Les causes de la pénurie de beurre au Japon

Économie

Du printemps à l’été de cette année, les stocks de beurre ont été sans cesse épuisés dans les rayons de produits laitiers des supermarchés et des magasins d’alimentation de l’ensemble du Japon. Même lorsque les produits ont été en rayon, leur vente a été limitée à un paquet par personne. Et ce phénomène se répète à présent depuis plusieurs années.

Le ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche a évalué en mai dernier que la pénurie de beurre serait de plus de 7 000 tonnes et il a annoncé qu’il procéderait à des importations d’urgence de 10 000 tonnes environ d’ici le mois d’octobre afin de parer à l’augmentation de la demande en vue de Noël. En fait, des importations d’urgence pour un total de 10 000 tonnes ont été effectuées deux fois l’année dernière également.

La consommation annuelle de beurre au Japon est de 70 000 à 80 000 tonnes, dont à peu près 10 000 dépendent des importations. Étant donné que les droits de douane sont élevés, il n’y a que peu d’importations privées. C’est en principe l'État qui contrôle la consommation de beurre et de lait écrémé en poudre dans l’objectif de protéger les exploitations laitières du pays.

Cette année, depuis que les mesures en vue de l’importation ont été décidées, le beurre est enfin arrivé dans les rayons en début d’automne. Mais, avec environ 430 yens pour une plaquette de 200 grammes, il est de 5 à 6 % plus cher que l’an dernier et les consommateurs sont très mécontents de voir que ce produit de première nécessité n’est plus facilement disponible à un prix raisonnable.

90 % du beurre national produit à Hokkaidô

Pourquoi donc cette pénurie de beurre se produit-elle ? Observons tout d’abord les mécanismes de la production et de la distribution du beurre et des produits laitiers.

Le beurre est fabriqué en séparant la crème du lait cru, sa matière première, par l’action de la force centrifuge d’une écrémeuse, cette crème étant ensuite pasteurisée et battue. Il faut un peu plus de 4 litres de lait cru pour produire une plaquette de 200 grammes de beurre.

La distribution du lait cru a lieu par un regroupement en un seul et même endroit et par des ventes tous azimuts. Le lait cru produit par les fermes laitières est rassemblé par des associations désignées, comme les coopératives agricoles qui se trouvent dans dix régions du pays, et il est ensuite vendu aux différents fabricants de produits laitiers. Ces associations sont des groupes qui ont été désignés par l'État et par les collectivités locales pour procéder aux transactions relatives au lait cru conformément à la loi de 1966.

Le prix du lait est décidé après discussions entre les associations qui jouent un rôle déterminant et les fabricants de produits laitiers. Des contrats annuels sont ensuite conclus selon les différentes applications, à savoir le lait proprement dit, le fromage et le beurre. Les exploitants laitiers peuvent traiter directement avec les fabricants mais, dans ce cas, ils ne peuvent pas bénéficier des subventions et autres accordées par l'État et ces transactions directes ne concernent donc que 3 % de l’ensemble des producteurs.

D’après les statistiques du ministère de l’Agriculture, près de 90 % des 132 000 tonnes de lait cru destiné à la fabrication du beurre et du lait écrémé en poudre ayant fait l’objet de transactions par les associations désignées au niveau national en juillet de cette année, à savoir 115 000 tonnes, était en provenance de Hokkaidô. En revanche, seuls plus de 20 % des 280 000 tonnes environ de lait destiné à la boisson au niveau national sont produits dans cette région.

Sous prétexte de « stabilité des approvisionnements », la production et la distribution du lait et des produits laitiers sont contrôlées par le biais des associations désignées selon les applications. La transformation est confiée à Hokkaidô, géographiquement éloignée des zones de grande consommation comme la sphère métropolitaine, alors que l’approvisionnement en lait de boisson, dont le degré de fraîcheur est essentiel, est réservé aux autres régions productrices. Cette répartition des rôles est restée inchangée pendant 50 ans environ, depuis que la loi a été établie.

La fabrication du beurre remise à plus tard

Le lait destiné à la transformation est de 30 à 40 % moins cher que le lait destiné à la boisson. En cas de surplus de production, en particulier, le lait destiné à la boisson produit à Hokkaidô où la productivité est élevée et les prix faibles grâce à une gestion agricole à grande échelle, risque d’être distribué dans les grands centres urbains et de faire concurrence aux producteurs des autres régions du pays. Par conséquent, l'État procède aux ajustements des approvisionnements en versant, par l’intermédiaire des associations désignées, des subventions aux producteurs de lait destiné à la transformation de Hokkaidô. Dans l’objectif d’éviter un effondrement des prix, aussi bien pour le lait destiné à la transformation que pour celui destiné à la boisson.

