Un natif de Fukushima parle

Société Vie quotidienne

Suite à l’accident nucléaire de la centrale Fukushima Daiichi, on a vu souvent dans la presse écrite japonaise, Fukushima écrit, non pas en kanji (caractères chinois) mais en katakana (caractères syllabiques dépourvus de signification propre). Cet usage étant en principe réservé en japonais aux noms de lieux étrangers (Chine exceptée), est allé de pair avec le fait que ce nom de lieu s’est rapidement répandu dans le monde entier, comme on parlait de Hiroshima ou de Nagasaki il y a plus de 70 ans.

Nombreux ont été les résidents, à l’époque, à ressentir cette façon d’écrire leur préfecture d’origine comme discriminatoire. Je me souviens que notre chaîne a reçu un grand nombre de réclamations et de protestations de la part des téléspectateurs, nous enjoignons de faire cesser cette façon d’écrire Fukushima en katakana. Aujourd’hui, cinq ans après les événements, il faut reconnaître que plus aucun média ou presque n’écrit Fukushima en katakana pour parler de la préfecture ou de notre région, et de façon générale les protestations de personnes sensibles à cette utilisation se sont tues. Disons aussi que l’intérêt pour l’accident nucléaire s’est amoindri.

Les blessures de la rumeur sont toujours douloureuses

Inversement, en février dernier, avant la commémoration du 5e anniversaire de l’accident, un regrettable incident s’est produit. Un événement de promotion en faveur de Fukushima et des autres zones sinistrées, qui devait se tenir à Seoul en Corée du Sud les 20 et 21 février, a dû être annulé le jour même, suite à l’action de certains organisations civiques sud-coréennes qui ont fait annuler les autorisations d’utiliser les lieux prévus. Apparemment pour la raison « qu’il n’est pas convenable que des denrées alimentaires provenant de zones ayant subi un accident nucléaire soient présentées et mises en vente ».

J’ignore si oui ou non d’autres raisons politiques étaient en jeu, mais cela me fait mal pour les producteurs de Fukushima, qui souffrent de féroces rumeurs depuis l’accident de la centrale. Quand je pense que les habitants de Fukushima, les producteurs comme tout le secteur de la distribution et les administrations, font des efforts énormes pour dissiper les rumeurs causées par des informations infondées… C’est là qu’on s’aperçoit qu’il n’y a rien de plus difficile que rétablir une image.

Encore 100 000 réfugiés

Aujourd’hui, près de 100 000 habitants de Fukushima vivent encore comme réfugiés, dans et hors de la préfecture. Les logements d’urgence, depuis cinq ans, sont visiblement dégradés. L’histoire et les circonstances de chaque réfugié sont uniques, certes, mais une chose est sûre : au bout de cinq ans, on ne peut plus parler de situation « provisoire ».

Afin d’encourager le retour des personnes évacuées, le gouvernement a déclaré vouloir abroger le décret d’évacuation avant fin mars 2017, hormis pour quelques zones pour lesquelles un retour reste problématique. Mais les réfugiés reviendront-ils ? Dans une certaine mesure on peut prévoir que les retours se feront dans les zones urbaines comme Minami-Sôma, mais dans les petites villes et les zones rurales, cela sera bien plus difficile. Il est clair qu’une aide continuera d’être nécessaire au-delà de cette date, pour les populations qui seront revenues comme pour celles qui ne reviendront pas.

Quand on vit à Fukushima, on se rend compte que les effets de la reconstruction ne se font pas du tout sentir comme à Iwate ou Miyagi. Contrairement à ces deux préfectures qui ont eu de nombreux morts à cause du tremblement de terre et du tsunami, à Fukushima, ce sont les morts indirects de « l’après-séisme » qui sont nombreux. En d’autres termes, c’est essentiellement après l’accident nucléaire que la vie y est devenue difficile.

