arabes. Je pense que la coopération du Japon en faveur de l’éducation de la jeunesse arabe, et non pas seulement de l'apprentissage de la langue, est un facteur important des relations nippo-arabes.

Cette pensée m’est arrivée il y a quatre ans, quand j’ai vu, en tant que journaliste, la passion et l’énergie qui animait les jeunes sur la place Tahrir. Ce que chacun de ces jeunes exprimait, c’était une seule pensée : « Je veux faire de l’Egypte un beau pays ! »

En arrière-plan du mouvement des jeunes que l’on a appelé « le Printemps arabe » se trouve la réalité démographique des pays arabes, dans lesquels l’âge médian se situe entre 20 et 30 ans. Une jeunesse abondante dans un pays est une force de travail et de production, mais quand ces jeunes ne trouvent pas de travail ou de logement, cela peut devenir un problème politique et social.

D’un autre côté, l’âge médian au Japon est actuellement de 45 ans, le plus élevé du monde. Il était situé à un peu plus de 20 ans vers le milieu des années 1960. C’est l’époque où le Japon, lui aussi, a connu les mouvements étudiants. Mais ce sont ces mêmes jeunes qui, dans les années 70 et 80, sont devenus le pivot du développement économique, du progrès social et de la culture japonaise.

Le Japon devrait faire plus pour la jeunesse du monde arabe

Le Japon est déjà actif dans la formation de la jeunesse arabe. Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de visiter l’Institut nippo-saoudien de formation technique automobile à Djeddah, en Arabie saoudite. Cet institut a été créé avec la coopération de la JICA et fonctionne avec le soutien de l’Association Japonaise des Constructeurs Automobiles (JAMA).

J’ai rencontré un jeune mécanicien saoudien qui y avait passé un diplôme. La tête plongée sous le capot d’une voiture, couvert d’ huile de moteur, il travaillait à la sueur de son front dans le garage d’un concessionnaire Toyota. Tout guilleret, il m’a dit : « Travailler m’a donné confiance en moi. » Au début, son père s’était opposé à ce qu’il devienne mécanicien, mais il a changé d’avis quand son fils a commencé à travailler à l’atelier Toyota : un effet de la force d’une marque japonaise.

Le Japon célébrera cette année le 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il y a 70 ans, le pays était plongé dans le désespoir causé par les bombardements et la douloureuse défaite, comme dépeint dans Gen d’Hiroshima. Mais il n’a pas mis longtemps pour se relever et s’engager sur la route de la prospérité économique et sociale et la construction d’une nation de paix. Je ne doute pas que cette expérience du Japon sera un exemple pour ouvrir l’avenir de la jeunesse du monde arabe qui fait actuellement face à de si grandes difficultés.

(D’après un article original en japonais du 24 mars 2015. Photo de titre prise par l’auteur : des jeunes sur la place Tahrir au Caire en février 2011.)

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