Les quantités approvisionnées en lait et en produits laitiers converties en lait cru se montent environ à 12 millions de tonnes par an. Environ 8 millions de tonnes de lait destiné à la boisson sont produites au Japon et le reste est importé, principalement sous forme des produits laitiers qui correspondent à 4 millions de tonnes de lait cru.

Pour les importations, les produits laitiers entrant dans la rubrique des articles libéralisés, comme les fromages et les crèmes glacées, occupent la plus grande place, et ils proviennent principalement de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, des États-Unis et des pays d’Europe.

Le lait cru, à la différence des autres produits agricoles, est produit tous les jours et, de surcroît, ne se conserve pas longtemps. Par conséquent, pour éviter d’avoir à le détruire s’il vient à tourner, il est attribué en priorité au lait comme produit fini, puis à la crème fraîche et au fromage. Le beurre, qui est moins demandé que le lait et qui se conserve plus longtemps, est gardé en stock lorsque la production de lait cru est abondante. Les stocks sont écoulés dans le cas contraire, lorsque la production est faible. Placé tout en bas dans l’ordre de fabrication des produits, le beurre est donc très sensible aux fluctuations de la production de lait cru.

Dans le cas de l’année 2014, la production a baissé en raison des grandes chaleurs durant l’été de l’année précédente et il a été nécessaire de procéder à des importations supplémentaires urgentes. Comme les conséquences se sont répercutées sur cette année encore, le gouvernement a décidé d’importer en prenant en considération les possibilités de fluctuations, de nouveau dues aux grandes chaleurs.

Le nombre de producteurs laitiers continue à diminuer

En fait, la production de lait cru ne cesse de diminuer depuis longtemps. La production nationale de lait cru a progressé de manière constante après la guerre en raison de l’agrandissement des exploitations et de l’amélioration de la productivité. En 1966, elle atteint un sommet avec 8,66 millions de tonnes pour diminuer progressivement par la suite et tomber jusqu’aux 7,33 millions de tonnes de l’année dernière. Simultanément, en raison de la faible natalité et du vieillissement de la population, la consommation a également diminué durant les dix dernières années et continue à le faire ajourd’hui.

D’après les statistiques du ministère de l’Agriculture, le nombre de producteurs laitiers au 1er février 2015 a diminué d’environ 5 % par rapport à l’année précédente, et se monte aujourd’hui à 17 700 foyers, à savoir les deux tiers des 28 000 foyers que le Japon comptait il y a dix ans. Pour être plus précis, la réduction du nombre des petits producteurs vivant dans d’autres régions que Hokkaidô est particulièrement importante. Tous les producteurs laitiers cherchent à améliorer leur productivité en s’agrandissant mais ils sont souvent incapables de rattraper les augmentations des coûts de la main-d'œuvre, de l’électricité et du fourrage importé. Le manque de successeurs dans ce domaine, jugé sans espoir de croissance, est un problème grave.

Shimomura Yoshikazu, conseiller à J-Milk, un bureau d’études composé d’entreprises de production laitière et de coopératives, déclare que les courants de ce secteur ont changé en 2008, avec la crise monétaire mondiale.

« Les goûts des consommateurs ont changé et les préférences sont passées du lait comme boisson aux produits transformés comme la crème fraîche,les fromages et le beurre, alors que la production de lait cru était en pleine diminution. Les producteurs, pressés par les contraintes de la période de lactation des vaches et des différences saisonnières du rythme de la traite, ont concentré tous leurs efforts pour traire le lait cru, et la production de beurre pour les familles a été remise à plus tard. Nous avons là un problème structurel.

L’impact du TPP ?

« Le gouvernement japonais pose le cadre des importations prioritaires de beurre avec de faibles droits de douane. » À la fin juillet de cette année, cette nouvelle a été reprise dans tous les médias. Les informations précisaient que le gouvernement avait indiqué son intention d’augmenter les importations de beurre auprès des pays importateurs comme la Nouvelle-Zélande et l’Australie durant les négociations du Partenariat transpacifique (TPP) qui ont presque abouti à un accord.

Mais la pénurie de beurre va-t-elle vraiment être surmontée en encourageant le libre échange par le TPP ?

Honma Masayoshi, spécialiste en agriculture et en économie des ressources naturelles et professeur à l’Université de Tokyo, déclare pour sa part que l’économie planifiée qui a été menée jusqu’à présent n’est plus valable aujourd’hui et explique la nécessité de la libéralisation.

« Nous sommes aujourd’hui dans la même situation que pour le riz en 1995, lorsque le système de contrôle des produits alimentaires a été supprimé et que la libéralisation a été promue. Avec le système actuel où la totalité du lait cru est confié pour sa distribution aux associations désignées à qui il faut verser des commissions élevées, la situation est identique à celle du riz autrefois, lorsque les producteurs n’avaient aucun choix et que les mécanismes du marché ne fonctionnaient pas. Le beurre et le lait écrémé en poudre peuvent être complémentés par les importations. Chacun des producteurs du pays, en tirant avantage de la qualité et de la sécurité du lait destiné à la boisson, devrait chercher à améliorer ses profits. »

Un système valorisant les spécificités et les motivations de chaque producteur devrait être mis en place, en négociant directement avec les fabricants de produits laitiers, sans passer par les associations désignées, par exemple. On peut même imaginer, comme pour la viande où le bœuf japonais est devenu une marque mondiale, que les produits japonais soient exportés à l’étranger.