Certes, le développement des infrastructures se poursuit. L’autoroute Jôban, qui traverse la zone évacuée, a été réouverte à la circulation en mars 2015, ce qui a grandement contribué aux progrès de la reconstruction aussi bien à Fukushima qu’à Miyagi. Il est également prévu que la ligne de chemin de fer JR-Jôban soit de nouveau ouverte au trafic sur tout son parcours pour les Jeux olympiques de 2020. La construction de la digue côtière le long des zones frappées par le tsunami progresse, comme les espaces verts de prévention des catastrophes.

Les travaux de décontamination suivent aussi leur cours. La quantité de radioactivité dans l’ensemble des zones évacuées de la préfecture de Fukushima, à l’exception de quelques « points chauds », a considérablement diminué. Si les dosimètres installés en divers endroits firent un temps mal aux yeux, aujourd’hui ils ne dérangent plus grand monde. La compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco) a annoncé que 90 % des installations de la centrale Fukushima Daiichi seraient accessibles au personnel évoluant sur le site sans protection anti-radiation particulière à compter du mois de mars 2016. Cette diminution du fardeau qui pèse sur les employés et l’amélioration des conditions de travail qui en résultera, contribuera à l’accélération des progrès de la décontamination et la diminution de la dispersion des matières radioactives.

Situation inchangée à Fukushima Daiichi

Néanmoins, la situation problématique de la centrale Fukushima Daiichi n’est toujours pas résolue. La situation à l’intérieur des réacteurs 1 à 3, dans lesquels le cœur a fondu n’est toujours pas connue avec précision. Le problème de l’eau contaminée dont les quantités continuent à croître est toujours extrêmement grave. Diverses méthodes comme le pompage par des drains de collecte ou des murs de rétention par congélation des sols sont mobilisées, mais ce problème de l’eau contaminée est complexe.

Des réservoirs d’une capacité de 1 000 tonnes d’eau contaminée chacun couvrent tout le terrain de la centrale. Ils sont actuellement au nombre d’ un millier. Mais sachant qu’un réservoir est plein en 3 jours, on voit très bien que viendra bientôt le jour où il ne sera plus possible de stocker cette eau contaminée dans l’enceinte de la centrale.

Comment endiguer l’eau souterraine qui s’écoule sous les bâtiments de la centrale et comment l’empêcher de se contaminer, tel est l’un des grands problèmes qui se posent pour procéder au démantèlement du site. En outre, les négociations pour l’acquisition de nouveaux terrains qui permettraient de construire plus de réservoirs n’avancent que lentement, et il reste encore le problème d’assurer l’engagement de travailleurs qualifiés pour les travaux de démantèlement de la centrale, partis pour durer encore une quarantaine d’années.

La défiance envers Tepco

Alors que la reconstruction des régions sinistrées avançait pas à pas, une information assez incroyable émanant de Tepco a été publiée : il existait un manuel détaillant la définition de la fusion du cœur du réacteur, mais voilà cinq ans qu’il était laissé dans un tiroir. Tepco a traité la situation comme « endommagement des combustibles », un incident pré-fusion, alors même que les cœurs des réacteurs 1 à 3 avaient bel et bien fondu.

Tepco a mis un mois et demi avant de reconnaître que les cœurs avaient fondu. Et même si Tepco se défend d’avoir « caché l’information », les habitants de la préfecture ne peuvent s’empêcher de se dire « Cinq ans après l’accident, il est bien tard pour nous avouer que vous le saviez ». Il serait temps que Tepco s’explique de façon convaincante devant les citoyens.

La réalité ne filtre pas hors de la préfecture

Cinq ans après les faits, j’en suis à penser que la conscience de la réalité entre les gens de Fukushima et les gens de l’extérieur de la préfecture, loin de se rejoindre, est en train de faire le grand écart. Dès que l’on parle avec des gens de l’extérieur, on peut être à peu près certain de se faire dire : « C’est terrible ce qui vous arrive avec l’accident de la centrale ». Cela part d’un bon sentiment, j’en suis sûr, et c’est bien aimable de penser encore à Fukushima. Mais il y a tout de même de quoi être surpris que la plupart des gens hors de Fukushima restent encore avec à l’esprit l’image des explosions d’hydrogène et des ouvriers de décontamination et de démantèlement sous leurs combinaisons de protection, c’est-à-dire des images qui datent de tout de suite après l’accident.