La situation de détresse structurelle de l’industrie laitière du Japon

Par ailleurs, Uchihashi Masatoshi, secrétaire général du Comité japonais des produits laitiers, composé de toutes les associations de producteurs du pays, parle de la situation de détresse actuelle, avec l’augmentation des prix du combustible et du fourrage due à la faiblesse du yen.

« Nous sommes dans une situation où l’on gagne pas d’argent même en faisant des efforts. Au Japon, le gouvernement donne des subventions sur le plan des prix mais il n’accorde pas directement de garantie de revenus aux producteurs laitiers, comme en Europe ou aux États-Unis. Les producteurs arrêtant leurs activités parce qu’ils sont découragés par la compétitivité acharnée du TPP sont de plus en plus nombreux. On ne peut pas fournir du beurre de manière stable si on ne dispose pas d’énergie en réserve. Même si les importations sont libéralisées à l’avenir, il y aura non seulement des risques au niveau de la sécurité des produits, mais rien ne dit non plus que les importations seront stables. Et les prix connaîtront probablement des fluctuations violentes. »

Le responsable du service Lait et produits laitiers du ministère de l’Agriculture nous a expliqué que le beurre était un produit commercial sous contrôle du gouvernement et qu’il n’y avait aucune intention de changer ce principe fondamental.

« Le beurre joue un rôle de soupape d’ajustement entre l’offre et la demande pour les producteurs laitiers. S’il est importé en grandes quantités de l’étranger, le problème sera que les producteurs ne pourront plus avoir de surplus de lait et qu’ils maintiendront leur production au plus bas niveau pour ne pas avoir à le jeter. Dans ce cas, il est très possible que l’on connaisse une pénurie de lait, qui est un produit beaucoup plus consommé que le beurre. Mais cette pénurie constante en beurre n’est pas une bonne chose et nous avons l’intention de faire des prévisions plus rapides et plus détaillées sur l’offre et la demande. »

Un tournant après un demi-siècle de politique de protection

La date comme la teneur des accords du TPP sont difficiles à prévoir. Mais aujourd’hui, alors que l’économie devient de plus en plus globale, la libéralisation non seulement du beurre mais d’un grand nombre de produits ne fait qu’accélérer. Yasaka Masamitsu, professeur assistant de l’Université de Tokyo et expert en matière de politique laitière, déclare qu’il est fort possible que la libéralisation des importations de beurre aujourd’hui, alors que la politique se concentre uniquement sur l’ajustement des quantités et que le mécanisme des prix du marché ne fonctionne pas, conduise à une chute inévitable des autres produits laitiers et du lait et qu’elle portera un coup encore plus violent aux producteurs laitiers.

« La production laitière a réussi à franchir le cap de la gestion à grande échelle dans les années 80 et le problème du manque de successeurs n’avait pas encore fait surface à ce moment-là. Mais son déclin a commencé à la fin des années 90. Durant cette période, le gouvernement a pris des différentes mesures pour encourager à devenir agriculteur sans obtenir de bons résultats. Mais aujourd'hui, il y a de plus en plus de jeunes qui veulent devenir producteurs laitiers. Il faudrait mettre en place une politique de promotion pour que les fabricants de produits laitiers établissent un fonds par exemple avec l’aide du gouvernement, et en fournissant des aides pour l’investissement initial qui coûte plus cher que dans les autres secteurs agricoles. »

Au même moment, en juillet dernier, le ministère de l’Agriculture a mis en place un Comité d’étude sur les transactions du lait cru. Des discussions auront lieu entre les représentants des producteurs et des fabricants de produits laitiers sur l’introduction du système d’appel d’offres et des orientations devraient être annoncées d’ici la fin de l’année. Avec le problème de pénurie de beurre venant aussi souvent, la politique de protection qui s’est poursuivie pendant un demi-siècle est sans aucun doute arrivée aujourd’hui à un tournant. Sera-t-il possible d’arrêter le renoncement à l’agriculture en s’efforçant de trouver une solution à l’augmentation des coûts et de fournir des produits laitiers de qualité à des prix raisonnables ? C’est avec la plus grande attention que les consommateurs observent aujourd’hui la direction des réformes entreprises par le gouvernement, les producteurs et les fabricants de produits laitiers.

(D’après un original en japonais paru le 30 septembre 2015. Photo de titre : Jiji Press)
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