Certes, de nombreuses personnes vivent comme des réfugiés, et les difficultés ne changent pas, mais il y a quand même une forte volonté de faire bouger les choses dans le sens de la reconstruction. Cette image a des difficultés à se transmettre. La majorité des habitants de Fukushima ont repris leur vie d’avant l’accident et mènent une vie tout à fait normale. En tant que travaillant pour une chaîne de télévision des zones touchées, je ressens un certain agacement quand je sens que des informations précises et correctes sur la vie à Fukushima ne sont pas correctement transmises aux gens des autres préfectures.

Même chose concernant la remise en marche des centrales nucléaires. Suite à l’accident de Fukushima, de nombreuses personnes dans tout le pays ont considéré la question comme leur problème, refusant de se dire que cela ne les regardait pas. C’est pourquoi il y a eu des voix pour réaliser une société à « zéro nucléaire ». Mais les choses ont changé depuis ces cinq dernières années. La centrale de Sendai a redémarré, Takahama a redémarré(*1), et les voix contre ne sont pas élevées bien haut. De plus en plus, c’est plutôt le discours « on se fait bien un peu de souci pour la sécurité, mais compte tenu des circonstances, la réouverture des centrales est une nécessité », qui prennent de l’ampleur. Manifestement, la communauté de cœur entre les citoyens de Fukushima et les autres se relâchera de plus en plus.

Le démantèlement de la centrale Fukushima Daiichi a été décidé. Quel peut être le rôle de Fukushima pour transmettre au monde entier l’importance des énergies renouvelables et la non-dépendance à l’énergie nucléaire ? L’année dernière, dans l’océan Pacifique au large de Fukushima, des éoliennes géantes sont apparues. Un Institut des énergies renouvelables a été inauguré à Kôriyama. Parce que Fukushima est bien placée pour connaître la gravité des accidents nucléaires, le message pour l’émergence d’une société basée sur les énergies renouvelables en direction du monde entier doit partir d’ici.

Venez à Fukushima !

« Quand je suis allé à Fukushima, j’ai été surpris de voir que les gens vivaient normalement », entend-on régulièrement dire de la part de visiteurs extérieurs à la préfecture. Un nombre important de gens de l’extérieur continuent de penser qu’à Fukushima, la plupart des habitants doivent se déplacer en portant en permanence des masques hygiéniques à cause des rayonnements, que les enfants ne jouent pas dans les jardins publics ou dans les cours des écoles. Vous devriez venir à Fukushima voir comment on vit ici. Oui, venez voir la réalité, ici !

Il faudra encore du temps avant que les rumeurs se dissipent. On entend dire « les produits de l’agriculture et de la pêche de Fukushima sont contaminés, c’est dangereux ! », et pas seulement de Corée du Sud… Il n’est pas rare qu’on me dise : « plus vous en parlez, plus vous contribuez à répandre la rumeur, laissez-nous tranquilles ! »

En fait, pour dissiper la rumeur, il faut persister à diffuser les informations concrètes, sérieusement, obstinément. Plus que jamais, il est de notre responsabilité en tant que station de télévision de la zone sinistrée, de continuer à transmettre méticuleusement le vrai visage de Fukushima.

(D’après un texte original en japonais du 2 mars 2016. Photo de titre : Naraha, le bourg situé à 20 km de la centrale de Fukushima Daiichi, est officiellement redevenue habitable le 5 septembre 2015 par la levée de l'ordre d'évacuation. Une cérémonie s'est tenue à la veille dans un parc. Jiji Press)

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(*1) ^ Le réacteur no 3 de la centrale de Takahama a été redémarré le 29 janvier 2016 et le réacteur no 4 le 26 février, mais en mars 2016, les deux réacteurs sont à nouveau mis à l'arrêt sur décision de justice.

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